Long d’environ 75 km, le littoral de la Casamance abrite d’importantes activités économiques (touristique, rizicole, etc.) et de fortes concentrations humaines par endroits. Mais seulement, ce paysage de carte postale qui faisait le charme de toute cette bande littorale est aujourd’hui en proie à une dynamique érosive côtière à fort impact économique et qui menace la survie des populations, aussi bien des îles que de toute cette façade maritime. Et ce, avec une forte avancée de la mer qui a gagné en 40 ans plus de 100 m sur la terre ferme, selon les estimations des populations des îles touchées par le phénomène. Une situation guère reluisante et compromettante pour le développement économique de la région naturelle de Casamance dont font pourtant abstraction les autorités compétentes. Tout le contraire des communautés riveraines qui, de Diembéring à Kafountine, en passant par Nikine, Carabane, Diogué, etc., ont engagé, face à la montée des périls, la croisade contre l’érosion côtière.
Dunes de sable morcelées et qui s’affaissent au contact des vagues déferlantes, un massif forestier de mangroves constitué de forêts de palmiers et de rôniers affecté sur plusieurs kilomètres, une mer qui gagne du terrain sur la terre ferme à cause des vents, des houles et des mouvements des marées, une berge qui se trouve aujourd’hui en situation d’urgence : Ce phénomène appelé érosion côtière est perceptible depuis des années tout le long du littoral casamançais dont une partie est constituée par les îles. Et ce, avec la mer qui gagne profondément l’intérieur de la côte par endroits, tout en engendrant la salinisation des terres agricoles basses et la perte d’infrastructures sociales et hôtelières. C’est dire que l’action répétée des vagues, surtout lors de grandes marées et de fortes tempêtes, a pour effet de creuser les plages et la base des falaises, et de déplacer les sédiments vers le large. Les encoches créées à la base des falaises pouvant ainsi entraîner des effondrements de pierres ou des glissements de terrain. L’érosion côtière ! Un phénomène qui peut également être causé par des vents forts qui soufflent sur les plages sablonneuses pendant de longues périodes, transportant d’importantes quantités de sable fin et sec et occasionnant le déplacement des dunes. Provoquée aussi bien par des facteurs naturels que l’activité humaine, l’érosion littorale est de plus en plus évoquée ces dernières années dans l’actualité en Casamance, région qui dispose de plus de 75 km de côtes et qui subit de plein fouet les assauts de l’océan atlantique.
A la base également de fortes pressions anthropiques
Les facteurs naturels ne sont pas les seuls responsables des impacts notés sur le littoral casamançais. De Diembéring à Kafountine, en passant par Nikine, Diogué et autres localités côtières, le littoral aura subi de fortes pressions anthropiques. Avec entre autres activités incriminées le prélèvement du sable pour la construction de maisons. Une situation justifiée par l’augmentation des besoins en équipements sociaux et d’habitations, favorisée par la forte croissance démographique rapide, notamment dans la zone de Kafountine et au niveau de la commune de Diembéring qui polarise la station balnéaire du Cap Skirring. Tout comme le développement des infrastructures hôtelières pour booster le secteur du tourisme, principale activité génératrice de revenus dans ces contrées et dont les aménagements nécessitent le recours au sable marin jugé de meilleure qualité dans ces zones. S’y ajoute, en outre, la coupe de la mangrove qui contribue à la fragilisation de la côte exposée aux agressions marine et à ses conséquences. Conséquences : On assiste d’année en année à une modification du milieu et du couvert végétal avec une destruction d’habitats et de la mangrove par endroits. Une situation plus que préoccupante, eu égard au décapage des cordons dunaires qui bordent la plage de Diembéring, Nikine, Carabane, Diogué, etc.
L’empreinte de l’homme sur le phénomène
L’intensité de l’érosion est plus que manifeste dans ces localités côtières où on note une destruction progressive du couvert végétal qui sépare les cours d’eau des zones de rizières voire d’habitations ; et avec comme conséquences l’envahissement des terres rizicoles voire de la terre ferme par les eaux salées et la baisse de la production rizicole. Ainsi tout le long de la côte, le rivage est soumis à un recul presque généralisé, atteignant un maximum de -5m/an entre 1968 et 2017, selon des études réalisées sur l’Erosion côtière et impacts socioéconomiques dans la commune de Diembéring en Basse Casamance. Un phénomène très marqué, surtout dans les îles et autres localités de la façade atlantique, telles Carabane, Nikine, Diembéring Diogué, Kafountine, Abéné, etc. Des localités des communes de Diembéring et de Kafountine où les indices de l’érosion du littoral, combinés à l’élévation de la mer, sont bien visibles.
