Odia, la satire au bout des doigts

par pierre Dieme

Tourner l’information à la dérision par l’exagération des traits de caractère, c’est le travail du dessinateur de presse. Omar Diakité dit Odia, caricaturiste depuis plus de trois décennies, excelle en la matière. Il dépeint l’actualité sous un air moqueur, liant faits et société pour un résultat subtil, qui pousse à la reflexion.
Coups de crayons sur une feuille blanche, des formes se dessinent, des traits exagérés apparaissent, le dessin de presse prend forme. Odia est caricaturiste depuis plus de 30 ans. « J’ai toujours aimé dessiner, c’est une passion qui est en moi. Au plus profond de mes souvenirs, je me vois dessiner. Je dessinais partout, parfois même sur les murs avec du charbon de bois et je me faisais sermonner pour cela », raconte le quinquagénaire, l’air rieur.
La caricature, cette façon de traiter l’information sous un air moqueur pour la rendre plus digeste pour le public, Odia sait y faire : « une personne grosse, on la ferait plus grosse et une personne grande, on la ferait encore plus grande. C’est la même chose avec l’information. Il y a d’abord le fait qui est là et qui est sacré, que l’on tourne en dérision. »
Caricaturiste, dessinateur de bande dessiné, illustrateur… Oumar Diakité, de son vrai nom, a plusieurs cordes à son arc, diplômé en communication graphique à l’école des beaux-arts, il y enseigne depuis les années 2000. S’inspirant de la société, il en dépeint l’actualité.
L’une de ses dernières créations fait référence à la Guinée. « Le président (Alpha Conde, ndlr) dit qu’il n’y a pas de prisonnier politique en Guinée, mais la réalité est différente. La photo le montre clairement. Voir des gens en prison juste du fait de leurs opinions, c’est déplorable et c’est très fréquent en Afrique», défend le dessinateur qui n’hésite pas à fustiger ces réalités par ses productions.
Actuellement au journal La Tribune où il travaille depuis plus de 7 ans, Odia a également exercé au Cafard libéré, à Walfadjri, au Quotidien … Il a créé différentes bandes dessinées et histoires, tel que « Mor l’Alternoce », un personnage atypique aux aventures parfois rocambolesques.
La technologie, Odia l’accueille à bras ouvert. Aujourd’hui, le coloriage est réalisé sur ordinateur. Pour lui, le dessinateur doit toujours être à la page. Sourire en coin, il raconte une anecdote des temps sans internet. « Avant on découpait les photos des personnalités que l’on classait dans un livre pour se rappeler de leurs visages ». Il poursuit : « De nos jours, en un seul clic, on a leur photo. Ça nous a permis d’être plus précis sur les traits physiques et d’avoir accès plus facilement aux informations »
S’il y a une chose qu’il regrette aujourd’hui, c’est de ne pas voir les quotidiens employer plus de dessinateur. « Il n’y a pas beaucoup de dessinateur de presse qui publie quotidiennement leur création. Il y a une vingtaine de journaux, et ce serait intéressant qu’au moins la moitié puisse employer des dessinateurs de presse », se désole le caricaturiste.
Des modèles de dessinateurs, Odia en a bien gardés, mais c’est Samba Fall, dessinateur de presse du journal Le Soleil, l’un des pionniers dans le domaine, qu’il retient le plus.
« Il m’a beaucoup inspiré de par ses bandes dessinées et ses illustrations très expressives sur les faits de société. Il n’y a pas son deux pour faire un dessin sur les faits de société, il est très très fort ». Il cite aussi Jean Giraud (Co-créateur de Blueberry, une série de bande dessiné western Franco-Belge), Cabu (ancien caricaturiste du journal Charlie Hebdo tué lors des attentats visant le journal), Tete Fons (créateur de la bande dessiné Goorgoorlou) mais aussi Plantu, le dessinateur du journal français, Le Monde, qu’il a rencontré à Abidjan au festival international du dessin de presse.
Un dessin en particulier a attiré l’attention ces derniers jours. Pour sa réalisation, Odia avait misé sur un fait de société qui a secoué la toile. « Pour ce dessin, il fallait lier les événements, et je voulais parler du phénomène allumette. Tout le monde sait que le phénomène allumette a trait aux histoires d’amour et le lien était vite trouvé avec la mairie et la convoitise qu’elle suscite », explique méticuleusement Odia en scrutant le dessin.
Autocritique, Odia prend du recul par rapport à ses créations. « Souvent, quand mes dessins sont publiés, je me dis ah ! ce n’est pas trop fort ». « Je n’aime pas revoir mes dessins, je préfère quand les gens me disent qu’un dessin les a marqués en particulier ».
Depuis plusieurs mois, Odia travaille de chez lui, un horaire flexible mais contraignant : « Je suis souvent en retard pour le bouclage (rire). Le travail est contraignant. Et je suis assez exigeant avec moi-même, je veux toujours trouver la meilleure idée et tant que je n’ai pas l’idée, je me mets difficilement en action », explique l’homme adossé à son fauteuil.
De son talent, aucun de ses enfants n’a (encore) « hérité », mais ils sont férus de l’actualités et du travail de leur patriarche. L’un d’eux collectionne les dessins de son père dans des classeurs, un trésor chéri. « Peut-être, le cadet va suivre mes pas, il gribouille et il a l’air passionné mais on attend de voir ce que ça va donner ».
Aminatou Lamarana

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