Président du mouvement Action pour la refondation de la République et de la citoyenneté (ARC/Beugueu Sa Rew), Cheikh Ahmed Tidiane Sall est conseiller municipal à la commune de Dakar-Plateau. Ce membre de la grande coalition Guem Sa Bopp, établi en France, est candidat à la succession d’Alioune Ndoye pour les Locales à venir. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, l’ancien militant de l’Alliance pour la République et du Pastef est revenu sur l’actualité politique dominée par les préparatifs des échéances du 23 janvier 2022.
Vous êtes un Sénégalais de la diaspora. La municipalité, c’est avant tout une affaire de proximité et de communauté. Pensez-vous être suffisamment enraciné dans la commune pour obtenir la confiance de la population ?
C’est vrai que j’ai cette particularité-là d’avoir une double casquette ; d’être dans la diaspora et au Sénégal. Mais pour moi, le plus important et que les gens doivent comprendre, c’est qu’être sénégalais est une continuité. Le fait de vivre ailleurs qu’au Sénégal n’entache en rien notre appartenance à la commune de Dakar-Plateau. C’est vrai que ceux qui vivent à Dakar de manière continue ont un certain avantage sur nous, parce qu’ils sont beaucoup plus proches des populations. Mais quelqu’un comme moi, même quand je suis à l’étranger, je m’imprègne de ce qui se fait à Dakar et à chaque fois quand j’ai la possibilité de faire quelque chose pour ma commune, je le fais.
C’est le cas avec la construction du terrain de basket qui sert aujourd’hui de réceptacle au quartier. Il a été construit avec des fonds propres, avec l’aide d’amis basketteurs. L’autre fait est que je suis conseiller municipal, je reçois des attaques à cause de mes absences. Mais pour moi, j’ai des obligations professionnelles qui font que je suis obligé, de temps à autre, d’être à l’extérieur. Il n’y a pas qu’à moi qu’il faut jeter la pierre, il y a beaucoup de maires qui gèrent des communes dans les contrées reculées et qui vivent à Dakar.
Justement, il y a des maires qui administrent des communes dans le Fouta ou le Boundou et qui y vont exceptionnellement et méconnaissent même les problèmes de leurs administrés. Ne pensez-vous pas qu’il est temps que cette donne change ?
Je pense que c’est une bonne chose et je prends l’engagement, si je suis élu naturellement, de quitter mes obligations professionnelles pour vivre dans ma commune avec les habitants. Pour moi, on ne peut pas gérer une commune à distance. Et le minimum de respect est, quand on est élu par la population, d’être présent quotidiennement et de s’enquérir des besoins.
Vous avez été membre de l’Alliance pour la République, de 2010 à 2013, avant d’être cofondateur du Pastef dans la diaspora, entre 2014 et 2017. Qu’est-ce qui explique ces départs au sein de ces différentes formations politiques ?
Je suis parti de l’Alliance pour la République (APR), lorsque le président Macky Sall a voulu prendre un décret pour attribuer les licences de prospection de pétrole à son frère Aliou Sall. Il l’a fait au tout début du mandat, en 2012, six mois après l’alternance, et j’avais alerté pour dire que cette façon de gouverner les ressources du pays avec sa famille n’est pas ce que l’on attendait de la part du nouveau gouvernement, après ce que l’on a vécu avec Abdoulaye Wade. Il était hors de question, pour moi, que cela continue. Mais quand j’ai dit cela en interne au sein des cadres, j’ai été combattu. Donc, je n’avais plus ma place dans cette formation politique. J’ai préféré alors quitter le parti et avoir ma liberté d’expression.
Pour le Pastef, mon départ en 2017 est en rapport avec la demande forte des populations qui voulaient que l’opposition se regroupe au sein d’un cadre unique pour aller au Législatives et Pastef avait refusé. C’est tout naturellement que j’ai rendu ma démission. Pour moi, Pastef n’avait pas fait le bon choix, en 2017. Et l’histoire m’a donné raison aujourd’hui, parce qu’ils sont en train de former des coalitions contre-nature, en acceptant tout ce qu’ils avaient refusé hier.
Parlant de ces coalitions, nous avons, d’une part, Yewwi Askan Wi et, d’autre part, une nouvelle entité formée par Me Abdoulaye Wade et ses alliés. Quelle lecture avez-vous de la formation de ces pôles ?
Je pense que c’est la coalition Yewwi Askan Wi qui est à l’origine de la cassure et de la dislocation de l’opposition. A l’instar de certains leaders qui l’ont décriée, je condamne également sa mise sur pied. La manière de procéder de cette coalition n’était pas des meilleurs. On ne peut pas former une coalition en mettant en avant les quatre grands partis et demander aux autres de venir. Les leaders de parti politique sont d’égale dignité. Ce n’est pas parce qu’un parti peut mobiliser plus qu’il doit écraser les autres. Il y a un problème de bienséance.
