Après près de 19 mois passés à la tête de la Gendarmerie nationale, le Général de corps d’Armée Jean-Baptiste Tine qui avait remplacé le Général Cheikh Sène le 15 novembre 2019, passe le relais au Général Moussa Fall. Quoi donc de plus normal, dirait-on, dans l’univers des hommes en bleu ? Pourtant, pour normale et attendue qu’elle soit, cette ‘’alternance’’ en bleu révèle des zones obscures…
Matam ! C’est de cette région que le Président Macky Sall a signé le décret mettant fin au magistère du général de division Jean-Baptiste Tine, lors de la réunion du Conseil des ministres du jeudi 16 juin dernier, tenue en pleine tournée politico-économique. Le sort ou le hasard a voulu que ce soit à Matam, dès 1981, que le jeune lieutenant Jean-Baptiste Tine a servi en premier, dans sa carrière de gendarme qui s’achèvera en septembre prochain, ce dernier devant faire valoir ses droits à la retraite.
Les commentaires qui entourent les circonstances de son départ amusent, selon des confidences de proches de l’officier, fervent catholique, très cultivé, qui a reçu une éducation rigoriste. Sans doute ‘’surpris’’ par l’ampleur des réactions, surtout dans les médias, Jean-Baptiste Tine, qui a cultivé la discrétion et la rigueur pendant tout le temps qu’il a dirigé la Gendarmerie nationale, reste zen.
Ce natif de Thiès, un certain 4 septembre 1961, a le sang ‘’bleu’’ dans les veines. Jean-Baptiste Tine, qui est sorti de la prestigieuse Académie royale militaire de Meknès au Maroc, en même temps que diplômé de l’Ecole des officiers de la Gendarmerie nationale de Melun en France, est reconnu par les siens pour ses compétences et sa loyauté. Mais ‘’cela ne signifie autre que la loyauté par rapport à sa tenue et donc à la République’’, nous souffle un de ses proches.
Le dossier Sonko qui a tout accéléré
Pour cet homme expérimenté qui capitalise plus de 30 ans de service et qui a presque flirté avec tous les segments de la Gendarmerie nationale, aussi bien dans les unités mobiles que dans les compagnies territoriales, le fleuve ne pouvait pas rester tranquille.
Début mars 2021, dépôt de plainte. L’affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr secoue la Section de recherches avec des suspicions de fuites et donc de déloyauté de la part du capitaine Touré. Mais ce sont les excroissances de cette affaire, avec les violentes manifestations qui ont secoué Dakar, qui mettent la Haute hiérarchie de la Gendarmerie nationale à l’épreuve. Dès les premières heures des émeutes, le général Tine prend lui-même la tête des opérations, en coordonnant tout depuis son QG de commandement. ‘’S’il n’avait pas agi ainsi, je pense qu’on aurait eu plus de morts et plus de dégâts pour le pays et ses symboles’’, nous souffle un officier, pourtant pas si proche de lui.
Et d’ajouter : ‘’Certains pensent qu’il aurait dû avoir la main plus lourde, mais cela signifie aussi qu’on aurait eu plus de morts sans garantie de maintien réel de l’ordre. Je pense que s’il n’avait pas pris les opérations en main, les choses auraient réellement dégénéré. Je ne peux pas rentrer dans les détails de tout ce qui a été fait pendant ces moments troubles, mais à mon avis, il a évité le pire au pays.’’
Le malaise de l’affaire du capitaine Touré
Mais après la pluie, c’est toujours le sale temps. Car, à peine fermée la page des émeutes de mars, les effets collatéraux se font jour, avec le dossier du capitaine Touré, soupçonné être de connivence avec le leader du Pastef, Ousmane Sonko. Le Général, en patron de la Gendarmerie, veut savoir tout ce qui s’est passé. Il initie donc une procédure d’enquête interne. Selon nos sources, ‘’il a été étonné d’apprendre des choses qui lui avaient été presque cachées’’. Lesquelles ? Mystère et boule de gomme, puisque nos interlocuteurs sont malheureusement peu bavards sur ce sujet. En tout cas, il a vécu cela ‘’comme une trahison’’. Car, en tant que Haut-Commandant, tout ce qui se fait doit remonter jusqu’à lui. Y compris cette lettre qui aurait dû lui parvenir venant de l’officier Touré incriminé, qui dénonce ‘’un harcèlement systématique’’ de la part de sa hiérarchie. Ce dernier n’étant pas sans reproche, parce qu’ayant violé certaines règles de la discipline militaire, en s’épanchant par exemple dans les réseaux sociaux, a été radié après avoir purgé 45 jours d’arrêt de rigueur. Tous les officiers de la Gendarmerie ne sont pas d’accord avec cette mesure jugée par certains de ‘’radicale’’.
Mais alors, quel visage pour la Gendarmerie nationale, après la nomination du général Moussa Fall ? Il se susurre, en tout cas, que de nouveaux hommes forts devraient entrer en scène dont le colonel Cissé, ancien patron de Saint-Louis, et Cheikh Sarr, qui trône à Thiès et qui est très lié à la famille présidentielle.
Des chantiers…
Dans tous les cas, c’est avec le sentiment du devoir accompli, en ‘’bon soldat’’ que le Général Tine va quitter la Gendarmerie nationale, si l’on en croit certaines confidences. ‘’Bon soldat’’, mais ‘’têtu’’ et curieusement libre. Il aurait sans nul doute voulu parachever son projet d’érection du nouvel Etat-major de la Gendarmerie nationale qui devait être inauguré au mois d’août prochain, comme la grande Piscine olympique de l’Ecole des officiers de la Gendarmerie nationale qui devait être inaugurée le 16 juin dernier, mais qui ne l’a pas été du fait de l’indisponibilité du ministre des Forces armées, Sidiki Kaba. Les gendarmes devaient aussi arborer une nouvelle tenue dès le 1er juillet 2021. Un marché sur fonds propres…
Sur le tarmac des projets, on peut aussi citer la création de 30 brigades routières, en charge exclusivement de la police de la route, pour lutter contre la corruption, l’augmentation de la puissance et de la mobilité des escadrons de surveillance et de protection dont la dernière, celle de Kaffrine, devait être inaugurée courant juillet. Entre autres.
CHEIKH THIAM