Lundi dernier, le doyen des juges a débuté les auditions dans l’affaire dite des tickets-restaurant de l’Ipres. Libération quotidien avait dévoilé les détails de ce scandale que nous republions in extenso.
La Su mouille tout le monde
« Il demeure constant que la gestion des tickets restaurants de l’Ipres, telle que révélée par l’enquête, ne fut guère efficace et efficiente car laissée à la seule appréciation d’agents sans contrôle ni suivi de la part de la hiérarchie (…). Toutes ces irrégularités n’auraient pas eu lieu si le comité de réception suivait tout le processus. Cette négligence ou cette défaillance de la part de la direction générale de l’Ipres (ndlr, l’ancienne) a débouché sur des conséquences dramatiques sur les derniers publics avec une gestion plus que ténébreuse des tickets restaurants. (…) A cela s’ajoute le détournement d’objectif des tickets restaurants. En délivrant des agréments pour des établissements qui n’évoluent pas dans le domaine de la restauration, la direction générale permet aux agents et mêmes aux prestataires d’utiliser des tickets, pourtant subventionnés à hauteur de 75%, pour les échanger avec d’autres articles tels des appareils électroménagers ou des jouets pour enfants. (…) A cet égard, il convient de souligner la démarche peu orthodoxe de certains prestataires (les cas de l’Hypermarché exclusive et de la dame Mame Diarra Diop) qui, en acceptant des tickets destinés uniquement aux agents en échange d’autres articles, ont facilité la commission des infractions objet de l’enquête ».
C’est ce que mentionne la Sûreté urbaine (Su) de Dakar dans son rapport de synthèse faisant suite à l’affaire dite des tickets restaurants de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres). Sur la base de ce rapport accablant, le procureur de la République avait ouvert, courant octobre, une information judiciaire pour détournement de deniers publics, complicité et recel contre Ndèye Thioro Dia (arrêtée), Thierno Thiobane (arrêté), Ramata Niang (qui se soignerait en France), Mame Diarra Diop (non déférée) et X.
Pour comprendre cette affaire tentaculaire, il faut remonter à la déposition de Matar Diouf, directeur des affaires juridiques et du contentieux, à l’Ipres. Dans le cadre de sa politique sociale en faveur des employés, l’Ipres prévoit annuellement dans son budget, une subvention destinée à la prise en charge de la restauration du personnel durant les heures de travail. A ce titre, 25 tickets pour une valeur unitaire de 2000 Fcfa, subventionnés à hauteur de 75% par l’Ipres, sont remis mensuellement à chaque travailleur. Ainsi, tout travailleur peut présenter son ticket aux restaurants ou grandes surfaces agrées par l’Ipres pour se restaurer. Par la suite, les factures de ces prestataires sont payées sur la base de justificatifs.
207 millions de Fcfa volés entre avril 2018 et janvier 2019.
Ainsi, selon Matar Diouf, plusieurs restaurants et grandes surfaces ont été agrées dans la région de Dakar mais également dans les autres régions où l’Ipres dispose d’une agence. La gestion de ces tickets est du ressort de la direction des ressources humaines et est confiée à Ndèye Thioro Dia. Face aux enquêteurs, Diouf indique que, courant janvier 2019, le directeur général de l’époque, Mamadou Sy Mbengue, constatant que les factures de certains prestataires avaient atteint des proportions injustifiées, avait demandé un audit interne. Aussi, une enquête approfondie menée par la direction de l’audit interne avait conclu à des constats accablants notamment un écart défavorable de plus de 207 millions de Fcfa, représentant le stock de tickets non distribués aux agents et non représenté par l’agent en charge de la gestion des tickets entre avril 2018 et janvier 2019.
Devant les policiers, Cheikh Ly, directeur de l’audit interne a fait des révélations explosives. En exploitant les factures des prestataires sur cette période, dit-il, il a constaté que trois d’entre eux étaient anormalement sortis avec des factures dépassant les standards comme si plus de la moitié de l’effectif de l’Ipres avaient tous utilisé leurs dotations globales chez trois fournisseurs à savoir « Brioche dorée », « Hypermarché exclusive » et le restaurant «Keur-gui».
