Monsieur inondation

par pierre Dieme

Sans pitié pour les adversaires qu’il écrase l’un après l’autre, le ministre des Collectivité territoriales, Oumar Guèye, peut être très généreux à l’endroit de ses soutiens. Ingénieur en génie électrique, il est l’un des rares ministres de Macky qui a survécu à tous les remaniements. Malgré la levée de boucliers sur sa gestion des inondations, l’inamovible maire de Sangalkam continue d’avoir la confiance du chef de l’Etat.

Il a l’air très timide en apparence. Mais c’est un dur à cuir. Lui, c’est Oumar Guèye, Maire indéboulonnable de Sangalkam depuis 2002, Ministre ininterrompu de Macky Sall, depuis le début de la deuxième alternance. Pourtant, informait ‘’Le Quotidien’’ en 2013, au moment de son divorce fracassant avec Idrissa Seck, Oumar Guèye aurait pu ne pas être membre du premier gouvernement de Macky Sall. Abdoul Mbaye, alors Premier ministre, informait le journal, s’y était opposé, sur la base des motifs révélés par l’enquête de moralité. ‘’Directeur commercial de la CGE au milieu des années 1990, Oumar Guèye a été arrêté et emprisonné pour une histoire de détournement de fonds portant sur un montant avoisinant la centaine de millions de francs’’, poursuivait le média du groupe Avenir Communication, non sans rapporter que c’est grâce à son ami Idrissa Seck qu’il aurait pu retrouver un casier judiciaire vierge, au début de la première alternance.

Grâce aussi à l’insistance de son ex-mentor, Oumar Guèye entra dans le premier gouvernement de Macky Sall qu’il n’a plus jamais quitté, depuis 2012. Une prouesse qu’il partage avec de rares membres de l’APR dont Abdoulaye Daouda Diallo et Mariama Sarr, en plus des alliés que sont Alioune Sarr (AFP) et Serigne Mbaye Thiam (PS). Aujourd’hui ministre en charge de la lancinante question des inondations, Oumar a aussi occupé le poste de ministre de la Pêche et de l’Economie maritime, ministre du Tourisme et des Transports aériens, avant d’être ministre des Collectivités territoriales, du Développement et de l’Aménagement des territoires. Depuis l’année dernière, il est au-devant de l’actualité, en tant que porte-parole du gouvernement, mais aussi chargé de plusieurs questions encombrantes pour le régime, comme les inondations. Une question qu’il doit bien connaitre, en tant que premier ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement de Macky Sall, en charge de la question. A ce titre, il a d’ailleurs été l’artisan principal du Programme décennal pour l’assainissement.  

‘’Sa loyauté à Idy, il l’a payé au prix fort’’

En 2013, un an à peine après l’arrivée au pouvoir de Benno Bokk Yaakaar, Oumar Guèye vivait un tournant décisif de sa vie politique. Idy lâche Macky. Oumar s’arcboute aux délices du pouvoir, préférant prendre ses distances avec son ami de très longue date. Accusé d’avoir ‘’trahi’’ son frère, il s’en est toujours défendu. Mamadou Ba, son ami d’enfance et compagnon politique, rétorque : ‘’Oumar est un homme responsable. Pour lui, Rewmi, étant un partisan de la deuxième alternance, n’avait pas à quitter le gouvernement sur la base de motifs crypto-personnels. Et l’histoire lui a donné raison. Idrissa, qui était parti pour des motifs personnels, est revenu.’’

Dans tous les cas, le divorce a été consommé avec beaucoup de douleur. Et le linge sale s’était retrouvé dans la rue publique. Désormais, entre Oumar Guèye et Idrissa Seck, le compagnonnage politique se conjugue au passé. Un compagnonnage long de plusieurs années.

L’histoire remonte aux années 1980. Les deux hommes politiques se rencontrent et tissent des relations qui se sont solidifiées à travers le temps. Pour en donner une idée, la chronique rappelle souvent les deux enfants d’Oumar Guèye qui portent respectivement les noms d’Idrissa et de son épouse Ndèye Penda. Malgré cette proximité devenue familiale, ils ont longtemps choisi des voies différentes, en politique. Idy dans l’opposition avec Wade ; Oumar au pouvoir avec Alassane Dialy Ndiaye, tout-puissant responsable du PS, au niveau de la 28e coordination.

En 2000, Diouf et Alassane Dialy Ndiaye sont expédiés dans l’opposition par le peuple sénégalais. Mais Oumar trouve le raccourci parfait pour se maintenir au pouvoir, aux côtés de son frère. Alors tout-puissant n°2 du PDS, Idrissa Seck en fera le président du Conseil rural de Sangalkam, en 2002. L’ancien président de l’ASC Sangalkam n’avait pas besoin de plus pour trouver les moyens de devenir une icône dans ce patelin, alors ‘’grand village’’ du département de Rufisque. Mieux, il est devenu incontournable dans tout le département, voire au-delà.

