Loyer à Dakar, l’infernale spirale

par pierre Dieme

Se loger dans la capitale est devenu un casse-tête pour les jeunes familles qui cherchent à fonder leur cocon. Malgré les ajustements législatifs, le mal persiste. Comment en est-on arrivé là ? Enquête autour d’un phénomène aux multiples soubassements

Se loger à Dakar est devenu un casse-tête pour les jeunes familles qui cherchent à fonder leur cocon. Comment en est-on arrivé là ? La question est sur toutes les lèvres. La culpabilité, en bonne patate chaude se passe entre les mains des acteurs : bailleurs, agences, courtiers … et même locataires. Chacun cherche à se donner bonne conscience et incriminer l’autre. Malgré les ajustements législatifs, le mal persiste.

Une loi sur le loyer, sept ans après…

En 2014, le président de la République mettait fin à plus d’une décennie marquée par la hausse du prix du loyer. L’Assemblée nationale avait voté la loi portant sur la baisse des loyers n’ayant pas été calculés suivant la surface corrigée. La loi sur la baisse des loyers énonce que « les prix des loyers des beaux à usage d’habitation, à l’exclusion de ceux dont la fixation a été obtenue suivant la méthode de la surface corrigée, sont baissés. La baisse des loyers s’applique en fonction des tranches établies comme suit : une baisse de 29% pour les loyers inférieurs à 150 000 FCFA, 14% pour ceux compris entre 150 000 F CFA et 500 000 FCFA et 4% pour ceux supérieurs à 500 000 FCFA ».

Cette loi, promulguée par le Chef de l’Etat, est entrée en vigueur après sa publication au Journal Officiel daté du 22 janvier 2014. L’intention manifeste du Président sénégalais s’est heurtée à la ruse de certains propriétaires.

Tripatouiller la loi pour augmenter à nouveau

Une hausse considérable s’est déclarée sur beaucoup de maisons en location depuis 2014, année d’adoption de la loi sur la baisse. Ceci a été l’œuvre de bailleurs qui ont décidé d’interpréter la loi.

L’article premier de la loi dispose : « A compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, les prix des loyers des baux à usage d’habitation, à l’exclusion de ceux dont la fixation a été obtenue suivant la méthode de la surface corrigée, sont baissés… »

Tous les loyers qui n’étaient pas établis selon le calcul de la surface corrigée devraient à présent être soumis à la loi. Il s’agissait de baux à usage d’habitation en cours.

Des propriétaires ont certes acceptés et ont diminué, une autre catégorie a décidé de réévaluer leurs maisons sur la base de la surface corrigée et donc de fixer le loyer sur cette base. Ce qui a rendu cher car la majeure partie se basait sur les prix qui se pratiquait.

Bien que des sanctions soient prévues par la loi de 2014, ces actions ne sont pas prises en compte.

Le prix du loyer dépend… de la valeur de l’immeuble

L’article 572 du Code des Obligations Civiles et Commerciales, se basant sur la loi 84-12 du 4 janvier 1984 modifiée par la loi n°98-21 du 25 mars 1998 stipule « Que le bail soit à durée déterminée ou à durée indéterminée, le montant du loyer est fixé par rapport à l’évaluation faite de la valeur de l’immeuble ». Une valeur qui est calculée selon les barèmes cadastraux.

Comment Dakar est devenu si cher ?

2000, l’année de déclic

Avec l’alternance politique et l’avènement du siècle nouveau, d’importants projets ont vu le jour notamment ceux immobiliers. Il faut retenir que bien avant, dans les années 80, le loyer à Dakar connaissait une instabilité des prix. Sur ces entrefaites, une loi avait été adoptée pour sanctionner tout contrevenant.

Mais, dans la première décennie des années 2000, l’enjeu économique est notable et des investisseurs envahissent le champ de l’immobilier.

A côté, le boom démographique a rythmé la capitale en forte croissance. La concentration des services et sièges sociaux a participé à rassembler plus de personnes à Dakar.

