Ces milices qui menacent la paix sociale

par pierre Dieme

L’Etat doit reprendre en main la sécurité du pays et mettre un terme à toutes les milices qui pullulent dans les chapelles politiques et les familles religieuses au lieu d’en faire des mouvements de sécurité privée auxiliaires

La tournée politico-économique qu’il vient d’effectuer dans le nord de notre pays, notamment dans le Fouta, a été ternie par la violence inouïe exercée par les nervis (tontons Mackytes en référence aux tontons Macoutes de la famille Duvalier de Haïti) qui accompagnaient le président de la République. Finalement, le message présidentiel aura été inaudible à cause de la violence gratuite exercée par des nervis pompeusement appelés les « marrons du feu » sur des populations sans défense.

Le mot « nervi » est d’origine marseillaise et tire son nom de « nerf de bœuf », une matraque ou cravache légèrement flexible, faite d’un ligament de bœuf séché et durci. Les voyous qui, dans les années 1840, s’en servaient pour menacer les passants et leur soutirer leur portefeuille s’appelaient « nervis ». Aujourd’hui, le mot signifie « homme de main » qui agit au nom d’un donneur d’ordre pour menacer, brutaliser ou tuer. Par conséquent, ce sont des individus peu recommandables qui jouent les gros bras pour le compte de celui qui les stipendie. Cela ne veut pas dire que les mastodontes bodybuildés qui s’occupent de la sécurité d’un leader politique ne peuvent et ne doivent pas être assimilés à des nervis. Les colosses qui accompagnaient le Président dans sa tournée ont fait systématiquement usage de violence sur les jeunes militants téméraires du mouvement « Fouta Tampi » qui estimaient que leur hôte n’a pas tenu les promesses d’investissement faites lors du Conseil des ministres décentralisé de mars 2013 à Matam. C’est depuis l’étape de Saint-Louis que les nervis, souvent en uniforme de style militaire, se sont déchainés sur tous ceux qui manifestaient leur colère contre le président. D’ailleurs, la police s’est même mêlée à cette chasse aux opinions divergentes car trois jeunes qui avaient déroulé une banderole sur le fronton d’un 2e étage d’un immeuble et sur laquelle était écrit « non au 3e mandat » ont été appréhendés par des policiers.

Pour le délit d’avoir exprimé leur opinion ! En fait, c’est dans cette ambiance de terreur physique et psychologique que s’est déroulée la tournée présidentielle. Combien de fois n’a-t-on pas vu des scènes des « Tampistes » pourchassés, attrapés, bastonnés aveuglément par les « marrons du feu », cette milice privée stipendiée par Macky Sall et dont le sergent recruteur se trouve être Mame Mbaye Niang ? Le plus paradoxal, c’est qu’au moment où ces jeunes Sénégalais, dont le seul tort est de vouloir dire non là où d’autres disent oui, sont battus et écrabouillés par ces nervis marrons en furie, les gendarmes étaient là inactifs comme s’ils étaient complices ou comme s’ils n’osaient pas s’en prendre à ces voyous qui accompagnaient Macky Sall dans sa tournée. Ces nervis identifiables par leurs tenues ont même pris la place des gendarmes formés à la bonne école de sécurité pour se mettre en première ligne dans la sécurisation du Président Sall. Selon Fatimata Ndiaye, la très médiatique et courageuse dirigeante de « Fouta Tampi », quand les marrons du feu les violentaient, les forces de l’ordre sont restés inertes comme si des injonctions venues de la superstructure leur interdisaient d’appliquer leur mission de protection et de sécurisation des citoyens.

A chaque régime, sa milice

Avant l’élection présidentielle de 2019, en réponse à un communiqué du C25, Mame Mbaye Niang, alors ministre du Tourisme, avait déclaré avoir personnellement procédé à un recrutement de gros bras, « qui ne vont, certes, s’attaquer à personne, mais qui seront très enclins à lapider tous ceux qui éprouveront le malin plaisir de s’en prendre à la Caravane de mon leader Macky Sall. » Ces gros bras dont parlait le ministre apériste constituent la milice appelée les « marrons du feu ». Elle nous renvoie aux heures sombres du Congo avec ses miliciens armés qu’étaient les « Ninjas » et les « Cobras » qui se sont illustrés dans les guérillas urbaines qui ont ensanglanté ce pays, d’août 1993 à février 1994. Ça tombe bien, d’ailleurs, puisque le président de la République est un grand ami du président congolais Denis Sasso Nguesso, qui avait créé une de ces milices pour combattre le président Pascal Lissouba, alors au pouvoir dans ce pays pétrolier d’Afrique centrale. Les « marrons du feu » sont aussi comparables aux jeunes Imbonerakure du Burundi dont l’organisation était assimilée à une milice aux ordres du pouvoir du défunt président Pierre Nkurunziza, depuis sa création en 2010. Ces miliciens sanguinaires étaient spécialisés dans la traque et le harcèlement d’opposants politiques. Les « marrons du feu » de Mame Mbaye Niang n’ont rien à envier à ces miliciensterroristes qui ont installé durablement leur pays dans la crise sécuritaire, la frayeur et la terreur.

