Alors que la prochaine élection présidentielle se profile à l’horizon 2024, de plus en plus des partisans du régime en place montent au créneau pour prêcher la légalité d’une troisième candidature de Macky Sall. Leur fondement juridique, le référendum de 2016 qui, selon eux, remet le compteur à zéro permettant ainsi à l’actuel chef de l’Etat d’être sur la liste des candidats en 2024.
Décidément, la communication autour de la défense d’une éventuelle troisième candidature du président Macky Sall en 2024 est devenue la nouvelle trouvaille de certains responsables du régime en place pour plaire à celui-ci.
En effet depuis le limogeage de Sory Kaba de son poste de Directeur des Sénégalais de l’extérieur par décret présidentiel suite à ses propos sur l’impossibilité du président Sall de se représenter pour un nouveau mandat en 2024, le débat autour de cette question semble tourner en la faveur des partisans de la troisième candidature de l’actuel chef de l’Etat.
Sous le regard bienveillant du président Sall, qui semble plus prompt à sanctionner les pourfendeurs de l’idée de sa troisième candidature, certains responsables du régime en place ne cessent de rivaliser dans leurs sorties sur cette question qu’ils défendent parfois avec beaucoup de difficultés. Il en est ainsi du ministre de l’Enseignement supérieur et de l’innovation, Cheikh Oumar Hann, par ailleurs responsable politique au sein du parti au pouvoir, l’Alliance pour la République (Apr) et maire de la commune de Ndioum dans le département de Podor. Invité de l’émission Grand jury de la Radio futur média (Rfm), le dimanche 29 Novembre dernier, Cheikh Oumar Hann par ailleurs, dans cette tentative de baliser le chemin à son mentor en 2024, est ainsi allé même jusqu’à dire que le Sénégal s’est doté d’une nouvelle Constitution lors du référendum constitutionnel de 2016 pour justifier une troisième candidature de son mentor. « Wade a été candidat et il est arrivé au pouvoir en 2000 avec une Constitution qui disait qu’il n’y avait plus de limitation du mandat présidentiel.
L’interprétation de la Constitution de 2001 disait, plus tard que le mandat obtenu en 2000 n’était pas concerné par la Constitution de 2001. Ce qui fait que Wade a été candidat en 2012. Macky est arrivé en 2012. Par le fait du Pds, on avait enlevé la limitation du nombre de mandats. Donc, le nombre de mandats n’était plus limité. Ensuite, on est allé vers une Constitution de 2016. La Constitution de 2016 limite à deux mandats. Le mandat obtenu en 2012 ne peut pas être concerné » avait-il martelé.
A la suite du maire de la commune de Dioum, c’est au tour de l’ancien directeur général du Centre international du Commerce extérieur du Sénégal (Cices), Cheikh Ndiaye de monter au créneau pour baliser à son tour la voie d’une troisième candidature à son mentor et président de parti, Macky Sall.
Invité le dimanche 6 décembre dernier à l’émission « Gokh Bi » chez nos confrères de la radio Rewmi Fm, Cheikh Ndiaye abondait dans le même sens que Cheikh Oumar Hann sans pour autant fournir le moindre argument juridique. « J’ai un problème avec les juristes. On n’a pas fait les mêmes études, mais en tant que scientifique, je comprends les mots. La Constitution dit : « nul ne peut faire deux mandats consécutifs. La durée du mandat est de cinq ans ».
Mais Macky Sall n’a pas encore fait deux mandats consécutifs de cinq ans, on ne peut pas parler d’un éventuel troisième mandat de Macky en 2024. La Constitution lui permet de se présenter candidat en 2024», a-t-il lancé avant d’ajouter qu’ « On est dans la politique et la morale est un chapitre. Donc, il ne faut pas mélanger des choux et des carottes. Le moment venu, même si Macky ne veut pas se présenter, nous allons lui tordre la main pour qu’il le fasse. Je ne vois personne qui peut le remplacer à la tête du parti. Il a une avance sur tout le monde à cause de ses réalisations ».
