«Macky Sall est le fruit d’une socialisation qui considère que l’importance, c’est de garder le pouvoir par tous les moyens»

par Dakar Matin

Le jeu démocratique au Sénégal est vicié depuis bien longtemps. Les derniers évènements montrent qu’il y a un problème du système politique sénégalais. Quant à la démocratie sénégalaise, je suis de ceux qui pensent qu’elle est une démocratie qui n’est pas substantielle, c’est une démocratie électoraliste.

D’ailleurs même à ce niveau, on peut commencer à relativiser puisque le calendrier électoral n’est plus respecté. Donc, l’idée de la démocratie sénégalaise doit être de ce point de vue-là relativisée. C’est vrai que la démocratie, c’est des hauts et des bas, des avancées et certainement des reculs, mais la démocratie sénégalaise est donc comme je l’ai déjà dit viciée depuis bien longtemps et ce n’est fondamentalement avec Macky Sall.

Depuis la démocratisation enclenchée par Abdou Diouf puis le régime du président Wade, on a toujours ces moments de recul mais aussi des avancées comme en 1992 avec le code électoral consensuel. Il y a également la deuxième alternance qu’on pourrait considérer aussi comme une avancée. Cependant, entre ces avancées, vous avez beaucoup de reculs, notamment quant à la liberté, quant au respect du calendrier électoral ou tout simplement quant à la gestion politique. Et cela renvoie en définitive à une chose, à la question de la culture politique qui fait défaut. Vous savez que la politique, c’est cela ou peut-être certains acteurs se trompent parce que la politique n’est pas seulement un lieu de conflit d’intérêt, de rapport de force et de tension. Car, toutes ces tensions, tous ces rapports de force dans une démocratie, sont régis par des règles bien définies.

Et contrairement à un certain juridisme qui est sans fondement d’ailleurs avec la pensée politique contemporaine, les règles qui déterminent le jeu politique sont formelles, mais également non formelles. Ce sont des normes et des règles qui peuvent être écrites dans la Constitution et dans les lois. Mais, en général, ces règles relèvent de la culture politique. Autrement dit, elles relèvent de la culture politique, les opinions, les croyances, les médias, l’opinion publique, tout ceux qui influencent la réalité socio-politique. Donc, l’idée de culture politique, c’est le fait de dire qu’il y a des conceptions, des jugements normatifs de la population qui influencent le système politique. Et au Sénégal, la culture politique consacre la personnalisation du pouvoir. D’où l’idée que les acteurs politiques en général ne défendent pas les institutions mais des personnes ou bien au sein des partis politiques, les idées ne sont pas importantes mais ce sont des personnes qu’on défend ou encore que les individus ne servent pas l’Etat mais plutôt le chef de l’État ou sa clientèle. Donc tout cela témoigne des réalités au Sénégal. Et, au-delà même des partis au pouvoir, les acteurs politiques en général partagent cette culture politique liée à une certaine personnalisation du pouvoir, liée à l’idée qu’en définitive, on estime que la politique est tout simplement une arène conflictuelle ou tous les moyens sont bons pour éliminer ses adversaires.

« POURQUOI LE PRESIDENT MACKY SALL EST LE PLUS A SOLLICITER LA JUSTICE CONTRE SES ADVERSAIRES».

Le fait que le Président de la République soit né après l’indépendance, de mon point de vue, n’a pas une grande signification sur sa conception de la démocratie. D’ailleurs, tous les travaux de psychologie, notamment les travaux de quelqu’un comme Frantz Fanon et d’autres, ont prouvé que l’idée coloniale par exemple n’est pas liée simplement aux faits que vous ayez vécu cette période. Vous pouvez ne pas être né au moment de la colonisation mais être influencé d’un point de vue de votre socialisation par cet état de fait. D’ailleurs, nous n’avons pas vécu cette période-là, mais nous sommes socialisés. C’est ce qu’on appelle le continuum colonial, autrement dit, la colonisation est toujours actuelle et nous la vivons sous d’autres formes. C’est le premier élément.

Le deuxième élément, c’est que Macky Sall est le produit d’une certaine socialisation politique, quel que soit par ailleurs son âge. Il est le produit d’une tradition, le fruit d’une socialisation qui considère que l’importance, c’est de garder le pouvoir par tous les moyens quitte à éliminer tous ses adversaires et se maintenir pendant très longtemps aux affaires. De ce point-là, il n’y a rien de nouveau. Je pense que ce sont les deux aspects importants. Mais, il y a un troisième autre aspect.

Dans le jeu des acteurs politiques, ce n’est pas seulement une question de pouvoir et d’opposition. Il y a un troisième paramètre qu’on sous-estime souvent. C’est la société civile. Surtout lorsque cette société civile ne joue pas son rôle ou lorsqu’elle est faible. Au moment des alternances, on avait pensé que la société civile a pris un élan. Mais on se rend compte aujourd’hui d’une inexistence de cette société civile. Et cela donne une marge de manœuvre beaucoup plus importante au pouvoir. Et peut-être c’est à ce niveau qu’on a des problèmes. Parce que les gouvernements qui se sont succédé ont toujours eu cette perspective, ils ont toujours voulu personnaliser le pouvoir en combattant leurs adversaires, y compris en instrumentalisant la justice. L’élément qui fait que de mon point de vue Macky Sall semble avoir une marche de manœuvre assez importante, c’est le fait que la société civile ne joue pas son rôle parce que certainement leurs membres sont intéressés par l’accumulation de privilèges, notamment financiers. Cela pour dire que le problème de notre démocratie, ce n’est pas seulement l’inconsistance des acteurs politiques, mais c’est également l’inconsistance des organisations qui se revendiquent de la société civile. Je vais vous donner un exemple très facile.

Si Donald Trump est obligé de quitter le pouvoir aux Etats-Unis après sa défaite non encore reconnue lors des dernières élections présidentielles ce n’est pas sur le plan juridique, mais parce qu’il y a une culture qui l’empêche fondamentalement de vouloir conserver le pouvoir. Et cette culture politique est inexistante dans la plupart de nos pays ».

SERIGNE SALIOU YADE (STAGIAIRE) & N C G

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