Quand Macky était dans l’opposition et qu’il faisait l’objet d’un acharnement du pouvoir de Me Abdoulaye Wade, il était concevable, que, pour se défendre, il formât ses agents de sécurité appelés « Marrons du feu ». Mais aujourd’hui qu’il dirige ce pays, ces agents de sécurité privés transformés en nervis n’ont plus leur raison d’être puisque les policiers et gendarmes formés à bonne école sont les seuls habilités à assurer la sécurité présidentielle. Quand Wade était dans l’opposition, il avait mis sur pied les « calots bleus » connus pour leur agressivité. Sous le magistère du président Abdou Diouf, il y avait les Tonton Macoutes qui semaient la zizanie dans le milieu estudiantin rétif au pouvoir. Il se dit même que dans les années 76-78, les Tontons Macoutes du PS, en référence aux miliciens sanguinaires de la famille Duvalier de Haïti, menaient des opérations violentes sur le terrain universitaire hostile au régime de Senghor. A côté de ces miliciens politiques, il y a les nervis qui assurent la sécurité de certains chefs religieux notamment la Kara Security. Cette milice de Serigne Modou Kara, dont les membres sont appelés des « Soldats de Dieu » a été créée en 1995 parallèlement à son parti politique, le « Mouvement mondial pour l’unicité de Dieu » et est composée de plusieurs centaines de personnes. Elle ne laisse rien au hasard pour s’identifier : tenues neuves, chaussures brodequins, ceintures et autres accessoires vestimentaires clinquants.

Le 25 septembre 2009, les agents de la Kara Security, sous la houlette de Mame Thierno, frère de Kara, avaient investi les locaux du groupe de presse Wal Fadjri, pour tabasser les employés qui s’y trouvaient, saccager le matériel technique et pour caillasser les vitres en toute impunité. A l’origine de ce vandalisme, un article de presse dans lequel un frère du guide critiquait le choix de celui-ci d’apporter son soutien politique au Président Abdoulaye Wade.

L’alerte de Jamra

A la veille de la campagne électorale de 2019, consciente de la dangerosité de la prolifération de ces milices armées privées, l’ONG Jamra avait sorti un communiqué daté du 24 janvier 2019, condamnant la prolifération galopante des milices. L’ONG de Mame Makhtar Guèye alertait en ces termes : « Calots bleus », « Marrons du feu », « Soldats de Dieu »… Quelle solution à la prolifération de ces milices privées, sources potentielles de dérapage et de violences politiques ? Désarmer et dissoudre toutes les milices privées existantes semble la mesure la plus urgente, assortie de l’interdiction de la constitution de toutes formes de polices parallèles, pour ne redonner l’exclusivité de la sécurisation des élections qu’aux dépositaires légaux de l’autorité publique, à savoir : la Police, la Gendarmerie, l’Armée…

La loi n° 78-40 du 6 juillet 1978 interdit formellement l’exercice de toutes activités de police privée. Et soumet à autorisation préalable l’ouverture et l’exploitation de toute entreprise de surveillance, de gardiennage ou d’escorte de biens privés ». Aujourd’hui, l’Etat doit reprendre en main la sécurité du pays et mettre un terme à toutes les milices qui pullulent dans les chapelles politiques et les familles religieuses au lieu d’en faire des mouvements de sécurité privée auxiliaires. L’Etat est le seul détenteur de la violence légitime non privatisable et la sécurité surtout celle du président de la République ne saurait être mise entre des mains inexpertes. Il serait même normal que certains leaders qui ont un poids politique déterminé par des élections bénéficient d’une protection de l’Etat. Hélas, en lieu place d’une protection étatique, ces leaders sont quotidiennement harcelés voire agressés par les miliciens du régime en place.

Serigne Saliou Guèye

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