A l’heure où la location devient de plus en plus chère, Dakar compte plus de 3 millions d’habitants en janvier 2021.

En 2004, une enquête de la Direction de la prévision et de la statistique faisait état du taux de ménages en location. Ainsi, en 2005, une enquête de l’Ansd révèle que sur les 176.602 ménages en location, la région de Dakar vient de loin en tête avec 71%.

En mai 2013, 45,4% des ménages dakarois et 18,5% de ceux des autres villes sont locataires tandis que seulement moins de 2% des ménages ruraux est locataire.

Dans l’exposé des motifs de la proposition de loi de 2014 portant baisse des loyers qui n’étaient pas calculés selon la surface corrigée, il est noté que « la hausse du coût des loyers est de l’ordre de 256,06% dans la région de Dakar de 1994 à nos jours, tandis que le coût moyen de construction des logements n’a connu qu’une augmentation de 44,04% ».

« Le loyer a augmenté de 200% entre 2014 et 2021 »

Les agences immobilières pullulent à Dakar. Ceci n’est pas un facteur de résolution de la problématique de la cherté de la location dans la capitale. En effet, la libéralisation du secteur dans les années a jeté les bases du dérèglement du métier. Dans cet entretien, Abdoul Kambane Diedhiou, fondateur de l’agence « Mon agent immobilier » et par ailleurs, vice-président de la Fédération des agences et courtiers immobiliers du Sénégal (Facis), revient sur les dérives du métier.

Quelle est la part des agences immobilières dans la problématique du loyer cher à Dakar ?

Un petit rappel s’impose avant d’aborder le fond de la question. En 1982, une loi relative aux activités de promotion, de transaction et de gestion immobilières, d’études et de conseil en organisation et en gestion d’entreprises et de conseil juridique a été adoptée. Ainsi, avec les décrets d’application, le métier était bien encadré. Pour ne pas être exhaustif, la loi obligeait une assurance de responsabilité civile, une caution de départ de 6 millions et une maîtrise en Droit.

Mais depuis les années 2000, avec la libéralisation du secteur, il faut juste s’inscrire comme société de prestation de service en immobilier dans le registre de commerce. Ceci marque le début de la déréglementation. Les agences ont commencé à pousser comme des champignons dans Dakar. La plupart d’entre elles exerce dans l’informel. Ces dernières sont créées par certains spéculateurs qui l’utilisent dans le but de rentabiliser leur investissement en moins de 10 ans. Sans éthique et formation professionnelle, motivés par le gain rapide, ces acteurs de circonstances contribuent énormément au jeu spéculatif par méconnaissance des lois et de la déontologie qui régissent le métier.

Personnellement, la responsabilité des agences est beaucoup plus dans la diffusion d’information à caractère spéculative sous le couvert d’investisseurs véreux.

Plusieurs propriétaires préfèrent créer des soi-disant agences immobilières pour influer sur les prix et avoir un meilleur taux de rentabilité. Une chose que nous dénonçons en tant que professionnel de l’immobilier.

Les agences immobilières ne sont, en réalité, que des acteurs intermédiaires entre le marteau du propriétaire et l’enclume du locataire mais le problème est ailleurs.

Il vient d’où alors ?

Pour rappel, le Sénégal se base toujours sur la surface corrigée, confirmée par la loi sur la baisse du loyer de 2014. Cette loi avait pour objectif de faire baisser les loyers en imposant un certain taux de réduction aux propriétaires n’ayant pas fixé le loyer par la surface corrigée.

 En attente d’une baisse, nous avons tous assisté à un effet contraire qui a fait boule de neige. Les loyers se sont envolés de manière incontrôlée.

Le réel problème responsable de cet effet papillon réside dans la méthode de calcul du loyer. La surface corrigée, étant une méthode cadastrale de calcul de loyer, empruntée de la colonisation, a toujours eu pour objectif de définir le loyer taxable par les impôts. Cette loi est plus un instrument fiscal d’aide à la taxation qu’un régulateur de loyer.

