Annexion de la Gambie: pourquoi le Président Diouf a raté le coche…

par Dakar Matin

​Courant 2013, le colonel Abdourahmane Ngom dit Abel qui vient d’être arraché à l’affection des siens nous avait reçus dans son domicile au Point E. Au cours d’une longue interview exclusive consacrée à l’opération militaire « Fodé Kaba 2 » en Gambie, l’ancien commandant du corps expéditionnaire sénégalais dans ce pays lové à l’intérieur du nôtre, avait exprimé un gros regret en ces termes : « En 1981, le Sénégal a raté le coche de n’avoir pas annexé la Gambie…» confiait le colonel Abel Ngom que « Le Témoin » avait réussi à faire parler pour la première fois depuis qu’il s’était retiré du commandement. Pourquoi le Sénégal du président Abdou Diouf avait-il raté le coche ? Quarante ans après cette intervention militaire ayant fait échouer la mutinerie de Kukoï Samba Sanyang, « Le Témoin » d’apporter une réponse à cette question…

« Cette année-là, le Sénégal a raté le coché de n’avoir pas annexé la Gambie…» avait déclaré le colonel (Er) Abdourahmane Ngom dit Abel au cours d’un entretien exclusif qu’il avait accordé au « Témoin ». Récemment rappelé à Dieu à l’âge de 89 ans, le défunt officier parachutiste a marqué et marquera à jamais l’histoire de l’Armée nationale pour avoir commandé les troupes sénégalaises de l’opération « Fodé Kaba 2 » en Gambie (1981). « Raté le coche !», si c’est le colonel Abel Ngom qui l’a dit, il fallait bien le croire puisqu’il était le mieux indiqué. Ou, du moins, l’un des mieux indiqués. Pourquoi le président de la République d’alors Abdou Diouf a-t-il raté le coché de n’avoir annexé la Gambie, un pays cerné des trois côtés par le Sénégal ?

Et pourtant, selon un ancien conseiller politique très influent du même président Abdou Diouf, des diplomates d’une grande organisation mondiale avaient recommandé au Sénégal d’annexer la Gambie, histoire de faire de « Fodé Kaba 2 » d’une pierre deux coups. C’était en 1981, lors de la mutinerie dirigée par Kukoy Samba Sagna qui s’était emparée du pouvoir du président Daouda Keiraba Jawara. Ce qui avait entraîné l’intervention de l’armée sénégalaise qui avait réussi à rétablir l’ordre constitutionnel à Banjul après avoir chassé les putschistes et libéré les officies faits prisonniers en même temps que des membres de la famille présidentielle.

Selon l’ancien ambassadeur et conseiller d’Abdou Diouf, plusieurs facteurs et enjeux relatifs à la politique du Sénégal et géopolitiques par rapport à la Gambie justifiaient ce projet d’annexion. « Comme arguments pour justifier cette annexion, ces diplomates internationaux avaient soutenu que le Sénégal est l’un des pays les plus stables d’Afrique. Mieux, le Sénégal est souvent cité comme un exemple de démocratie apaisée en Afrique de l’Ouest. Ayant une armée professionnelle, disciplinée et républicaine, il était l’un des rares pays africains qui n’avait pas connu de coup d’Etat militaire. Compte tenu de tous ces facteurs, entre autres, ces diplomates avaient estimé que le Sénégal devait annexer la Gambie pour plus de stabilité dans ce pays anglophone et ensuite pour mieux la protéger face aux prédateurs extérieurs. Pour encourager le président Abdou Diouf dans ce projet d’annexion, ces diplomates avaient soutenu que l’ancien colonisateur britannique n’allait pas s’y opposer dès lors qu’il était préparé à un tel projet de réunification des deux pays » nous a confié notre ancien diplomate, ancien conseiller du président Abdou Diouf.

De tels arguments suffisaient-ils pour pousser le Sénégal à annexer un pays souverain ? Pour pouvoir répondre à cette question, nous nous sommes rapprochés de responsables politiques et militaires de l’époque. Il ressort de leurs témoignages et expériences qu’en 1981, tous les facteurs — notamment diplomatiques — étaient réunis pour annexer la Gambie. Seulement voilà, le président Abdou Diouf ne disposait pas des moyens techniques et financiers nécessaires pour faire aboutir ce projet. Pire, « Fodé Kaba 2 » coïncidant avec l’arrivée du président Abdou Diouf à la magistrature suprême était intervenue au moment où le Sénégal traversait une crise financière et alimentaire due à la grande sécheresse.

Le Sénégal, comme tous autres pays du Sahel, souffrait d’un déficit pluviométrique sans précédent. Dans plusieurs départements du Nord, notamment Matam, Kanel, Ranérou, et Podor ainsi que le Sud du pays comme la Casamance la situation pastorale et alimentaire s’avérait très précaire. La montée en puissance des périls alimentaires faisait entrevoir à l’horizon le spectre d’émeutes de la faim. « Donc, face à cette sécheresse qui menaçait le régime, le président Diouf ne pouvait nullement « annexer » voire administrer un pays aussi pauvre et agité que la Gambie. Rien que cela justifiait que le président Abdou Diouf rate le coche » indiquent nos interlocuteurs.

