Il a été relevé dans le texte, une propension à réduire l’Etat de droit sous des idées lapidaires à une seule dimension : l’indépendance de la Justice. Le manifeste se situe hors contexte et rate son envol intellectuel
L’État de droit, je précise d’emblée, découle d’une dynamique continue de construction, se renforçant et se consolidant chaque jour davantage dans notre pays, suivant un processus ne décrivant pas systématiquement dans la perception de tout le monde, un linéaire simplifié. Cette concession préliminaire n’est toutefois que la reconnaissance de l’imperfection de l’homme et de ce qu’il crée, outre celui d’un environnement parfois complexe sur lequel son emprise est objectivement limitée.
Ainsi, il est unanimement partagé que la construction d’un État de droit est un processus, un questionnement perpétuel en quête de renforcement, d’ajustement et d’adaptation, à partir des variations des aspirations du mieux-être humain. Tout comme, l’État de droit se raffermit à l’épreuve de la lumière de la critique rationnelle qu’imprime l’évolution des philosophies politiques ambiantes.
Dans le contexte de notre pays, l’instauration d’un État de droit est le fruit de l’évolution du Sénégal lui-même et du sénégalais, réputé épris de liberté individuelle et collective. À ce titre, force est d’admettre qu’il ne peut être aucunement question d’un recul ou d’un affaissement quelconque, surtout pas par l’effet d’une simple proclamation du groupe dit des 102. On ne pourra jamais y arriver par le biais d’un manifeste s’inspirant dans son approche des méthodes et du langage d’un certain syndicalisme actif en milieu universitaire.
Je ne perds pas de vue le nombre qui a proclamé (102) ni leur qualité d’universitaires éprouvés. Je ne perds pas non plus de vue le souci de légitimation du manifeste, avec la laborieuse tentative de le placer dans l’esprit et le sens de la trajectoire historique du texte publié le 18 novembre 1979, dans le journal Taxaaw, animé à l’époque par le groupe politique dirigé par le Professeur Cheikh Anta Diop. Je constate tout cela, en m’interrogeant si nous ne sommes pas en face d’une falsification de la réalité historique. En rappel, à l’époque du manifeste de l’illustre Cheikh Anta Diop, la Chambre administrative de la Cour suprême avait un an auparavant, décidé du rejet du recours en excès de pouvoir dirigé contre la décision de non-reconnaissance comme parti politique du Rassemblement national démocratique (RND). La tournure de l’affaire était la conséquence juridique de la limitation des courants dans lesquels les partis politiques devaient s’identifier pour être reconnus, suite à une loi que le chef de l’État de l’époque, le président Léopold Sédar Senghor, avait fait voter. Le manifeste des 102 se situe ainsi hors contexte et rate complètement son envol intellectuel. Le constat n’est pas chose ordinaire et semble étonnant pour des scientifiques du rang des auteurs du manifeste de l’année 2021 des 102. Je trouve osées la démarche de questionnement et la grille d’examen critique ayant abouti à leurs conclusions.
Je rappelle que la base de la science est entre autres, le doute ou la circonspection raisonnable. Finalement, la démarche comporte un énorme dysfonctionnement méthodologique qui vicie la substance des énoncés et disqualifie les conclusions. Sous ce rapport, et retenant la fausse référence au contexte de 1979, je comprends mal qu’ils puissent écrire de façon aussi péremptoire que l’État de droit au Sénégal est en déliquescence. Dès lors, gardons-nous de considérer les titres et grades portés en bas de signature, comme garantie de rigueur scientifique, en considération de l’ampleur des généralités évasives sur les points essentiels de la réflexion.
En effet, la lecture de ce texte douteux par son contenu ne laisse entrevoir que des divagations d’inspiration émotive et autres suppositions ou inductions, qui ne se rapportent à aucun constat objectif. Le manifeste contient tout au plus que de la rhétorique, d’un rappel de certains principes relatifs à la nature et au contenu théorique d’un État de droit. En cela, le manifeste prend l’allure d’une synthèse de travaux de recherche destinés à faire comprendre certains critères d’appréhension d’un sujet de laboratoire. Toutes choses bien assimilées par les étudiants, en direction de la préparation des mémoires de fin d’études.
Pour en revenir à l’objet du manifeste, il a été relevé dans le texte, une propension à réduire l’État de droit sous des idées lapidaires à une seule dimension : l’indépendance de la Justice. Cette indépendance du 3e pouvoir de la République est elle-même réduite à la seule question des procédures pénales engagées contre des personnalités politiques, notamment celles relevant de l’opposition démocratique. Examinant de façon spécifique les cinq derniers paragraphes du manifeste, je note avec surprise ce qui a été consacré à la crise du droit et la menace pesant sur l’État de droit. Les énonciations sommaires semblent suffire au bonheur de formuler des accusations. Je voudrais bien faire accepter, à ces professeurs et autres assimilés, que nul parmi eux n’ignore ce qui constitue et identifie les marques d’un Etat de droit. Seulement, les rédacteurs se gardent volontairement d’évoquer d’autres critères et marques importantes, préférant s’en tenir strictement à ce qui constitue leur unique préoccupation : l’indépendance de la Justice, la seule question débattue dans le vaste débat suscité. Là, aussi, je rappelle qu’il s’agit des seules procédures pénales engagées contre des politiques en délicatesse avec la loi et des activistes tout aussi en délicatesse avec celle-ci. Pour faire court, le critère d’identification d’un État de droit intègre certes la question de la justice pénale qui constitue le centre d’intérêt du groupe des 102, toutefois, il la déborde largement et la transcende par sa globalité plus significative. Un État de droit, par opposition à l’État de police, « est celui dans lequel
Ainsi, il est postulé l’idée que la primauté du droit soit une réalité vécue, la soumission au droit une donnée fondatrice de la conduite des autorités et de celle de tous les citoyens. La question de la légalité essentielle dans un État de droit réfère à la primauté du droit tantôt évoquée, sans parler du respect du droit, tout aussi décisif dans la détermination des marques d’un État de droit. Que dire de la sécurité juridique ? Elle suppose une accessibilité de la loi et celle des décisions de justice. La mise à disposition de l’ensemble des textes législatifs et réglementaires, ainsi que celle de tout support de droit est organisée et surveillée avec une attention toute particulière.
On exige aussi dans un État de droit la prévisibilité de la loi, la stabilité et la cohérence du droit. Il faut ajouter à cette exigence un autre impératif : celui de la non-rétroactivité des lois et la force de la chose jugée. On aurait pu continuer sur cette énumération, si on a voulu mettre en exergue quelques autres critères et marques, c’est uniquement pour mettre en évidence le caractère trop restreint du choix d’universitaires qui se contentent des seuls éléments tirés du cinquième bloc des critères habituellement cités pour identifier un État de droit. Cette manière exclusive et réductrice de procéder est aux antipodes d’une démarche et de la rigueur scientifiques.
Pour finir, il convient de rappeler que la procédure pénale ne vise qu’un seul but : la manifestation de la vérité afin de faire appliquer ce qui est prévu par la loi et uniquement par la loi, suivant des procédés préétablis qui accordent une attention particulière au principe constitutionnel du respect des droits de la défense.
PAR LATIF COULIBALY