Dans le fourmillement des frasques et la frénésie des catastrophes qui s’abattent sur le pays, on peut en arriver à oublier qu’il reste une terre douce par les folies qu’il déploie au même moment.
Mettons de côté, une seconde, le dérèglement agité, fast-track, d’une justice menée à l’abattoir, à coups de haches, par le fracassant inculte, le faussaire, à sa tête.
Faisons semblant de ne rien voir des dizaines de morts sur les routes.
Ne répétons pas la situation des sinistrés qui pataugent dans la misère à travers ses villes et villages.
Laissons couler, en lui réservant demain une traque impitoyable, la fraude aux véhicules, à hauteur de 900 milliards, que, devenu fou, Omar Youm croit pouvoir conduire à son terme en bernant les transporteurs par sa soudaine générosité dans la distribution des nouveaux moyens de transports publics, comme s’il leur rendait service.
La brutalité de nos militaires qui exproprient sans ménagements, à l’arme lourde, comme on l’a vu à la Cité Comico, se dévoile.
Et maintenant la torture pratiquée par les gendarmes sénégalais dans des donjons : comme ce fut le cas à Tivaouane, avec le jeune rappeur qui y fut tabassé par 6 malabars. Ou, pire, au…Consulat du Sénégal à Paris où la violence d’Etat, à l’œuvre dans ses commissariats et ses prisons, s’est exportée, il y a quelques-jours, en s’appliquant à un couple, trainé et tabassé dans une cave, pour avoir commis un seul tort : s’y être rendu pour récupérer sa pièce d’identité en revendiquant le surplus qu’il avait payé.
Ce pays est plus doux que ça. Prenons le temps, ce matin, de retrouver cette facette à travers un seul exemple que la folie ambiante risque de nous faire oublier : la proposition par l’Etat du Sénégal de faire breveter par l’Organisation des nations-unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) le thiébou dieune, l’un des mets les plus connus sur les terres du Djolof.
Pincez-vous, ça se comprend. Que le projet soit porté par un Souleymane Jules Diop dont on sait qu’il a détourné des milliards du Programme d’urgence pour le développement communautaire (PUDC), de concert avec une cohorte de bandits, incluant Binetou Djibo, l’ex-représentante du Programme des nations-unies (Pnud) à Dakar, suffisait déjà à le rendre suspect.
Comme s’il s’agissait d’une manœuvre de diversion culinaire pour embellir l’image de Monsieur l’ancien chroniqueur, l’ex-champion de la rhétorique de l’entendre-vrai, le Degg-Deug, retranché derrière les lignes ennemies qu’il avait imaginées.
Qu’il le sache cependant, nous ne sommes pas nés de la dernière pluie et il devra nous rendre compte jusqu’au centime près de l’utilisation qu’il a faite de l’argent qui était destiné à soulager la souffrance de nos pauvres populations des zones les plus difficiles, surtout rurales, du pays.
L’odeur du thiébou dieune ne nous fait pas tourner la tête. Et même s’il veut nous convier, le monde avec, à son tiébou dieune time en pensant avoir ainsi une bonne idée pour enterrer ses frasques dans les effluves de girofle et autres condiments relevés, il se trompe lourdement.
Comme disait le fondateur du grand journal le Monde, nous n’hésiterons pas à bouffer sans gêne mais nous cracherons après dans sa soupe pour lui dire : où est le blé ?
Parlons de cette bête idée. Cela ne peut sortir que dans l’univers glauque d’un Mackysme en déroute, le chef de bande, que le justicier du verbe a rejoint, ventre-à-terre depuis son réduit Canadien d’ex-réfugié.
Il faut être un Macky Sall, impressionné par un bonimenteur installé Place Fontenoy ou Rue Miollis, au siège de l’Unesco ou dans les bureaux des représentations étatiques, pour s’imaginer que le Sénégal se grandit en mettant sur la table cette proposition ambitionnant de mondialiser notre thiebou dieune national.
Mon dieu ! Qu’est-ce que ce plat a de plus que le Kedjenou Ivoirien, le Kaldou Guinéen, le Nyemboue Gabonais et tant d’autres mets africains qui n’ont jamais pu franchir leurs frontières nationales.