La razzia de « Madame tickets » à l’Hypermarché exclusive
Pour en avoir le cœur net, Ly ajoute s’être personnellement rendu auprès de ces fournisseurs afin de pousser ses investigations. Au niveau de l’ «hypermarché exclusive», il a été informé qu’une dame surnommée «madame tickets », se présentait souvent avec des blocs de tickets pour les échanger contre des appareils électroménagers et des téléphones portables haut de gamme. Selon Ly, les responsables de la grande surface lu avaient dit que « Madame tickets » se présentait comme un agent de l’Ipres et faisait croire qu’elle se rendait dans les régions pour collecter, auprès de ses collègues, les tickets que ceux-ci n’avaient pas pu utiliser. Ce qui semble impossible aux yeux de Ly dans la mesure où les agents de l’Ipres reçoivent des tickets détachés de leurs souches et non des blocs comme semble les présenter « Madame Tickets ».
Concernant «la Brioche dorée», le directeur de l’audit interne dit avoir constaté que la facturation n’était pas faite par le siège social mais plutôt par l’agence de Sicap Bourguiba avec, à l’appui, des factures ne respectant pas les mentions légales sans oublier la fréquence de leur présentation ; c’est-à-dire souvent deux factures le même mois avec des montants faramineux. Le même constat était valable au restaurant «Keur-gui ».
Mais les enquêteurs n’étaient pas au bout de leur surprise. Lors de son interrogatoire à la Su, le directeur des ressources humaines de l’Ipres est allé plus loin en révélant de forts soupçons de malversations sur la gestionnaire des tickets, Ndèye Thioro Dia qui a commandé 230.000 tickets, en a distribué 126.441 aux agents et prestataires internes, soit un stock théorique de 103.559 tickets qu’elle n’a pas représenté et qui ont été certainement réintroduits dans le circuit par des procédés frauduleux et murement réfléchis. Pire, confie-t-il, «Madame tickets » n’est personne d’autres qu’une ami d’enfance de Ndèye Thioro Dia.
Tarun Rajwani de l’Hypermarché exclusive interrogé
Suffisant pour que les policiers convoquent les prestataires incriminés. Premier à être entendu : Tarun Rajwani, directeur de «l’Hypermarché exclusive », sise sur la Vdn. Rajwani confirme les déclarations du directeur de l’audit interne et oriente les enquêteurs vers Abdoulaye Diallo l’employé qui traitait souvent avec «Madame tickets ». Diallo a affirmé que c’est lui-même qui avait surnommé ainsi la dame, qui achetait plusieurs articles avec des tickets restaurants, car ne connaissant pas son nom. Il dit lui avoir d’ailleurs livré chez elle, aux Maristes, un téléviseur écran plat, un « home cinema », un Samsung S8 ainsi que d’autres appareils électroménagers.
Les drôles de factures de la Brioche dorée
Dans la foulée, Souleymane Kfoury, directeur général de «la Brioche dorée » a été interrogé sur pv. Ce dernier assure ne point connaître les raisons de la flambée des factures. Par rapport aux irrégularités notées sur la facturation faite non pas au niveau du siège social mais plutôt par la « Brioche dorée » de Sicap Liberté 2, Kfoury a justifié cette situation par le fait qu’à la création de la « Brioche dorée sarl » en 2006, le siège social se trouvait à cette adresse, à la villa numéro 1528. Selon ses déclarations, c’est cette adresse qui figurerait sur les statuts et autres documents officiels de la société (ninea, registre de commerce). Elle serait donc l’adresse juridique de la boîte. Poursuivant, il a soutenu qu’entre 2010 et 2012, il a été procédé à un transfert, à Sacré-Cœur, de certains bureaux de la direction, notamment le service financier et comptable mais, l’adresse de la Sicap Liberté 2, existerait toujours. Relativement aux factures proprement dites, malgré l’apparence de l’adresse de la Sicap Liberté 2, c’est à Sacré-Cœur, au niveau du service financier et comptables qu’elles seraient confectionnées, selon lui.
Les prestataires «évacués », les enquêteurs ont convoqué celle qui est au cœur de toute cette affaire : Ndèye Thioro Dia. Sur le stock de 103.559 tickets en cause, elle a tenu à préciser qu’elle n’a jamais été la gestionnaire exclusive des tickets restaurants mais qu’elle a participé à cette gestion avec deux de ses collègues en l’occurrence Thierno Thiobane et Ramata Niang lesquels, selon ses propos, avaient les mêmes responsabilités qu’elle. Ils avaient, de ce fait, libre accès à l’armoire où sont gardés les tickets.
