Que le temps file vite. Qui se souvient qu’il y a exactement un an, jour pour jour, ce jour, 20 septembre, les grilles de l’injustice sénégalaise qui s’étaient abattues sur ma liberté, me maintenant, illégalement, au fond d’un cachot, à la prison de Rebeuss, sur la corniche de Dakar, se desserraient brusquement. “Vous êtes libre”, était venu me dire le chef de cour du pénitentier, c’est-à-dire l’homme chargé de la surveillance des détenus, et il me l’avait annoncé sans avoir une quelconque explication à me fournir. Comme s’il était pris d’une honte muette. Comme s’il réalisait que ma détention ici depuis le 29 juillet 2019, sous les fourches scélérates d’un État déviant, ne devait jamais avoir lieu, en première instance. Or, 53 jours plus tôt, ses forces de sécurité délégitimées par une action aussi immorale qu’incongrue était venues, dès les premières lueurs de l’aube, chez moi, pour me kidnapper. Comme si elles n’avaient pas osé agir sous une lumière diurne… C’est que leur projet obscur, commandité du sommet d’un état chancelant sous mes écrits, intervenait en catastrophe parce qu’il ne les supportaient plus. L’état était déstabilisé, me fit savoir mon interrogateur des services de sécurité. C’était d’ailleurs la principale accusation retenue contre ma personne pour me placer en détention. Les révélations sur les frasques sexuelles, adultérines, de Macky SALL, homme volage s’il en est, furent du reste rapidement rangées sous la pile des raisons de mon arrestation par crainte qu’elles ne prospèrent. L’étau était jeté en ma direction parce que le pouvoir sénégalais, sentant sa splendeur se dérober sous le sol vermoulu que ma plume creusait quotidiennement ne voulait plus prendre le moindre risque. Il s’agissait donc de me faire taire. Par tous les moyens. Seule la peur des conséquences qui en auraient résultées empêcha mon assassinat, la jurisprudence Benigno Aquino demeurant plus fraîche que jamais dans les mémoires, qui rappelle comment la balle qui a tué cet opposant au dictateur Philippin, Marcos, a déclenché sa chute et la révolution démocratique subséquente dans ce pays asiatique. À défaut de me liquider, l’urgence qui titillait le pouvoir sénégalais était de s’assurer que les scandales, divers et variés, que je savais de l’illégitime président par défaut, l’incapable et incompétent à la tête du Sénégal, Macky SALL, cessent d’être portés à la connaissance des sénégalais. C’était devenu une question de vie ou de mort de mettre un garrot sur cette hémorragie de nouvelles fracassantes, salaces, sur les crimes impensables qu’ils étaient de plus en nombreux, plus curieux, excités, de boire, sans limites. Il en est ainsi des dictateurs qui gouvernent en imposant l’ignorance autour d’eux pour transformer en sujets dociles, castrés, les citoyens qui ont commis la bêtise de les porter aux leviers de commande de leurs pauvres nations, comme celle du Sénégal, désormais en putréfaction fast-track sous le genou du sanglier qui le tient entre ses dents. Dès que j’eus franchi les lourdes grilles en fer de Rebeuss, le 20 septembre 2019, mon premier souci fut de répéter sur les chaînes de radios et télés ce qui m’avait valu la capture par un Etat entré dans la criminalité. Je tenais à prouver à la face du monde que je n’avais pas changé une virgule de ce pourquoi mes geôliers étaient venus me prendre… C’était donc, souvenez-vous, ce 20 septembre. Comme aujourd’hui. Ce jour n’était, n’est pas, banal dans mon éphéméride. Un an plus tôt, ce fut, le 20 septembre 2018, le verdict de mon procès à Paris, pour diffamation, contre le magnat, tout puissant, Vincent Bollore, dont le nom faisait trembler les palais africains et s’agenouiller la classe politique française. Sa défaite face à un africain quelconque, dont il pensait ne faire qu’une bouchée, restera dans les annales du droit français comme une répétition du légendaire combat David contre Goliath. Trois ans plus tôt, le 20 septembre 2015, je portais en terre, à Dakar, une épouse sénégalaise qui, j’en étais sûr, était entrée brièvement dans ma vie par la magie du tout puissant Seigneur pour des raisons que seul Lui savait. C’est dire qu’en quittant, en ce jour symptomatique, la prison de Rebeuss, devenue à mes yeux le symbole d’une justice assassinée, d’un droit dévoyé, d’une sécurité…insécure et antinationale et d’un État pourri, comment ne