Cher Guy-Marius,
Par Adama Gaye*
Cela fait un bail. Je prends cependant plaisir à t’écrire parce que les circonstances, graves, l’exigent. Comment puis-je rester insensible après l’attaque dont tu as été l’objet hier de la part de ce qu’on appelle, sans s’en émouvoir, des nervis, un ramassis de malabars, qui ont donc failli t’ôter la peau. Je ne suis pas de celles et ceux qui prennent cette affaire à la légère. Elle est venue nous rappeler que nous sommes tous, surtout les militant (e) s des libertés démocratiques et de la bonne gouvernance en danger de…mort dans un pays où la sécurité des personnes n’est plus garantie par un Etat plus complice des assassins, tueurs, que de remplir sa mission régalienne de gardien des conditions de vie des citoyens sous son imperium.
«Tant pis», entend-on même persifler de certains cercles où l’on ne cache plus le dépit que tes semblables et toi leur inspirez à trop vouloir continuer un combat citoyen multiforme et omniprésent.
Tu es le symbole de la lutte qu’ils abhorrent. Par la force des choses, en effet, il ne se passe plus un jour sans que tu sois sur le terrain.
Or, il y a à faire, car partout, le feu prend. Les crises s’allument quasi-simultanément à un rythme infernal. Le pays va mal. La mal-gouvernance règne en règle. Les droits des citoyens sont piétinés. L’impasse économique est générale. Le jeu politique flou, sous le genou d’un autocrate devenu, de surcroit, aussi hystérique que violent, assassin, atteint d’une fébrilité irrationnelle qui en dit long sur son incapacité à contenir les défis, encore moins à y répondre.
De partout, cher Guy-Marius, dans un pays frappé d’anomie, tu apparais comme l’ultime torche pour mettre la lumière sur les zones d’ombre qui obscurcissent l’horizon. C’est dire qu’autant tu incarnes l’espoir autant les risques que tu prends deviennent toujours plus dangereux.
En temps normal, personne ne se serait étonné qu’une sécurité attachée à ta personne te soit accordée, mais tel n’est pas le cas. Ceux qui ont en charge la sécurité des personnes (sensibles) s’en soucient comme de leur première culotte. Ils ont pris le pli de s’allier avec les nervis et autres destructeurs de valeurs démocratiques et de libertés publiques ou individuelles. C’est pour l’avoir très vite pigé, dès qu’ils m’ont illégalement jeté en prison, que je m’étais résolu à emprunter le chemin de l’exil. Depuis lors, depuis bientôt deux ans, la situation s’est dégradée. On voit même des nervis, armes à la main, tirer à balles réelles, tuer, d’innocents citoyens. Plus personne n’est donc en sécurité dans cette vaste pétaudière que le Sénégal est, où le Léviathan n’est pas bénévolent mais assassin…
Et tous, nous avons encore vu, hier, que dans un pays où, à l’air libre, des milices privées et publiques agissent sans contrainte ni contrôle, au service d’intérêts criminels, sous couvert d’autorités officielles, aucune mesure n’a été prise pour te protéger face à la foule qui t’a attaqué, alors que tu te trouvais à Nianing, dans cette localité située à près de 80 kms de la capitale Sénégalaise.
Pendant que les nervis, terme devenu le plus viral dans la République dévoyée qu’est maintenant le Sénégal, s’en donnaient à cœur-joie, le hic fut que cela se passait sous le regard débonnaire, inactif, voire complice, ravi, d’un gendarme, réduit à un statut de spectateur.
On a déjà connu des instances où des gendarmes prenaient leur pied en torturant d’innocents citoyens, comme ce fut le cas pour le jeune Ardo Gningue, par les pandores de Tivaouane, voici à peine quelques mois. Eux, comme on dit, violaient les droits d’un citoyen par commission, sans se soucier de passer à côté de leur mission. Quant à celui sous les yeux duquel tu fus l’objet d’une attaque qui a failli virer au pire, se foutant royalement de ce que tes droits démocratiques étaient violentés, il a complété la gamme en agissant par…omission.