Cernée, Ndéye Thioro Dia mouille le drh, l’assistante du Dg et révèle des pressions de Mamadou Sy Mbengue
Pour sa défense, Ndèye Thioro Dia parle d’une cabale dont elle serait l’objet de la part de ses supérieurs qui tentent de lui imputer les fautes qu’ils ont eux-mêmes commises. Mieux, elle jure qu’elle n’entretenait aucune relation particulière avec les prestataires incriminés même si elle admet que « Madame tickets » est son amie d’enfance. Cette dernière, qui se nomme Mame Diarra Diop, selon elle, fait partie des prestataires agrées à travers son restaurant à l’enseigne « Alimatou Sadya » sis aux Maristes.
Sur les deux dernières commandes de 40.000 tickets et de 10.000 tickets réceptionnés et non distribués aux agents, Ndèye Thioro Dia confesse juste qu’elle les aurait rangés dans la fameuse armoire. Mais elle prétend ne plus savoir s’ils étaient toujours en place car quand le directeur des ressources humaines la déchargeait de ses fonctions, elle était absente du bureau et c’est ce dernier qui aurait tout récupéré, sans inventaire contradictoire. Mieux, évoquant le rapport d’audit qui l’accable, Ndèye Thioro Dia jure avoir informé le conseil d’administration que le directeur des ressources humaines, Ibrahima Mbaye, lui demandait des tickets à titre personnel qu’il remettait à des membres de sa famille. Elle ajoute avoir même attiré l’attention de ses collègues de bureau en leur envoyant un mail. Selon elle, le drh n’avait pas nié cette accusation devant le conseil d’administration de l’Ipres.
Toujours dans son déballage, Ndèye Thioro Dia soutient que l’assistante de Mamadou Sy Mbengue, Mame Diarra Ndiaye- qui a formellement rejeté les accusations lors d’une confrontation-, lui avait remis au mois de novembre 2018, une facture de l’alimentation de son époux Khalil Aoudy, se trouvant à Diourbel, d’un montant d’1,8 million. Mais, en faisant le décompte des tickets présentés par l’alimentation, elle avait constaté, dit-elle, un manquant de 500.000 Fcfa. Raison pour laquelle, elle avait refusé de décharger la facture et en avait parlé à madame Aoudy pour lui faire part de l’écart constaté et, comme par hasard, le même jour, cette dernière a produit la facture normale d’un montant d’1,3 million de Fcfa avec le nombre de tickets exacts. Elle a terminé son déballage en confiant que depuis ses révélations devant le conseil, elle subissait des pressions car ses confidences n’était pas du goût du drh et de Mamadou Sy Mbengue.
«Madame Tickets » passe devant les enquêteurs
N’empêche, Thierno Thiobane a rejeté la gestion collective et collégiale des tickets restaurants. Thiobane a allégué n’être ni de près, ni de loin mêlé à cette affaire car, selon lui, la stratégie de Ndèye Thioro Dia était de se décharger sur ses collègues pour échapper à la justice. Entre temps, les enquêteurs avaient mis la main sur Mame Diarra Diop alias « Madame Ticket ». Elle a prétexté être surprise des déclarations selon lesquelles elle se présentait à l’Hypermarché exclusive » comme un agent de l’Ipres. Selon elle, c’est le drh en personne qui lui aurait affirmé qu’elle pouvait bel et bien utiliser les tickets chez d’autres prestataires agrées par l’Ipres.
Le drh «alité », Ramata Niang en France pour «se soigner »
Convoqué pour audition, le drh s’est dit malade et…alité. Ramata Niang, qui devait aussi être entendue, serait en France en disponibilité pour des raisons de santé. Le parquet a demandé un mandat d’arrêt contre elle.
Par ailleurs, le rapport d’audit a aussi fait état de faux tickets de restaurants de l’imprimeur Siprex. Gérant par intérim de Siprex Sarl, Youssef Saad a d’ailleurs été cuisiné par les enquêteurs. N’empêche aucune charge n’a été retenue contre l’imprimerie. L’information judiciaire devrait permettre d’identifier X dans cette mare de magouilles.
Affaire des tickets-restaurant de l’IPRES : Sur la piste d’un carnage financier
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