pouvais-je pas me poser des questions sur les occurrences qu’il faisait se retrouver sous un éclairage qui, brusquement, donnait sens et substance à la saga que je venais de vivre entre les mains de mes preneurs d’otage ? Un an plus tard, au réveil, ce matin, les tentatives d’explications, furieuses, entre rationalités et irrationalités, défilent naturellement dans ma tête autour d’une question centrale: what went wrong ? Qu’est-ce qui peut expliquer la maldonne ? Ce qui a pu provoquer cette destruction de valeurs, sans laquelle personne n’aurait osé ni décider ni exécuter ma capture, n’était, au fond, que le fruit du déclin de l’état de droit, associé à la capitulation d’un peuple atteint d’une apathie qui le réduit en spectateur du chahut à l’œuvre de son destin national. Qui oublie, outre les violations des principes etatiques, à quel point, sans recul, la majorité des sénégalais, se refusant à comprendre de quoi retournait ce brutal déploiement de la violence illégitime de l’état sur un de ses citoyens, s’était empressée de valider ses mensonges. Il est vrai qu’ils étaient alors soumis, mitraillés, écrasés par la plus grande propagande mensongère, réminiscence du Goebbelisme nazi, portée par divers vecteurs, en commençant par des médias corrompus et jaloux, déterminés à détruire l’outrecuidant maintenant qu’il se trouvait, sans défense, entre les serres de la Securitate… Quand un homme, nourri à la culture de l’honneur, voit le sien ainsi déchiqueté, jeté aux chiens, son unique réflexe est de chercher au plus profond de son être les ressorts pour faire face. Refuser de céder à l’ignominie. Tenir debout. La tête haute. Tout en évitant de faire quelque faux pas, par arrogance, imprévoyance ou faiblesse sous l’intenable pression d’une vie carcérale dégradante et vécue dans des conditions illégales au milieu de criminels endurcis, capables de tout, y compris de tuer, juste pour bénéficier de la moindre faveur du pouvoir omnipotent ici. Je voyais défiler toutes sortes de personnes, dont beaucoup disaient n’être là que pour me sortir d’affaire mais que je devinais être plutôt autant des rentiers, rêvant de m’exploiter que des soutiers, soucieux de se servir de la monnaie de change que je représentais aux yeux d’un pouvoir presse de négocier ma reddition contre espèces sonnantes. Je voyais des visages louches au sourire suspect qui s’imaginaient capables de me faire lâcher prise par toutes sortes d’artifices. “Me permets-tu de demander la clémence pour toi?”, me souffla, assassin, l’une d’elles. “Non!”, fut ma réponse, ferme et sans appel. Des parents insistaient pour que je les laisse parler “en haut lieu”, ce que mon regard foudroyant récusait sans un mot. Plus le temps passait plus les gens prétendument aminés de bonnes intentions, qui défilaient pour me voir, se voyaient éconduits. Ils étaient contraints de réaliser que mon refus de céder la moindre parcelle de concessions, debout sur mes ergots, était irréfragable. Plus aussi l’état sénégalais, instruit par erreur et mensonge par Malick SALL, son traitre-en-chef, faussaire de ministre de la justice, qui lui avait fait croire qu’un séjour en prison dans des conditions spartiates ferait fondre le jet-setteur, épave, aigri et aventurier que j’étais sous son pinceau, commençait à comprendre qu’il avait affaire à forte partie. Pas une fois, ni devant les services de sécurité de la division des investigations criminelles, ni devant le pauvre doyen des juges d’instruction déconstruit, comme beurre au soleil, devant mes avocats, ni devant les gardes pénitentiaires sentant les murs de la prison trembler sous mes pieds, à chacun de mes passages près d’eux, ni devant le double joueur, faux type, directeur de la prison, accablé par mon inflexibilité, ma fermeté ne fut prise en défaut. L’Etat sénégalais se savait vaincu. Humilié. Déstabilisé. Il vacillait. Nu. Réduit à une modestie qu’il n’avait jamais connue.., C’est dans ce contexte qu’il commença sa piteuse retraite. Par des déclarations me faisant soudain passer pour un ami de ses principaux acteurs, son chef en tête, et les autres, à savoir ceux-là mêmes qui avaient comploté, plus de 50 jours plus tôt, dans l’espoir de me détruire. Par des démarches pour organiser ma libération, que le monde entier, hors les salauds au service de l’état criminel, réclamait. Par une intercession du chef de la