Le cimetière des naufragés du Joola connaît chaque année une opération ponctuelle de toilettage à l’approche de l’anniversaire du drame ayant coûté la vie à près de deux mille personnes. Cette année pour laquelle la célébration se pliera aux exigences du contexte de pandémie n’a pas dérogé à la règle. Le lieu reçoit ses dernières retouches pour accueillir les visiteurs du 26 septembre avant de replonger dans l’indifférence la plus totale. Le cimetière de Mbao n’est pas un cas isolé dans ce dossier du naufrage du Joola, puisque des points du mémorandum transmis aux autorités ne trouvent toujours pas une suite favorable. Suffisant pour le comité en charge du dossier de revêtir cette édition du thème : «Naufrage du Joola et gestion de la pandémie : l’irresponsabilité se poursuit.»
Une opération de désherbage effectuée mercredi, un revêtement des tombes à la chaux vive en cours et le tour est joué. Le cimetière des naufragés du bateau Le Joola, sis au cœur de la forêt classée de Mbao, donnera à ceux qui s’y rendent le 26 septembre, l’apparence d’un lieu super bien entretenu. Il n’en est rien car ces tâches de circonstance ne s’exécutent qu’une fois par an : à chaque veille de célébration de l’anniversaire du drame intervenu en haute mer. Le détour sur les lieux jeudi a permis de constater un toilettage en train d’être fait à la hâte. Deux maçons étaient en train de s’affairer autour de la porte d’entrée du cimetière dont les deux battants ont été démontés à l’occasion. La façade en haut du portail sur laquelle étaient inscrits ces mots «Cimetière des naufragés du Joola» a été démolie et en pleine reconstruction.
Les visiteurs de dimanche verront une nouvelle façade plus imposante mais tout aussi très mal faite. Conçue avec une charge de béton armé que les étais ont du mal à supporter, elle est en train d’être réalisée à la va-vite. L’œil du profane s’aperçoit que les étais ne sont pas adaptés à une telle charge ; ce qui a conduit à une incurvation vers le bas de la charge. «Si on utilise des étais en fer, on va les voler», nous a signifié l’un des maçons interrogés sur le choix d’étais en bois visiblement non adaptés. «Ne nous prenez pas en photo s’il vous plaît», a-t-il exhorté avant que son collègue, en train de recouvrir en ciment la façade en béton, ne s’arrête une seconde pour nous permettre de franchir, en nous faufilant entre les étais, l’entrée du cimetière. «Il n’y a pas de gardien», nous a-t-il dit. Une allée d’environ 100 mètres de long pour 7 de large à peu près mène directement à l’endroit où reposent quelque 180 victimes.
Plus de la moitié du périmètre est vide et, les effets de l’opération de désherbage de mercredi sont parfaitement visibles. A l’arrière les rangées de tombes durement éprouvées par l’environnement immédiat et l’absence d’entretien régulier que trois jeunes peintres, en plein labeur, s’évertuent à redonner une certaine candeur. «C’est quel jour l’anniversaire», a glissé l’un d’eux à la question de savoir s’ils pourront finir le travail avant le jour J. Il s’est d’ailleurs si tôt soustrait à l’interrogatoire occupé qu’il était à convoyer à ses collègues, dans des seaux, le produit fini issu de préparation dans un baril placé à l’ombre d’un arbre.
Outre les tombes harmonieusement construites sur la deuxième partie du périmètre, une dizaine d’arbres complètent le décor du cimetière de taille moyenne clôturé d’un court mur de quatre rangs de briques surplombés d’un linteau. Des poteaux en béton distants d’environ trois mètres soutiennent le linteau qui plafonne à environ 2 mètres. A priori, un grillage métallique était prévu pour assurer la fermeture complète pour parer toute incursion à travers le mur. Pour autant, l’endroit semble quasi impénétrable de derrière pour les humains du fait d’arbres au feuillage dense contigus au mur. C’est dans ce décor que se tiendra le cérémonial pour la célébration de l’anniversaire du naufrage qui avait coûté la vie à 1864 personnes selon un décompte établi par le gouvernement. Et, après la cérémonie de dimanche qui sera matérialisée, en raison de la crise sanitaire, par un dépôt de gerbe de fleurs, le cimetière replongera encore pour une année dans une indifférence totale en attendant un nouvel anniversaire. Au grand dam des membres du comité en charge du suivi du dossier. «D’une manière générale, les gouvernements successifs de 2002 à 2021 ont manifesté peu de volonté politique dans la prise en charge des doléances des victimes», avaient-ils rappelé dans le propos liminaire du point de presse préparatoire de l’anniversaire du naufrage tenu le 8 septembre. Ils avaient dénoncé une prise en charge assez timide du mémorandum tournant autour de cinq points. Il s’agit de la prise en charge des orphelins et des rescapés, le renflouement de l’épave du bateau, la justice pour toutes les victimes, l’édification du mémorial Le Joola et le choix du 26 septembre comme une journée nationale du souvenir. Selon eux, les avancées notées sur leurs exigences portent la prise en charge des orphelins et la construction du mémorial. Des avancées que le comité juge timides. Le thème choisi pour l’édition de 2021 est révélateur de leur sentiment vis-à-vis des autorités. C’est : «Naufrage du Joola et gestion de la pandémie : l’irresponsabilité se poursuit.»
Par Alioune Badara NDIAYE