Le Président Abdoulaye Wade avait refusé de juger Hissène Habré, au motif que les séances de tortures et d’assassinats, dont est accusé l’ex Président tchadien, ne se sont pas déroulées sur le sol sénégalais, encore moins les présumés victimes n’y résidaient. Elu en 2012, Macky Sall donne son accord, le 24 juillet 2012, pour l’établissement d’un tribunal spécial pour juger Hissène Habré.
Depuis son exil contraint, en décembre 1990, l’ancien maître de N’Djamena coulait alors des jours paisibles au Sénégal, où le président Abdou Diouf avait accepté de l’accueillir. Discret, Habré adopté par le Sénégal, s’est constitué un solide réseau de fidèles dans les sphères religieuses et politiques, tout comme dans les milieux d’affaires.
Mais en janvier 2000, à quelques semaines de l’élection présidentielle qui débouchera sur la première Alternance au Sénégal, la plainte – pour actes de torture et de barbarie, et crimes contre l’humanité – déposée par Souleymane Guengueng et six autres rescapés des geôles tchadiennes marque le premier acte d’une longue saga judiciaire.
La procédure s’enclenche aussitôt. C’est ainsi qu’une information judiciaire a été ouverte à Dakar contre Habré, le 27 janvier 2000, pour «crimes contre l’humanité et actes de torture». Huit jours plus tard, le juge Demba Kandji inculpe Hissène Habré et le place en résidence surveillée, en accord avec le parquet. Contre toute attente, la satisfaction des victimes est de courte durée.
Au lendemain de l’élection d’Abdoulaye Wade en 2000, la raison d’État reprend ses droits. Le juge Kandji est muté, et la Cour d’appel puis la Cour de cassation déclarent la justice sénégalaise incompétente pour se prononcer sur des crimes survenus au Tchad. Pour contourner l’obstacle sénégalais, les plaignants se tournent alors vers la Belgique, un pays-phare en matière de compétence universelle.
En septembre 2005, le juge Fransen inculpe Habré de crimes contre l’humanité, crimes de guerre, actes de torture et violations graves du droit international humanitaire, émettant un mandat d’arrêt international. La demande d’extradition que la Belgique adresse au Sénégal demeure lettre morte, la justice sénégalaise se déclarant incompétente pour statuer.
Au Sénégal, Abdoulaye Wade souffle le chaud et le froid. Les jours impairs, il menaçait de l’extrader. En fait, Wade n’a jamais voulu organiser ledit procès. Ne sachant plus que faire de cette patate chaude, Abdoulaye Wade se défausse sur l’Union africaine, lui demandant la marche à suivre. Réunie en sommet à Khartoum, en janvier 2006, l’organisation continentale met sur pied un « Comité d’éminents juristes africains » afin d’examiner « les options disponibles » en vue de juger l’ancien président tchadien.
Tandis que le Parlement européen et le Comité de l’ONU contre la torture enjoignent au Sénégal de juger Habré ou de l’extrader en Belgique, l’Union africaine, s’appuyant sur les recommandations de son Comité d’éminents juristes, tranche : elle demande aux autorités sénégalaises de juger Hissène Habré « au nom de l’Afrique ».
Wade en accepte le principe… mais n’en pense pas moins. « Il y a un «syndicat» des chefs d’État, confiera-t-il un jour à un représentant de la société civile. Mes pairs ne comprendraient pas que je fasse juger l’un des nôtres, comme si je voulais me donner un air supérieur. » Pendant les six années qui suivront, en dépit d’une apparente bonne volonté, le régime Wade usera donc de tous les stratagèmes pour retarder l’échéance.
Macky Sall, le coup d’accélérateur
Les victimes devront attendre l’élection de Macky Sall, en mars 2012, pour voir cette parenthèse dilatoire se refermer. En moins d’un an, le Président Sall met sur pied les Chambres africaines extraordinaires, juridiction ad hoc exclusivement africaine. Aminata Touré, ministre de la justice à l’époque, était chargée de mettre sur pied les CAE.
En vertu d’un accord avec l’UA, les CAE – composées de magistrats sénégalais, à l’exception du président de la chambre d’assises, le Burkinabè Gberdao Gustave Kam, et du président de la future chambre d’appel – disposent d’un statut spécifique et s’appuient, pour le reste, sur le code de procédure pénale du Sénégal.
Avec la chute de Wade et l’élection du Président Macky Sall en 2012, les choses ont pris une nouvelle tournure. Macky Sall a organisé le procès de Habré, jugé au Sénégal et condamné à la perpétuité. Même si le chef de l’Etat avait exclu son extradition.
- BA