confrérie mouride sollicité à bride abattue. Par des sourires et des mots d’espoir que j’entendais autour de moi, jusque dans les lieux les plus décisifs de la prison. Pendant que le temps passait, dans une prison dont je tentais de comprendre l’utilité au sein d’une société qu’elle contribuait plutôt à dérégler par la production industrielle de brigands impreparés à y retourner en citoyens réhabilités, je n’en arrivais pas moins à me départir de la question la plus pressante qui taraudait mon esprit. C’était celle-ci: qu’était-il donc advenue de la décence au Sénégal? Où était passé ce pays dont j’étais fier auparavant d’être le citoyen ? Comment avait-il pu si mal tourner jusqu’à ne plus être qu’un avatar méconnaissable de ce qui naguère le distinguait avantageusement au sein de la communauté des nations pour ne plus être que la risée du monde en plus de se poser en vile, violente, invivable autocratie ? Comment, sous ce prisme, m’interrogeais-je, parviendrais-je à revivre au milieu d’un peuple qui s’était montré si lâche face à mes droits piétinés ? Était-il sage, une fois sorti de cette prise d’otage, dans ce combat inégal, où je me voyais affronter les moyens de violence détournés de l’état, de rester à sa portée? Pourquoi se mettre en état d’être jugé par une justice pourrie et prostituée? Mes yeux, à ces questions, devenaient rouges de colère à la seule pensée que dans une juridiction étrangère, j’avais pu défaire rien moins que le tout puissant Bollore ! Dans les couloirs de Rebeuss, mon regard restait rivé sur un tableau mural dépeignant un Nelson Mandela, le plus célèbre prisonnier de l’histoire, que mes activités de journaliste, dévoué au sursaut du continent, m’avaient fait connaître de près et dont j’avais retenu le pragmatisme pour gagner son combat contre le pouvoir ségrégationniste. Quand les grilles de la prison s’ouvrent enfin pour me laisser partir, le 20 septembre 2019, ma résolution est définitive. Ce fut une déchirante décision. Je partirai de ce pays qui m’avait vu naître en homme libre mais qui était désormais une terre d’esclavage sous l’incapable et sécuritaire leadership du criminel financier, médiocre intellectuel, pitoyable politicien, détesté de tous, à y avoir jamais vécu. Partir en exil. Loin. N’importe où ! Pour ne plus être l’instrument que des crapules malencontreusement hissés à la tête d’un état moralement défait pouvaient avoir le loisir de subjuguer sous les yeux clos d’une population indigne de son honorabilité. Depuis le 4 octobre 2019, comme l’atteste cette photo prise à l’aéroport de Dakar, à mon départ, je vis ainsi loin de mon pays. Depuis lors, sa dégénérescence en État failli s’est accentuée. En voyant hier, virtuellement, le cortège d’une centaine de voitures autour d’un président assiégé, dépassé, impopulaire jusqu’à ne plus oser affronter le contact physique avec les populations, entrer dans ma ville natale de Kaolack, comme vidée de ses habitants, par un pouvoir en panique, sous la psychose d’une révolte, le sourire d’avoir eu raison d’être parti a illuminé mon regard. Vite hélas une larme a perlé sur mon visage. Le Sénégal dont j’avais fui l’injustice est en plus devenu, depuis, une terre d’insondables, d’indicibles, malheurs, qui se meurt sous les inondations, ses dettes intempestives onéreuses et improductives, ses projets d’émergence à l’eau, son label démocratique plus que fissuré, en lambeaux, sa société par terre, sous un genou qui l’empêche de respirer. L’exil est un acte parfois sage. Lucide. L’exil, c’est le choix de partir pour mieux revenir. Dans la suite logique des combats d’une vie…i will be back, mes adorés compatriotes, we’re in this struggle together. C’est du sauvetage de l’âme de notre pays qu’il s’agit. Et, l’enjeu est tel qu’aucune main n’est de trop pour l’extirper des usurpateurs. Nous avons, ensemble, un rendez-vous avec le destin. Adama Gaye, citoyen sénégalais en exil au Caire, 20 septembre 2020, est auteur de Otage d’un État, Éditions l’harmattan (Paris). Ps: La libération de Assane Diouf est imperative : sa détention est illégale. Je ne serai pas de celles et ceux qui tourneront la tête au loin pour ne pas voir l’injustice contre cet homme que je ne connais ni d’Adam ni d’Eve: le droit est indivisible.
20 Septembre: Les combats d’une vie Par Adama Gaye
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