Djogué, Diembéring
Ces localités symboles d’une déperdition quasi-irréversible
L’île de Djogué est sous l’influence de l’érosion marine qui menace très fortement les implantions humaines accentuées par l’avènement de la pêche qui a fait de Diogué un important port de débarquement, en plus des activités connexes de transformation des produits halieutiques. Et c’est dans ce contexte de changement climatique que la situation géographique de l’île est devenue très sensible. La hausse du niveau de la mer, l’érosion marine, la salinisation des terres constituant ainsi les risques qui influencent directement ce village côtier ; et ce, notamment au niveau de sa façade nord-ouest et sud-ouest qui abrite des espèces végétales, des cocotiers, et des filaos, et toute une bordure qui est aujourd’hui sous l’influence du phénomène érosif.
Selon des enquêtes menées sur le terrain, l’érosion de cette partie de l’île s’est accentuée avec l’élargissement de l’embouchure entre Djogué et Nikine. La conséquence la plus visible et manifeste constitue d’ailleurs la localisation du phare de Diogué qui se trouve aujourd’hui à plus d’une centaine de mètres dans l’eau, ainsi que la délocalisation de l’école primaire et la destruction de la végétation qui borde le littoral. C’est dire qu’en 40 ans environ, la mer a gagné sur cette île, selon les estimations des insulaires, plus de 100 m sur la terre ferme. Une situation qui est la résultante d’une conjonction de facteurs à la fois naturels (absence de dunes côtières, manque d’infrastructures de protection contre l’agression de la mer) et anthropiques avec l’emprise de l’homme sur le littoral (activités économiques, implantation humaine, travaux d’aménagement avec des constructions d’espaces de fumage et de séchage). A cela s’ajoute un écosystème de mangrove très menacé du fait de sa coupe abusive par les populations pour les besoins de construction, mais aussi de transformation des produits halieutiques.
Une situation tout aussi dramatique dans l’île de Carabane, mais surtout à Diembéring et Nikine. Là également, c’est toute une zone littorale menacée par l’avancée de la mer. Et le danger d’y voir les plages se démaigrir, se défigurer et perdre du coup leur biodiversité est aujourd’hui plus que réel. Ici, ce sont les vagues qui viennent se briser sur les rochers dans un bouillonnement d’écume, les courants emportent le sable et creuse peu à peu la plage ; et le rivage, également léché par les vagues, recule. Et derrière les dunes de sable qui continuent de s’affaisser au contact des vagues se dresse un important massif forestier de mangrove. Cette forêt qui regorge d’espèces telles le rhizophora et l’avicennia est également menacée de disparition du fait de l’érosion côtière. Tout comme les rizières qui squattent le littoral et qui semblent noyées dans cette mangrove.
En attendant, c’est un littoral qui offre l’image d’arbres morts qui ne font que la joie des amateurs du meuble flotté, résidant la plupart au Cap Skirring. En outre à Nikine, c’est l’unique campement du village qui est aussi abandonné depuis, parce que baignant au milieu des eaux marines.
Sur un registre culturel, il est également constaté le déplacement du bois sacré du village, piégé par les eaux. Bref, une panoplie de facteurs déstabilisateurs de l’équilibre naturel du village que la rage de l’érosion côtière a consacrés par ses effets de désagrégation et d’anéantissement. Et ce sont des populations hantées par ce fléau qui commencent réellement à s’inquiéter sur leur avenir si rien n’est fait. Tel le vieil homme Albert Sambou dont les rizières les plus fertiles sont englouties par la mer et qui implore aujourd’hui un secours d’où qu’il vienne. C’est dire donc que du débarcadère du village de Diembéring à Nikine, les problèmes environnementaux sont réels et se posent avec acuité. Tout le long de ce littoral, les habitants ont depuis belle lurette perdu le sommeil, confrontés qu’ils sont à une érosion côtière fort dévastatrice à même de rayer leur terroir de la carte. Des communautés toutefois conscientes aujourd’hui de l’ampleur des dégâts et de la montée des périls dans leur zone et qui ent endent se dresser en boucliers face à l’avancée de la mer. Et ce, pour garantir leur survie.
Les communautés en première ligne dans la croisade contre le phénomène érosif
Ainsi, depuis plusieurs années, la menace s’accentue au jour le jour sur tout le littoral casamançais, installant ainsi une véritable psychose dans l’esprit des communautés riveraines plus que jamais engagées à juguler le phénomène érosif. D’ailleurs, de l’avis de l’ancien chef de la brigade des Eaux et forêts de Cabrousse, Lat Dione, c’est près de 15 km de terre qui sont engloutis par les eaux marines entre 2004 et 2012. Un phénomène dont les effets sont manifestes aujourd’hui, explique Ina François Sambou du service départemental des Eaux et forêts d’Oussouye, à travers des brèches ouvertes aux abords des filaos jadis reboisés et qui sont arrachés par les vagues importantes qui atteignent la berge. L’agent des Eaux et forêts était à côté des communautés de Diembéring le 18 août dernier dans le cadre d’une vaste opération de reboisement du littoral entre Diembéring et Nikine. Un engagement et investissement citoyens à l’actif de l’Association Urok juwatt, en collaboration avec la mairie de Diembéring et l’Association «Réussir ensemble les enjeux locaux» (Reel), et une détermination communautaire qui témoigne de la prise de conscience citoyenne de ces populations dont la localité fait face à l’avancée de la mer sur les champs et les surfaces rizicoles. Par cette initiative, le Peuple juwatt, qui regroupe les villages de Nikine, Bouyouye, Diembéring et Etamboudial (Boucotte-Diola), entend ainsi mettre en branle des stratégies d’adaptation basées sur le reboisement de la mangrove en vue de fixer les dunes littorales. Urok juwatt, face à cette menace découlant de l’érosion côtière, a mobilisé des milliers de jeunes pour éradiquer ce fléau. Des jeunes issus du Peuple juwatt qui ont planté 10 mille plants de filao au cours de cette opération, ajoutés aux 12 mille plants de l’opération précédente.