ARGUTIES JURIDIQUES DE « FAISEURS » DE ROIS
Toujours sur cette liste des partisans du régime en place, avocats d’une éventuelle troisième candidature de l’actuel chef de l’Etat, figure également l’actuel président du groupe parlementaire de la majorité Benno Bokk Yaakaar à l’Assemblée nationale. Invité de l’émission Grand Jury de la Rfm le dimanche 20 septembre dernier, Aymérou Gningue, a laissé entendre au sujet de cette question relative à une éventuelle troisième candidature du président Sall que « juridiquement », ce dernier pourrait briguer un autre mandat présidentiel au Sénégal. « Le Président Macky Sall peut envisager juridiquement de se prés enter en 2024 en toute légalité, s’il veut briguer un troisième mandat », avait déclaré Aymérou Gningue sans pourtant autant exposer les fondements juridiques dont il a fait allusion.
Au regard de ces différentes sorties, il faut donc dire que ces responsables du parti au pouvoir semblent plus que jamais déterminés à baliser par tous les arguments le chemin d’une candidature supplémentaire pour leur mentor. Cependant, le problème réside dans le fondement juridique de leur argumentaire. Pour cause, que ce soit le ministre de l’Enseignement supérieur et de l’innovation, Cheikh Oumar Hann ou encore le président du groupe parlementaire de la majorité, Aymérou Gningue, tous semblent fonder leur argumentaire sur le référendum constitutionnel du 20 mars 2016 qui n’avait pas pour objet de doter notre pays d’une nouvelle charte fondamentale. Mais c’était plutôt une consultation référendaire visant une révision ou une modification de 15 des 103 articles de la Constitution dont l’un portait sur la durée du mandat présidentiel.
Donc, il n’y avait pas eu de changement de Constitution en 2016. La preuve, sur le site internet du Conseil constitutionnel, le texte de la Constitution du Sénégal mis en ligne est celui adopté lors du référendum du 7 janvier 2001, promulgué et publié au journal officiel sous le numéro 5963 du 22 janvier 2001. Ce qui atteste que le Sénégal est toujours sous l’emprise de la Constitution de 2001 qui fixe le nombre des mandats présidentiels à deux.
PAPE MAMOUR SY, MAITRE DE CONFERENCES A L’UCAD SUR LA RECEVABILITE OU NON DU 3EME MANDAT : «La seule interprétation plausible est dévolue à la juridiction constitutionnelle…»
« Le référendum du 7 janvier 2001 a marqué l’avènement d’un nouveau régime politique au Sénégal. Il y a eu changement de République, le Sénégal est donc passé de la République avec la Constitution de 1963 à une nouvelle République avec la Constitution de 2001. Le référendum a été organisé pour procéder à l’adoption de ladite Constitution de 2001 même si du point de vue de la nature, on peut noter qu’il y a eu une certaine continuité. Puisque de prime à bord, c’est toujours le régime présidentialiste qui est reconduit. Maintenant, en 2016, il ne s’agit pas de changement constitutionnel mais simplement de révision de la Constitution qui apporte quelques aménagements, notamment des articles nouveaux dans la charte fondamentale. Il y a donc une différence de taille entre le référendum de 2001 et celui de 2016. En 2001, on parle d’une nouvelle Constitution tandis qu’en 2016, il s’est agi simplement d’une révision de la Constitution justement de 2001. Autrement dit, on a juste apporté un toilettage à la Constitution de 2001… Maintenant, pour ce qui est de la portée du référendum de 2016 sur le mandat présidentiel, je dirais que le constituant a voulu revenir sur le septennat pour instaurer un quinquennat. Autrement dit, un mandat présidentiel d’une durée de cinq ans et dire que désormais, cette durée sera verrouillée et le nombre de renouvellement scrupuleusement encadré. Car, il a été dit de façon expresse et claire que désormais, plus aucun président ne pourra faire plus de deux mandats consécutifs. De ce point de vue, on peut saluer le souci de clarté mais également la précision de taille apporté par le constituant sénégalais en 2016 parce que d’un point de vue qualitatif, on pouvait dire que désormais les controverses autour des mandats sont désormais révolus et dépourvus de pertinence au Sénégal…En matière juridique, on ne peut empêcher quelqu’un de procéder à des interprétations. Donc, une disposition ne peut pas bénéficier d’une clarté telle qu’elle empêche une interprétation. Cependant, il faut juste préciser que la seule interprétation plausible est dévolue à la juridiction constitutionnelle donc, au Conseil constitutionnel ».
Nando Cabral GOMIS