Dans ce mode de calcul, le taux de rentabilité locative de 14% est imposé pour le calcul du loyer. Ledit taux est carrément en déphasage avec la réalité du marché sénégalais, car la rentabilité locative est bien inférieure.

 La loi de 2014 est intervenue au moment où le taux de rentabilité locatif réel était stable autour de 6 % à 8% pour les loyers à usage d’habitation après une hausse vertigineusement entre 2000 et 2012.  En appliquant le barème de 14% requis par la surface corrigée, les propriétaires réussissent à gagner délibérément 8% de plus sur le taux de rentabilité soit une augmentation de près de 80% du loyer.

 Les propriétaires ayant découvert ce levier financier pour augmenter leur loyer du simple au double.

 Même les propriétaires, n’étant pas dans la logique spéculative, se sont alignés pour éviter d’être les victimes de la loi. Ce qui s’en suit est vécu par tous, préavis propriétaire, rafistolage de propriété et augmentation par la surface corrigée et le tour est joué. Les loyers flambent.

Le président de la République, voulant bien faire et soulager la masse sociale, a pris une décision salutaire d’une baisse du loyer pour une partie vulnérable de la société. Néanmoins, certains acteurs ont trouvé des voies et moyens pour la contourner. Dans ce genre de situation, Il faut avoir l’œil d’expert pour une analyse parfaite.

 Tant que nous nous baserons sur la surface corrigée pour le calcul du loyer au Sénégal, le loyer sera toujours élevé parce que le foncier est très spéculatif, les constructions très couteuses et le financement est très abusif avec des taux de 10% TTC en moyenne inférieure au taux de rentabilité réel du marché.

 Les chiffres sont parlants : avant 2000, il y avait 54% de propriétaires contre 46% de locataires en se référant l’étude de l’ANDS de 2010 sur les loyers. De nos jours, nous observons un taux 64% de locataires contre 36% de propriétaires en 2021. La cherté du loyer est le principal obstacle de l’accès à la propriété du sénégalais lamda.

Quelles sont les solutions pour bloquer les inflations futures ?

 Les inflations immobilières au Sénégal peuvent être régulées en impactant de manière fortes et systématiques sur le secteur, les acteurs, les politiques. Les solutions primordiales sont au nombre de tris :

Il y a d’abord, la régulation du secteur et l’accès au métier d’agent immobilier. L’Etat se doit de contrôler l’accès au métier d’agent immobilier au Sénégal sous l’égide d’organisation telle que la FACIS qui regroupe plus de 300 agences et courtiers immobiliers. Dans cet élan de régulation, nous avons depuis 2017, soumis au ministère du Commerce un document basé sur une étude rigoureuse des membres de la FACIS avec des experts renommés et en conformité aux réalités du métier, une proposition sur le nouveau cadre réglementaire de l’agent immobilier au Sénégal. Nous sommes toujours en attente d’une suite favorable.

L’autre solution est relative au mode calcul basé sur un indice de loyer national. Ainsi, le calcul du loyer doit se faire sur une analyse pertinente du marché avec l’appui de l’ordre des experts immobiliers, des notaires et la chambre d’agences immobilières, la FACIS et non des associations consuméristes qui ne maîtrisent rien en matière immobilière. Seul cet indice de loyer publié périodiquement pourra faire foi dans le calcul de loyer.

La troisième et dernière solution concerne la politique de loyer social. En effet, l’Etat du Sénégal doit mettre en place une politique de loyer social en partenariat avec les agences immobilières et les structures étatiques telles que la Sicap, SNHLM et la CDC.

Dans tous les pays occidentaux, les loyers sociaux représentent au moins 34 % du parc locatif pour contrecarrer les offres du privé. Ceci permettra de stabiliser l’offre locative et réduire l’impact du secteur privé dans la spéculation immobilière.

Enfin, nous lançons un appel au gouvernement de bien vouloir interagir avec les vrais acteurs du métier pour un impact réel des politiques gouvernementales en matières immobilières.

A noter, par ailleurs, que les agences immobilières doivent toucher entre 4 et 6% de commissions selon la valeur du loyer mensuel.

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