Sur l’engagement de la jeunesse locale, Amaye Etienne Diatta, responsable de la jeunesse de Diembéring, estime que face à l’urgence, il était impératif que la jeunesse, sous la houlette des chefs de quartier, prenne les choses en main et soit en première ligne en tant que main-d’œuvre pour cette opération de reboisement. Il s’agit à travers leur démarche de préserver, selon lui, leur avenir et celui des générations futures. Même son de cloche chez Henry Diatta, membre d’Urok juwatt et du comité de pilotage de cette activité, et pour qui Diembéring risque de disparaître dans quelques années si rien n’est entrepris pour contrer l’avancée de la mer. «Et avec l’appui du Conseil régional de la jeunesse, du mouvement Reel, Urok juwatt a décidé de s’impliquer pour préserver notre environnement», soutient-il. Et Henry Diatta de magnifier la synergie des forces dans le cadre de cette activité à fort relent citoyen. Une initiative saluée, à son tour, par l’édile de Diembéring et pour qui celle-ci s’inscrit dans le cadre de la direction prise au niveau central, relative au reboisement et symbolisée par la plantation d’un baobab par le président de la République lors la célébration de la Journée de l’arbre. «Cela est un message fort, décrypté à la base et implémenté sur le terrain par les populations du Peuple juwatt», a-t-il indiqué. Pour Tombong Guèye, leur contrée a un grand problème qu’est le phénomène de l’érosion côtière. C’est pourquoi il s’est réjoui de l’aubaine accordée par l’Association Urok juwatt avec ce reboisement.
Un décapage de 20 m par an
De l’avis du maire de Diembéring, c’est donc à la fois tous les fils de la localité qui se sont mobilisés grâce à une subvention d’un million cinq cent mille francs Cfa, débloquée par Urok juwatt, pour venir reboiser le filao, privilégié au détriment du baobab. Et par rapport au choix du filao, Tombong Guèye estime qu’il s’agit d’un arbre qui contribue quand même à ralentir le retrait de la côte par la stabilisation de la dune qu’il favorise. «Au niveau de la commune de Diembéring, plus précisément de la côte, il y a ici la plus importante vitesse de décapage de la côte qui est de l’ordre de 20 m par an», souligne le maire. Des données tirées, dit-il, sur la base d’études scientifiques et qui stipulent qu’il y a des endroits de cette côte qui reculent à une vitesse de 20 m par an alors que la moyenne nationale est de 1,5 à 2 m par an. «Cela nous conforte un peu sur notre conviction de privilégier de telles actions de reboisement pour apporter notre réplique par rapport à cette grande problématique, car il est quand même normal si les moyens viennent du niveau national, qu’au niveau local on puisse se l’approprier pour essayer de voir comment l’Etat va être sensibilisé davantage», confesse-t-il.
Jean Sibondo Diatta, secrétaire général du mouvement Reel, qui œuvre dans l’environnement et la politique, magnifie la synergie des forces vives du Peuple juwatt à travers cette opération. Sur la pertinence de cette opération, M. Diatta est d’avis que la réserve foncière qui fait face à l’avancée de la mer est la seule qui reste au niveau de la commune et qu’il faut préserver. «Nous avons une commune à vocation touristique et où il n’y a plus sur plusieurs kilomètres un accès à la mer. Et s’il est difficile de se battre contre l’avancée de la mer, il nous reste ces actions de reboisement pour ralentir le phénomène», argue-t-il. Non sans demander également à l’Etat, dans le cadre de la coopération bilatérale, de faire venir des experts qui puissent réaliser des brises-vagues en pleine mer pour ralentir le phénomène. «Pour faire du tourisme, il faut de la terre ferme pour y édifier des réceptifs hôteliers. Seulement, le phénomène érosif est alarmant chez nous, et il faut que l’Etat fasse appel à l’Ue pour nous sauver du danger érosif si éminent. Voyez, même Carabane, ce fabuleux patrimoine universel, est menacé d’engloutissent», se désole l’ancien président de l’Office régional du tourisme.