La modestie aurait consisté à admettre que le Thiebou Dieune, tout savoureux qu’il soit, reste confiné sur sa terre natale. C’est comme le Mbalax, la musique d’un Youssou Ndour et d’autres artistes sénégalais, qui ne se danse sur les pistes étrangères que par des djolofmen, tandis que les autres regardent, l’air rieur, le déchaînement parfois diabolique qui s’offre à leur vue.
On peut comprendre qu’un haut lieu de la mémoire, tel que l’île de Gorée, terre de pèlerinage pour tant de descendants d’esclaves africains, puisse être proposé à l’inscription au patrimoine culturel mondial de l’Unesco. Le Parc du Niokolo Koba, la ville de Touba, celle de StLouis, les îles du Saloum pour leur attrait touristique, et peut-être d’autres monuments contributeurs à l’histoire de l’humanité mériteraient mieux d’être soumis à la sanction du Comité Exécutif de l’Unesco qui examine ce genre de propositions.
Mais franchement proposer le Thiebou Dieune quand notre pays voit ses côtes se vider de ses poissons, qu’il importe l’essentiel de ce qui entre dans sa cuisson, c’est se moquer du monde, c’est manquer de sérieux, c’est exporter la légèreté de ce régime de pieds-nickelés dont l’un des traits marquants est de passer aux actes chaque fois qu’une idée loufoque lui passe par la tête.
Ce n’est pas parce que la France a fait de sa cuisine une arme d’attractivité économique que le Sénégal se doit de se lancer aussi bêtement dans une telle aventure sans même être sûr ni de sa pérennité ni de sa transcendance transfrontalière.
Ne soyons pas dupes : la France s’est préparée, nul ne doute qu’elle est une terre de culture culinaire raffinée par excellence, et qu’elle s’est consolidée dans ce domaine à travers des méthodes reconnues d’évaluation, notamment par le Gault et Milau et autres baromètres pour désigner ses chefs étoilés. La littérature touristique, via un marketing moderne, lui donne la capacité de vendre ses atouts culinaires, à partir d’un clic, dans le monde entier.
Or, qui connaît le Thiebou Dieune ? Bof, en dehors des sénégalais et de quelques touristes qui tiennent à en goûter à l’occasion de visites au Sénégal ou quand ils vont tenter autre chose dans les rares restaurants sénégalais à l’étranger.
D’ailleurs, ces derniers sont rarement rentables, qui ne sont que des lieux de rencontres pour les nostalgiques sénégalais qui y vont plus pour retrouver virtuellement l’ambiance du pays et, au passage, déguster le plat national ou avaler une tasse de thé.
De là à vouloir en faire une arme de promotion du Sénégal, c’est excessif. Même si l’Unesco l’adopte, la proposition fera rire discrètement les membres de son Comité Exécutif, sans doute éclatés par la faconde de Monsieur corrompu ex-Degg Deug, qui a laissé des ardoises au PUDC pour ensuite partir conter Thiebou Dieune à sa nouvelle audience captive, récompensée de son attention par un Thiebou Dieune Time dont on peut gager qu’il fera du Sénégal la risée dans les allées de la grande maison de la culture mondiale.
Quelle dégringolade. Il y a plus de trente-cinq ans, habitué des travées de l’Unesco, à un moment où les débats qui s’y déroulaient portaient sur la nécessité ou non d’instaurer un Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (Nomic), je me souviens d’une présence alors plus profonde et sérieuse du Sénégal dans ses instances de décisions et de discussions.
C’était vers cette époque que Gorée fut inscrite au patrimoine mondial de l’humanité.
L’Unesco n’était pas encore ce navire ivre, vraie Titanic, qu’elle est maintenant. Désormais, il est vrai, on y amuse la galerie.
C’est pourquoi, on ose y parler de ce projet ridicule thiebou dieune sorti du chapeau d’un magicien du verbe, détourneur de deniers publics, en fuite…
C’est triste de transformer notre thiebou dieune en pièce de comédie.
Adama Gaye, Le Caire 8 Octobre 2020
And Now, Thiebou Dieune Time ! Par Adama Gaye*
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