Quand la caution divise !

par pierre Dieme

Point n’ayant pas fait l’objet d’un accord entre acteurs politiques engagés dans les dernières concertations politiques au sein de la Commission cellulaire du dialogue politique, le montant de la caution pour les prochaines élections municipales et départementales cristallise aujourd’hui le débat. Alors que le ministre de l’Intérieur a convoqué une rencontre le 23 août prochain pour recueillir les avis des différents acteurs, le journaliste et analyste politique, Momar Diongue, et Ababacar Fall du Gradec, interpellés sur ce sujet par Sud Quotidien, livrent leur diagnostic de ce qu’ils appellent tous « une tare du système politique ».

ABABACAR FALL GROUPE DE RECHERCHE ET D’APPUI A LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE ET LA BONNE GOUVERNANCE (GRADEC) : « La caution n’a jamais existé, donc c’est une nouveauté »

«La caution de manière générale à toujours divisé la classe politique, que ce soit pour l’élection présidentielle ou les élections législatives. Les propositions ont toujours varié entre partisans du franc symbolique et partisans d’une caution élevée pour empêcher la pléthore de candidats. C’est ainsi qu’entre 2000 et 2019, la caution a évolué de 5 millions à 65 millions en 2012 avant d’être ramenée à 30 millions avec l’institution d’un double filtre que constitue le parrainage. La loi électorale dispose que le Ministre de l’Intérieur rencontre les partis à titre consultatif pour recueillir les différentes propositions ; mais cela ne le lie pas du tout puisque c’est lui en définitive qui fixe le montant de la caution et on constate généralement par expérience que c’est toujours le montant proposé par la majorité qui est retenu.

Pour les élections locales, la caution n’a jamais existé, donc c’est une nouveauté. L’ancien ministre de l’Intérieur l’avait fixé à 10 millions pour chaque type d’élection notamment, départementale et municipale soit 20 millions pour tout parti qui se présente dans les différents ordres de collectivités territoriales. A la suite du report, une autre rencontre entre le ministre Diome et les acteurs devra se tenir pour recueillir les propositions des partis, après quoi le ministre fixera le montant de la caution 150 jours avant la date du scrutin. La question n’est pas que la caution bloque à chaque élection mais en réalité c’est le ministre qui décide.

Dès lors, on peut se poser des interrogations sur l’opportunité de cette rencontre. Je pense plutôt que c’est une tare de notre système politique car la caution n’a jamais été un filtre efficace pour empêcher les candidatures. Elle ne constitue pas également une participation aux frais d’organisation des élections puisqu’elle vous est remboursée si vous obtenez un certain nombre de sièges ou un certain pourcentage déterminé par la loi électorale. Dans certains pays de la sous-région, le montant de la caution est fixé directement dans le code électoral avec des sommes allant de 5000 frs à 10.000 frs par la liste.

Le Cap-Vert est l’un des rares pays de la région ouest africaine où le cautionnement n’est pas nécessaire pour participer à une élection. Au Mali, le cautionnement n’est pas prévu pour l’élection des députés et des conseillers territoriaux mais il existe pour la présidentielle. Par contre, peu de pays en Europe ont recours au système du cautionnement. Les points 85 et 86 de la Commission européenne pour la démocratie par le droit font référence au cautionnement en tant que forme de restriction car il fait dépendre le droit de se porter candidat à l’argent au lieu du soutien politique ».

MOMAR DIONGUE, JOURNALISTE ET ANALYSTE POLITIQUE : « Le pouvoir en place veut travailler à instaurer une démocratie censitaire»