Ainsi va le Sénégal, cher Guy-Marius. Alors que tout le monde observe, sans voix, le démantèlement des fondamentaux du pays, notamment par des énergumènes de l’acabit de Maguette Sène, un hiérarque du parti (illégitime) au pouvoir, par ailleurs maire de la localité de Nianing dont tu étais allé démonter les méfaits fonciers, le plus tragique, c’est que, désormais, prendre fait et cause pour ce qui est juste, normal, suscite un mouvement de rejet d’une population non seulement lassée mais prompte à s’aligner sous les couleurs des ennemis de la République, de la démocratie, de la gouvernance par la règle de droit.
Plus personne ne doute que tu es un homme valeureux. J’ai, pour ma part, appris à mesurer ta générosité quand, après avoir partagé avoir toi un illégal séjour carcéral, tu eus l’élégance de dire à la face du monde, une fois après ta sortie, que ton co-pensionnaire que j’étais était un roc, insensible aux menées crapuleuses auxquelles un pouvoir désireux de me réduire en silence, en tentant de m’humilier, avait recours.
Vois-tu, Guy-Marius, c’est notre peuple et notre pays qui marchent sur la tête. Sens dessus, dessous. Et c’est pourquoi, atteint d’on-ne-sait quelle irrationalité, on y est arrivé à tolérer l’intolérable, notamment le maraudage de nervis, dont certains ont mandat de tuer, et le font sans états d’âme, au grand jour. C’est cette même logique qui explique le silence fracassant des forces dites vives de la nation au moment où les valeurs démocratiques sont détricotées. Ou encourage l’incroyable propension à passer par pertes et profits les crimes nombreux et divers de celui qui dirige le Sénégal, Macky Sall, au nom d’une élection illégitime et frauduleuse.
Je me demande d’où tu tires ton énergie pour ne pas abdiquer. Tant, j’en suis sûr, qu’il ne manque pas de ces appels insidieux que nos compatriotes ont pris l’habitude de lancer à celles et ceux qui empêchent de tourner en rond, de se taire sur les dérives. Je les entends : cesse d’accabler Macky, Parlons d’autre chose.
C’est par leurs offensives psychologiques de découragement des combats citoyens et démocratiques, ainsi banalisés voire méprisés, que d’autres nervis, plus dangereux que les musculaires, s’emploient à tuer toute volonté d’œuvrer, au nom de la démocratie, à mettre la lumière sur les maux, en des mots et mouvements crus, courageux, pour remettre à l’endroit ce pays et ce peuple qui marchent, je l’ai dit, sur la tête.
Le combat n’est donc pas une partie de plaisir. Et ce n’est pas demain la veille qu’il sera adopté par nos compatriotes, résignés et n’ayant plus l’envie de se préoccuper d’enjeux moins pressants que ceux qui s’attachent à leur survie alimentaire ou sanitaire. Est-ce un luxe, une folie, une…abondance de temps, que de vouloir jouer aux trouble-fêtes ?
Il y a fort à parier que l’arbitrage penche encore du côté des criminels mais nous savons tous que la sociologie peut prendre une direction différente dès que le mental, le compas moral, soudain pénétré de la signification des priorités, des causes du mal-être et du mal-vivre, de la destruction nationale, se sera rendu compte que la guerre n’est pas une affaire personnelle. C’est la nation qui est interpellée.
Je suis Guy-Marius.
Amitiés d’un ex-forçat, obligé de vivre en exil parce que le droit et la légalité ont été assassinés au Sénégal comme l’ont été les espoirs et tant de jeunes, sans oublier des adultes transformés en hères désincarnées.
Nous gagnerons. Quand tous comprendront…Les lueurs de l’aube pointent sous le manteau de la nuit qui s’achève. La victoire est proche.
Adama Gaye* est un exilé, opposant au régime de Macky Sall.
Lettre à Guy-Marius Sagna
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