Il faut reconnaitre que l’opposition a toujours eu des problèmes pour s’unir…
L’alternance a commencé avec les Locales de 2009, parce qu’il y a eu une forte coalition de l’opposition avec Benno Siggil Senegaal où les leaders, malgré les antagonismes, ont réussi à mettre sur pied cette coalition qui a gagné les communes stratégiques et c’est ce qui a perdu Abdoulaye Wade. L’opposition que l’on a depuis 2012 est absente aux grands rendez-vous et manque de discernement.
Pensez-vous que ces entités peuvent faire le poids face à la majorité présidentielle, au vu des partis membres ?
Il ne faut pas oublier celle de Bougane à laquelle j’appartiens, la grande coalition citoyenne Gueum Sa Bopp qui m’a investi dans la commune de Dakar-Plateau. J’aime bien la philosophie de cette coalition que Bougane Guèye Dany a ouverte à tous les citoyens : présidents d’association ou de mouvements citoyens, personnes-ressources. C’est une coalition citoyenne et j’apprécie cette démarche, parce qu’elle est inclusive. On demande à tous les Sénégalais qui sont capables de compétir dans leur localité de se rapprocher de nous. On n’est pas une coalition partisane.
Est-ce que ces trois alliances sont de taille pour tenir tête à Benno Bokk Yaakaar ?
On voit souvent que ce n’est même pas la moitié des électeurs qui vote. A Dakar-Plateau, il y a presque 35 000 votants et souvent, le maire gagne avec une fourchette de 5 000 électeurs.
Il faut donc se rapprocher des électeurs qui n’appartiennent à aucun parti. Les 300 partis politiques réunis au Sénégal n’ont même pas un million de militants actifs. Donc, il faut aller s’adresser aux populations, leur montrer un programme qui tient la route et aller chercher des voix.
Le parrainage est exclu des Locales, mais la caution demeure. Comment trouvez-vous le montant qui a été fixé pour ces échéances ?
L’opposition n’est pas conséquente. On parle d’une caution de 15 millions F CFA. Pour moi, c’est une régression démocratique et au lieu d’avoir une opposition qui tape du poing sur la table pour porter ce combat, elle est aux abonnés absents et est plus occupée à faire des combines. On ne peut pas faire une démocratie des riches, il y a des exclus parce que tout simplement, ils ne pourront pas mettre sur la table cette somme et c’est ce qui est anormal, surtout pour ces types d’élection qui concernent la localité. L’opposition aurait pu se regrouper et exiger que la caution soit fixée à un montant beaucoup plus minime.
Au-delà de l’aspect financier, cette caution ne sert-elle pas de filtre pour éviter une anarchie durant les Locales ?
On a assisté, aux dernières Législatives, à la naissance d’une multitude de listes et c’était très compliqué pour l’impression des bulletins… Il faut savoir aussi que la démocratie a un coût et il faut que l’Etat puisse mettre le prix. Je comprends la nécessité des filtres, mais on aurait pu faire mieux tout en évitant les candidatures farfelues, car là, c’est excessif.
Quel bilan tirez-vous des 12 ans de gestion du maire Alioune Ndoye à la tête de Dakar-Plateau, d’autant plus que vous êtes un conseiller municipal ?
Je ne veux pas être nihiliste pour dire que tout est mauvais, mais son bilan est très médiocre. Au niveau des infrastructures, le maire a démarré des travaux pour construire une école, le complexe scolaire Bibi Ndiaye, dont la durée devait être de 18 mois et jusqu’au moment où je vous parle, cela fait plus de 10 ans, le délai est en cours, mais le complexe n’est pas encore livré. Le complexe est en hauteur, avec plus de six étages et tout le monde sait que pour des élèves de CM1 ou CE2, on ne peut pas les gérer dans ces types d’infrastructure. Il y a des problèmes de sécurité et ils n’ont pas pensé à cela. Et pour la réglementation dans l’éducation nationale, il y a des normes à respecter.
Dakar-Plateau est une ville de 40 000 habitants sans infrastructures sportives. Cela n’existe nulle part dans le monde. Quelqu’un qui a défendu le fait que le stade Assane Diouf ne devait pas être démoli, mais élu depuis 12 ans, il n’a jamais défendu la restitution du stade Assane Diouf à la jeunesse de Dakar-Plateau. Ceci ne serait-ce pas un acte de haute trahison ?
L’autre fait également, c’est le marché qu’il a démoli nuitamment. Cet acte est une négation de la culture. Ce bâtiment culturel, on ne peut pas le détruire sans consulter les populations. C’est quelque chose à déplorer.
A vous entendre parler, vous êtes contre la démolition de ce bâtiment ?
Oui, parce qu’il y a des architectes de renom qui ont dit que ce bâtiment pouvait être réhabilité comme celui de l’Hôtel de ville de Dakar ou du Building administratif. Le bâtiment de Sandaga n’avait pas un problème de consolidation, mais c’est juste qu’au Sénégal, nous avons un problème de maintenance, comme ce qui se passe avec les stades. On construit, mais on n’entretient pas.
HABIBATOU TRAORE