«La fixation du montant de la caution aux Locales faisait partie des points inscrits au menu du dialogue politique. L’opposition et particulièrement le Front de Résistance nationale (FRN) avait proposé à ce que la caution soit désormais fixée de manière définitive pour tout type d’élection et inscrit sur le Code électoral pour qu’on ait plus à attendre que le ministre de l’Intérieur en détermine le montant. Car, aussi bien pour les élections locales, législatives que pour la Présidentielle, elle est laissée à l’appréciation du ministre de l’Intérieur et du régime en place qui parfois, de façon unilatérale, le fixent de manière prohibitive. Une situation qui peut, à la longue conduire à une «démocratie censitaire».
Autrement dit, une démocratie où il faut avoir de l’argent pour pouvoir participer. C’est donc, pour cette raison que l’opposition avait estimé que, pour une fois, on devrait inscrire définitivement ce montant dans le Code électoral et ne plus le laisser à l’appréciation du seul ministre de l’Intérieur et du Président de la République en place. Seulement, cela n’a pas fait l’objet d’un consensus et donc ça fait partie de ces points qui n’ont pas été tranchés. S vous vous rappelez, il y avait une période où la presse avait fait état d’un montant de 10 millions par liste proposée par la majorité. Ce montant avait été rejeté par l’opposition parce que tout simplement, il fallait le double de ce montant pour les deux élections : 10 millions pour les départementales et 10 millions pour les municipales. Or, lors des dernières élections locales, la caution était fixée à 10 millions pour les élections départementales et 5 millions pour les municipales dont 15 millions au total contre 20 millions pour les prochaines élections si on suit la logique des 10 millions annoncés par la presse.

Pour en revenir à cette problématique de la caution, je rappelle que pour la présidentielle de 2000, elle était de 6 millions et en 2007, à la fin du premier mandat du président Wade, elle (caution) s’est passée à 25 millions. Autrement dit, ce montant a été augmenté de 19 millions par le pouvoir de Wade à l’époque. Alors, comment on peut passer de 5 à 25 millions comme ça ? Et en 2012, la caution est passée à 65 millions : ce qui montre qu’on est passé de 6 millions en 2000 à 65 millions en 2012. Cela veut dire que c’est une méthode, un procédé de la part d’un régime en place d’empêcher par le biais de l’argent la multiplicité des candidatures. Du coup, cela bloque toujours à chaque élection parce que la tentation est grande de la part de tout régime de travailler à instaurer une démocratie censitaire où seuls ce qui ont de l’argent peuvent participer. Raison pour laquelle la caution est passée de façon arbitraire sous Abdoulaye Wade de 6 millions en 2000 à 65 millions en 2012 quand il quittait le pouvoir. C’est une façon d’éliminer et de décourager des candidatures. Pour cette raison, l’opposition avait estimé que le dialogue national qu’avait appelé Macky Sall fût une occasion de fixer définitivement le montant de la caution et d’inscrire ça sur le Code électoral, comme ça aucun pouvoir n’aura plus la possibilité de façon unilatérale de fixer la caution. Sinon, tout régime qui s’installe pourra de façon unilatérale et délibéré fixer le montant de la caution comme bon lui semble.

Par conséquent, c’est une tare du système politique parce qu’une fois on aura fixé la caution de façon définitive pour toute type d’élection, ce sera clair pour tout le monde dans un premier temps. La deuxième chose est que c’est une arme politique pour tout pouvoir en place de limiter au maximum les candidatures de l’opposition. Car, si la caution est fixée de façon substantielle évidemment, il y aura beaucoup qui ne pourront pas présenter des listes de candidatures surtout pour les prochaines élections locales. Il y a beaucoup de listes de mouvements citoyens qui veulent se présenter mais si la caution est fixée à 10 millions, il y aura des mouvements citoyens, des particuliers sénégalais qui veulent entrer dans le jeu politique, qui ne le pourront pas. Tout cela est parti tout simplement surtout d’une logique qui a consisté depuis les élections locales de 2014 où il y avait eu 2 700 listes, de réduire au maximum la possibilité des listes à des élections locales. Ce qui veut dire que cela jouera le même rôle que le parrainage lors de la présidentielle pour le pouvoir en place.

Lors de la dernière Présidentielle, le Président Macky Sall et sa majorité avaient sorti en effet le parrainage pour éliminer le nombre de candidatures de l’opposition à quatre(4). Sans quoi, il y aura eu beaucoup plus de candidatures. Et de la même façon qu’on avait utilisé le parrainage pour limiter le nombre de candidatures, on soupçonne le pouvoir en place de vouloir utiliser le montant de la caution cette fois-ci pour faire en sorte qu’il y ait le moins de listes possible pour les élections locales afin d’éviter le scénario de 2014 »

PAR BARTHELEMY COLY (STAGIAIRE) & NANDO CABRAL GOMIS

You may also like

Web TV

Articles récentes

@2024 – tous droit réserver.