Traité d’opportuniste par ses pourfendeurs, Oumar est qualifié d’homme loyal par ses proches. ‘’Sa loyauté à Idy, il l’a payée au prix fort. Le régime libéral lui avait tout proposé, s’il lâchait Idy. Il ne l’a jamais accepté. Cela lui a coûté beaucoup. Il a été destitué en tant que premier magistrat de sa communauté rurale à deux reprises. Il a même perdu son neveu Malick Ba dans sa lutte pour la dignité et l’honneur de Sangalkam, pour son refus de compromission. On ne peut pas lui reprocher un manque de loyauté’’, témoigne M. Ba.

Combats épiques contre Me Wade et délégations spéciales

En effet, Oumar a vécu directement deux délégations spéciales à la tête de la mairie de Sangalkam. D’abord en 2008, suite aux Législatives et à la Présidentielle de 2007, ensuite en 2011, suite aux élections locales de 2009 qu’il avait remportées sans coup férir. Pour ses partisans, il est indéboulonnable dans sa commune. ‘’Vouloir le déboulonner, confie Mamadou Ba, c’est jeter un coup d’épée dans l’eau. Oumar a tout donné à Sangalkam. Et la commune le lui rend bien. Abdoulaye Wade, tout-puissant, a essayé deux fois. A chaque fois, il a pris sa revanche de la plus belle des manières. C’est un digne fils de Sangalkam. Je dois rappeler qu’il a été président de l’ASC dans les années 1988. C’est avec lui que l’ASC a eu son premier jeu de maillots aux couleurs du Milan AC. Il ne savait pas qu’il allait devenir une autorité’’.

Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, Oumar est loin d’être novice en politique. Ancien secrétaire général de coordination au PS, ancien secrétaire général de section, ancien secrétaire national à la vie politique, ancien membre du Comité central et même du Bureau politique du PS, Oumar fait partie des politiciens les plus expérimentés du régime actuel. Dans l’équipe gouvernementale actuelle, en dehors du ministre des Mines et de la Géologie, Oumar Sarr (ex du PDS), Maire de Dagana depuis 1996, ils sont rares, les ministres, à lui arriver à la cheville, sur le plan politique et du point de vue de la légitimité populaire. Son talent et son courage, même ses adversaires le lui concèdent. ‘’C’est l’un des plus calés, pour ne pas dire le plus calé actuellement à Rufisque. Oumar Guèye n’a pas de sentiment en politique. Soit tu es avec lui et tu es son ami. Soit tu n’es pas avec lui et tu es son adversaire. Et il te le montre en te combattant de manière sournoise. Il ne triche pas sur ce plan’’, raconte avec beaucoup de sarcasme un jeune leader de la majorité.

Pour étayer son propos, notre interlocuteur invoque les cas du conseiller des collectivités territoriales et non moins pionnier de l’APR, Demba Diallo, et d’autres. Même le beau-père du président Homère Seck n’a pu résister aux coups du fin stratège. Il enchaine : ‘’Quand tu ne fais pas partie de son schéma, il ne te blesse pas, il te ‘tue’ directement. Tous ceux qui se sont opposés à lui à Rufisque l’ont appris à leurs dépens. Il les a tous éliminés. Je te parle de membres fondateurs qui n’existent presque plus, parce que simplement, ils ne sont pas avec lui.’’ 

Duel à venir contre Ismaëla Madior Fall ?

Dans le département de Rufisque, il y a au moins un homme qui ne semble pas entrer dans le schéma de celui qui fait office de coordonnateur de Benno Bokk Yaakaar. Il s’agit de l’ancien ministre de la Justice, le ‘’tailleur constitutionnel’’ Ismaila Madior Fall. Selon certaines indiscrétions, après avoir été cité dans le limogeage du Rufisquois Abdourahmane Diouf au début de l’alternance, Oumar est aussi cité dans le départ du ministre Ismaila Madior Fall. ‘’Il veut être le seul maitre à bord dans tout le département. Il ne veut pas de leader qui lui fasse de l’ombre’’, se plaint notre interlocuteur. Si c’était un combat, on peut dire que la manche aller a été remportée par le maire de Sangalkam. Après son limogeage du gouvernement, Madior a aussi perdu son poste prestigieux de conseiller juridique du président qui faisait de lui le Monsieur décentralisation de la présidence de la République. Etait-ce pour éviter un éventuel conflit que le constitutionnaliste a été déchargé ? Nos interlocuteurs n’en savent pas davantage.  

