Selon le communiqué du Secrétariat exécutif national (Sen) de l’Alliance pour la République (APR) — une instance qui s’est réunie vendredi dernier —, le président dudit parti, Macky Sall, a entériné l’exclusion de Moustapha Diakhaté prononcée le 21 janvier par la commission de discipline composée de quatre personnes dont un absent. Cette décision frappée du sceau de l’illégalité laisse de marbre son principal destinataire qui considère que la prétendue commission de discipline n’existe que dans la tête de ceux qui ont décidé de l’exclure de l’Apr.
En effet, dans les textes du parti présidentiel, il n’existe nulle part une commission chargée de régler les problèmes disciplinaires. L’instance habilitée à proposer des sanctions disciplinaires est le sen qui fait une proposition au président du parti, lequel, en dernier ressort, prend la décision qui sied. l’article 21 des statuts de l’APR stipule : « Les sanctions sont prononcées par le Président, sur proposition du Secrétariat exécutif national ; avec possibilité de recours auprès du Conseil national dont la décision en l’espèce est sans appel. Le Président peut être saisi d’office par les Délégations départementales, les Délégations extérieures, les Organismes internes et Organismes affiliés et, de manière indirecte, à travers le Secrétariat exécutif national.
En cas d’urgence, et sous réserve d’en informer le Conseil national, le Président peut prononcer à l’encontre d’un militant toute mesure relevant de la grille de sanctions ». Il faut rappeler que Moustapha Diakhaté, depuis la réélection de Macky Sall, s’est inscrit dans une posture de vigie au sein de son propre parti. Quand, à l’intérieur de celui-ci et en dehors, des rumeurs persistantes d’un troisième mandat de Macky Sall ont commencé à sourdre, il n’a pas hésité à prendre une position radicale et claire, lors d’une émission dominicale, sur cette question qui est un sujet tabou au sein de l’apr.
Conséquence de cette outrecuidance : le lundi 28 octobre 2019, le président de la République a limogé Moustapha Diakhaté de ses fonctions de ministre-conseiller. une sanction qui n’a guère ébranlé l’intéressé qui pense que le combat pour une APR structurée et démocratique est un devoir citoyen. Et dès l’instant que ce débat remet en cause la présidence du parti qu’occupe « illégalement » Macky Sall depuis le 1er décembre 2013 — date à laquelle il fallait renouveler ledit poste —, la garde prétorienne du parti présidentiel, par la voix de l’homme-lige Mahmout Saleh, n’a pas hésité à exiger la réactivation de la commission de discipline pour faire taire les voix discordantes de Diakhaté, de Cissé Lo et de Malaw Sow qui commencent à secouer l’apr.
Ainsi en huit jours, la machine à broyer a été mise en branle pour exécuter le rebelle coriace de la formation marron-beige. « Aujourd’hui, nous sommes une masse informe, il n’y a pas de structuration, le parti n’est pas organisé, la seule instance qui fonctionne, c’est le secrétariat national. Il y a même des instances qui ont été prévues mais qui n’existent pas encore. La présidence du parti, qui regroupe le président élu pour un mandat de 5 ans, celui de Macky Sall, a expiré depuis six ans.
Il y a deux vice-présidents, deux coordonnateurs qui ne sont pas nommés. Aucune instance ne fonctionne dans les 557 communes », a déclaré le « rebelle » au micro de Mamadou Ibra Kane le 19 janvier. Qui avance donc des propositions de refondation à consigner dans un manifeste intitulé « Les années de l’Apr, de la révolution à la rectification ». dès le 20 janvier, le député Abdou Mbow a parlé d’ « auto-exclusion » de Moustapha Diakhaté dont il considère la démarche comme fractionniste.
Et le 21, la commission de Mahmout Saleh composée de trois personnes (Abdou Mbow, Abdoulaye Badji et Benoit Sambou), en l’absence de Mbaye Ndiaye, directeur des structures, a pris la décision illégale d’exclure Moustapha Diakhaté des rangs de l’apr. une décision qui a provoqué la colère de Malaw Sow, le président du conseil départemental de nioro, qui a disqualifié la commission de discipline en soutenant qu’elle n’est pas compétente pour procéder à des exclusions.
