Contrairement aux précédentes tournées économiques du président Sall, celle entamée depuis cette semaine dans les régions de Saint-Louis et de Matam, malgré la ferveur populaire dans laquelle elle se déroule, a une particularité. En effet, elle a par moments des airs de corrida quand on sait qu’un peu partout, des manifestants portent des brassards rouges ou brandissent des étoffes écarlates pour exprimer leur mécontentement.
Si jusqu’ici les manifestations de brassards rouges se sont toujours exprimées dans un cadre serein, à Dodel, dans le Fouta, ce lundi, le cortège présidentiel aurait essuyé des jets de pierres de populations brandissant des brassards rouges. Les manifestants ont été finalement dispersés par le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).
Comme lors de la première partie de sa présente tournée économique à Kaffrine et à Kédougou, le président Macky Sall voit encore rouge lors de ce deuxième volet entamé depuis le 12 juin dans le nord du pays (régions de St-Louis et Matam). Entre manifestations bruyantes, mobilisation et démonstration de force de ses partisans, inaugurations, le chef de l’Etat a été obligé à plusieurs reprises d’arrêter son cortège pour parler à des populations en brassards rouges qui exposent différentes revendications tournant toutes autour de frustrations et d’ « oublis » dont feraient part les mécontents dans la mise en œuvre des projets et programmes présidentiels.
Ces protestations sont si récurrentes que les brassards rouges, qui bien évidemment ne faisaient pas partie du programme présidentiel, ont fini par bousculer le protocole d’Etat au grand dam des affidés locaux du chef de l’Etat qui n’auraient pas aimé voir une seule once de contestation au niveau de leurs terroirs car leur stratégie était de faire croire à Macky Sall que tout était nickel avec « zéro revendication », toutes les doléances avaient été satisfaites. C’est ainsi d’ailleurs qu’on a pu entendre le ministre des Finances et du Budget, Abdoulaye Daouda Diallo, déclarer que Podor n’avait aucune doléance où formuler au président de la République.
Venu pourtant s’enquérir de l’état d’exécution des projets et programmes qu’il avait lancés dans les régions administratives de Saint-Louis et Matam mais aussi — il l’avait fait savoir — recueillir les doléances des populations. Mais puisque celles de Podor n’en avaient pas, Macky Sall ayant déjà tout réglé… Pourtant, n’étant pas dupe par rapport à ces flagorneries, le président Sall a donné la parole aux populations de toutes les localités visitées.
De Sud-Est au Nord du pays, il s’est arrêté à chaque fois qu’il le pouvait pour discuter avec les porteurs de brassards rouges ou qui déployaient des pancartes dans lesquelles étaient inscrites des doléances. Il les a écoutés et leur a promis de régler leurs problèmes. Une chose qu’il ne faisait pas d’habitude. Depuis, les évènements du mois de mars dernier, qui ont vu le pays basculer dans une violence inouïe, sont passés par là.
Au cours de sa présente tournée dans le Fouta, malgré souvent la forte mobilisation des leaders politiques des localités visitées, ils n’ont pas pu empêcher l’expression de la colère de quelques segments de la population qui ont manifesté leur mal -vivre. Mieux, malgré le bilan assez positif du président en matière de réalisations, surtout infrastructurelles, des personnes ont exprimé un peu partout leur mécontentement.
Des protestataires que le président Sall a choisi d’écouter. Interrogé sur la signification de ces brassards rouges exhibés tout au long du parcours présidentiel, le sociologue Ousmane Ba définit d’abord ces brassards rouges comme l’expression d’une démarche pacifique des populations qui ont besoin juste qu’on leur prête une oreille.
« Les brassards rouges sont souvent l’affaire des Asiatiques. Mais ici, au Sénégal, c’est avec l’avènement du président Abdoulaye Wade que ce phénomène s’est implanté. Lui-même ayant invité les populations à exprimer ainsi leur colère. Et cela constitue une marque de fabrique de la démocratie », a expliqué le sociologue Ousmane Ba.
Par ailleurs, il rappelle que le discours du chef de l’Etat, Macky Sall, le 31 décembre dernier, où il disait en réponse à une question d’un journaliste qu’il « ne voit pas le rouge » avait été très maladroit. Pour le sociologue, c’était une erreur que le président ne devait pas commettre en s’exprimant comme il l’a fait. Car, selon Ousmane Ba, c’est cette phrase qui a sans doute poussé les jeunes à se radicaliser davantage du fait que le président de la République soutient ne pas voir la couleur rouge.
En brandissant cette couleur sous son nez partout, ils l’ont obligé à s’arrêter pour leur parler. Pour le sociologue, dans une démocratie active, les autorités doivent prêter attention à certains signaux comme le brassard rouge afin de pacifier l’espace. « Si le président Macky Sall avait été attentif aux brassards rouges, certainement que, lors des événements dramatiques du mois de mars dernier, les manifestants auraient fait usage de ces brassards rouges au lieu de verser dans la violence » suppose notre interlocuteur.
Ainsi, le sociologue Ousmane Ba soutient que, sociologiquement, il est préférable que les manifestants utilisent les brassards rouges au lieu d’exprimer leur mécontentement autrement. Mais, il faut que les autorités soient beaucoup plus attentives pour décrypter les messages de ces porteurs de brassards rouges. Lesquels, souvent, manifestent pour l’amélioration de leurs conditions de vie et le développement de leur Cité. Et ne sont donc nullement des « terroristes » ou des « grands bandits ».
Le Témoin