Recommandation ou propositions de coulisses…
Prenant leur contrepied, un ancien chef d’état-major particulier (Cempart) du président Abdou Diouf pense qu’il n’y avait pas de coche au point de le rater. « Il est vrai qu’à l’époque cette fameuse « recommandation » d’annexion faisait débat ! Car tout le monde sait très bien que l’organisation internationale dont parlent vos sources ne recommande jamais l’annexion d’un Etat par un autre Etat. Pour elle, il n’y a ni grands ni petits pays mais des Etats qu’elle reconnaît. Et tous ses Etats membres sont considérés comme souverains et égaux ».

« Mieux, toutes ses décisions se prennent de façon officielle à travers des résolutions. Or, de ce point de vue, il n’y a jamais eu de résolution recommandant au Sénégal d’annexer la Gambie. Ce même si le président Abdou Diouf reconnait lui-même dans ses mémoires (livre) qu’à l’époque le Sénégal jouait déjà un rôle prépondérant dans cette organisation. Je suis bien placé pour dire au journal « Le Témoin » que cette soit disant « recommandation », ce n’étaient que des propositions de coulisses qui font les charmes du siège de cette organisation ! » explique cet ancien Cempart du président Abdou Diouf. «

Certes, le Sénégal avait la puissance militaire pour annexer la Gambie, mais la puissance diplomatique faisait défaut pour pouvoir convaincre la communauté internationale. La puissance économique et financière n’en parlons pas ! » estime notre ancien officier-général à la retraite.

En lieu et place de l’annexion, une Confédération !
Quoi qu’il en soit, en lieu et place d’une annexion pure et simple, le président Abdou Diouf avait opté pour une « Confédération » qui avait l’avantage de revêtir les habits de la légalité ! Ainsi est née la Sénégambie, consacrant l’union entre le Sénégal et la Gambie (1982-1989) afin de promouvoir la coopération entre les deux nations, surtout dans le domaine des affaires étrangères et des communications internes. Mais aussi, et bien sûr, de la défense. Il s’agissait notamment, pour le Sénégal, de désenclaver la Casamance, sa région méridionale partiellement isolée du reste du pays par le territoire gambien.

Dans ses « mémoires » publiées en 2014, le président Abdou Diouf a justifié les raisons ayant prévalu à la constitution de cette confédération. « Après son retour à Banjul, c’est le président Daouda Diawara, lui-même, qui, débordant de reconnaissance, m’a parlé du projet de confédération entre nos deux pays. « En fait, cette histoire de confédération sénégambienne, c’est lui-même qui en a émis l’idée. Il m’a dit « Je te remercie beaucoup de ton aide. Maintenant, nous devons vraiment tout faire pour que pareille situation (Ndlr, la mutinerie qui l’avait renversé) ne se reproduise plus ! Comme je l’invitais à préciser sa pensée, Daouda Diawara, ajouta : « Mettons en place une confédération ou même une fédération. » Je lui fis part de mon adhésion à son idée, car je pense sincèrement que nos deux peuples partagent la même culture et ont une communauté de destin. Nous pouvions donc, dans une première étape, mettre en place une confédération. C’est à partir de ce moment qu’on a commencé à travailler pour la mise en place de la confédération et à en rédiger les textes. Le 17 décembre 1981, le pacte de la confédération fut signé à Kaur, en Gambie, et il est entré en vigueur à compter du 1er février 1982 » a expliqué l’ancien président de la République Abdou Diouf dans ses mémoires.

Après s’être enthousiasmé pour la confédération, il a déploré par la suite la « mauvaise foi » du président Diawara qui a provoqué l’éclatement de la Sénégambie. « Il y a toujours eu, me semble-t-il, une sorte de mauvaise volonté de la part des dirigeants gambiens de l’époque pour amorcer une réelle politique d’intégration. J’aurai l’occasion d’y revenir. C’est au sortir des événements de Gambie, après qu’on eut chassé les rebelles qui voulaient renverser Djawara, que débutèrent dans le sud du pays les premières manifestations insurrectionnelles en Casamance, plus précisément le 26 décembre 1982 » a indiqué le président Abdou Diouf, histoire de « regretter » d’avoir raté le coche !

Raids sur Banjul !
Dakar, 30 juillet 1981. Par intermittence, une fine pluie s’abat sur la capitale sénégalaise. Des précipitations qui annoncent le début de l’hivernage. C’est dans ce climat plutôt caniculaire que des rumeurs s’échappent de la Gambie voisine pour se propager dans le pays : Un coup d’Etat vient d’être perpétré en Gambie alors que le président Daouda Diawara était à Londres. Toutes les unités de réserves générales de l’Armée sénégalaise sont mises en alerte : les bataillons des parachutistes, des commandos, de la marine nationale etc…

De même que le Groupement d’Intervention de la Gendarmerie nationale (Gign), une unité d’élite spécialisée dans les opérations de libération d’otages. En vertu des accords de défense liant le Sénégal et la Gambie, le président Abdou Diouf déclenche l’opération « Fodé Kaba 2 » ayant pour but de chasser les rebelles du pouvoir et de rétablir l’autorité du président légitimement élu, Sir Aladji Daouda Kaïraba Diawara. « Ce jour-là, 30 juillet 1981, aux environs de midi, le Chef d’Etat Major Général des Armées (Cemga), le Général Idrissa Fall, m’a appelé pour me nommer commandant des troupes de l’opération « Fodé Kaba 2 » avec comme ordre de mission « Rétablir l’ordre constitutionnel et libérer les prisonniers des mains des rebelles. Parmi ces prisonniers, il y avait le douanier sénégalais Mamadou Dramé dit Mitterrand » racontait le défunt colonel Abel Ngom dans l’interview exclusive qu’il avait accordée au « Témoin ».

Le Témoin

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