Une chose est sûre : l’exclusion de Moustapha Diakhaté représenterait une perte énorme pour l’APR puisque les revendications que porte l’ancien président du groupe parlementaire de la majorité à l’assemblée vitalisent la démocratie au sein du parti au pouvoir. Surtout que tout le monde sait que l’ex-chef de cabinet du président Macky Sall n’est pas du genre à renier à ses convictions.
Quand il engage un combat, il va jusqu’au bout quitte à y laisser des plumes. Quand il était employé à la Bceao, il avait été licencié en tant que secrétaire général du syndicat des travailleurs des banques et établissements financiers du Sénégal (sytbefs). sous le magistère du tout-puissant Abdoulaye Wade, il n’avait pas hésité à mettre en place le mouvement « Wacco ak alternance » dans le but de contrecarrer tout projet wadien allant dans le sens d’affaiblir la démocratie pour laquelle les sénégalais ont voté l’alternance en 2000.
Et pourtant, ceux qui, sous le pouvoir du même Wade, chantaient l’infaillibilité du pape du Sopi ont été les premiers à remettre en cause son manque de démocratie après l’alternance de 2012. Ils ont été aussi les premiers à quitter le pds pour créer leur propre formation politique ou prendre le chemin de la transhumance. Rares sont ceux qui avaient osé partager la ligne contestataire de Diakhaté. Aujourd’hui, le même Diakhaté est considéré comme le chantre et le centre de la contestation au sein de l’apr.
Diakhaté : le cheval de Troie
Le combat que mène le rebelle Diakhaté a des chances d’être le réceptacle de tous les militants frustrés (et dieu sait qu’ils sont nombreux !) de l’APR qui pensent être victimes d’exclusion. Il constitue le cheval de Troie qui risque d’affaiblir à court ou moyen terme l’apr. Surtout à mesure que l’on s’approchera de 2024 et que les intentions et ambitions des uns et des autres se découvriront au grand jour.
Aujourd’hui, il appert que les frustrés sont légion au sein de l’APR et un cadre comme celui que l’ancien chef de cabinet du président Macky Sall a mis en place leur est favorable pour exprimer leur mécontentement ainsi que leur colère. Quand Djibo ka a créé le courant du Renouveau démocratique, les frustrés socialistes ont adhéré à la lutte qu’il entendait mener au sein de sa formation politique. par la suite, il a quitté cette formation pour créer l’Urd.
Quand Moustapha niasse lui a emboité le pas en créant l’Afp, les adhésions de militants socialistes ont afflué. Et ces nouvelles formations politiques issues des flancs du Ps qui ont fini par cristalliser les mécontentements de ces frustrés et exclus du ps ont contribué à la chute du président Abdou Diouf.
Les départs d’Idrissa Seck et de Macky Sall en douze ans de règne libéral ont mis un terme à la présidence d’Abdoulaye Wade en 2012. Les nuages d’une fin de règne de l’APR commencent à s’amonceler avec les frustrations fréquentes de militants de la première heure écartés pour la plupart au profit des ralliés et des transhumants.
Aujourd’hui, Moustapha Diakhaté est victime d’un couperet asséné illégalement par le leader de l’apr. D’autres victimes sont en vue. L’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane, qui compte mener la bataille des locales contre le frère de la première dame, Mansour Faye, actuel maire de Saint-Louis, risque d’être le prochain condamné à la décapitation.
Moustapha Cissé Lo qui envisage de se présenter aux locales de Dakar avec ou sans l’aval de son parti peut subir la même sanction. Malaw Sow de Nioro est mis sur la touche depuis qu’il a osé remettre en cause les personnes choisies au bureau de l’assemblée nationale. Toutes ces figures de proue de l’APR, qui ne sont plus en odeur de sainteté avec leur leader, peuvent subir les foudres du « Républicain » en chef s’ils persistent dans leur ligne contestataire. or, à force de sanctionner toute discordance discursive, l’on finira par donner aux frustrés les moyens politiques dont ils manquaient pour engager le combat vindicatif contre leur propre parti.
PAR SERIGNE SALIOU GUEYE