Pour les Locales à venir, le combat risque d’être épique entre les deux hommes. Chargé de mission à la présidence, proche du ministre d’Etat Ismaila Madior Fall, Matar Ndoye ne cache ses ambitions. Il avertit : ‘’Certains se sont mis ensemble pour écarter Ismaila Madior Fall de la course à la mairie de la ville. Qu’ils sachent que c’est peine perdue. Nous n’accepterons pas que des gens s’accaparent notre ville. Nous respectons beaucoup le président de la République ; il a limogé des ministres de Rufisque, des DG, des PCA, mais pour la mairie de la ville, c’est aux militants et citoyens de Rufisque de choisir. Ce que nous n’allons pas accepter pour Oumar Guèye et pour personne, c’est que des gens d’autres localités viennent nous imposer nos maires, parce qu’ils ont des amis, des intérêts…’’

Chez les partisans d’Oumar Guèye, on botte en touche les accusations. Pour Mamadou Ba, ceux qui gesticulent sont juste de mauvaise foi. Il déclare : ‘’Ceux qui s’agitent sont des proches d’Ismaila Madior Fall. Ils pensent qu’Oumar Guèye est avec Souleymane Ndoye pour lui barrer la route. Or, Oumar n’est intéressé que par les choix du président de la République. Il n’est pas dans les guerres personnelles.’’    

Né à la fin des années 1950 à Sangalkam, grandi dans la même localité, Oumar Guèye n’en est pas moins un haut cadre. Après un cursus bien rempli au Sénégal, sanctionné par un baccalauréat série E obtenu au début des années 1980 au lycée Maurice Delafosse, il obtient une bourse et s’envole pour les grandes écoles françaises, d’où il est sorti en 1985 avec un diplôme d’ingénieur en Génie électrique. Il retourne ainsi au Sénégal et est bombardé directeur commercial de la Compagnie générale de l’électricité, puis directeur industriel des établissements de Rouen TCR, avant de créer, en 2002, son propre business avec Sitra (Services ingénierie et travaux). Son appartenance au régime aidant, Oumar tisse peu à peu sa fortune, en accumulant les marchés.

Son ami d’enfance Mamadou Ba précise : ‘’Ce que je puis vous assurer, c’est qu’il n’a jamais été dans les futilités. Il a toujours été travailleur. Tout ce qu’il a, il le droit à son travail.’’ Même s’ils sont des adversaires sur le plan politique, Matar Ndoye n’a pas tari d’éloges à son égard. Pour lui, Oumar est un homme sociable et très généreux. ‘’Un vrai ‘kilifeu’, dit-il avec emphase. ‘Dou takhawalou, dou dougou ci détail’. Mais en politique, il gère tous les détails. Je sais aussi que c’est un homme discret, charismatique, qui aime incarner la personnalité, l’autorité.’’  

Parmi ses défauts, il est plusieurs fois revenu sa suffisance, son goût prononcé de l’autorité et du pouvoir. Aussi, sa boulimie pour le foncier de Sangalkam. Des accusations gratuites, selon ses partisans. Mamadou Ba explique : ‘’A Sangalkam, tout se passe de manière transparente. Un particulier peut avoir un terrain à lotir… Dans le lotissement, il y a une part qui doit revenir à la mairie. Et c’est géré de la manière la plus démocratique qui soit, avec les commissions de villages présidés par les chefs de villages concernés. Ensemble, on choisit ceux qui sont les plus méritants’’.

Marié et père de quelques bouts de bois de Dieu, Oumar n’aime pas trop les mondanités, selon plusieurs témoins. Très effacé, il est plus enclin à aller dans les cérémonies religieuses que dans les soirées dansantes. Mamadou Ba : ‘’C’est quelqu’un de très effacé, si ce ne sont pas ses activités politiques. Il n’aime pas trop les projecteurs, même s’il est souvent sous les projecteurs. Et c’est depuis toujours. Quand on était plus petit, quand il n’allait pas à l’école, il était soit à la maison, soit au champ pour aider son père.’’

Par ailleurs, le maire de Sangalkam est aussi réputé avoir la gâchette très facile. D’un air plein d’ironie, Matar Ndoye témoigne : ‘’Il est difficile de lui résister. Il faut vraiment avoir les reins très solides pour lui faire face. D’abord, il sait souffrir sans le montrer à l’adversaire. Mais quand il te domine, il est sans pitié. Aussi, quand il a besoin de quelqu’un, il ne se fixe pas de limite. Il fait tout pour l’avoir. Et si tu veux tenir longtemps, ne t’enferme pas avec lui. Si tu l’acceptes, tu le rejoins.’’

Alors qu’il aurait pu être un brillant ingénieur en Génie électrique, Oumar a très vite choisi la voie politique. Un de nos interlocuteurs qui évolue dans le même domaine que lui, confie à ‘’EnQuête’’ : ‘’Il était beaucoup plus politicien qu’entrepreneur, même s’il est très brillant. La preuve, il a été avec tous les régimes. Dans la vie, il faut quand même se fixer des limites. Mais bon… à chacun ses choix.’’ 

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