Abdoul Mbaye :«pour l’Eco, on peut se passer de la garantie de la France»

par Dakar Matin

Dans ce deuxième et dernier jet de l’interview qu’il a accordée à Sud Quotidien, l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, se prononce sur le passage du F CFA à l’Eco.

Dans ce deuxième et dernier jet de l’interview qu’il a accordée à Sud Quotidien, l’ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, se prononce sur le passage du F CFA à l’Eco. Interpellé sur le débat qui divise l’Afrique relatif à l’annulation ou au moratoire de sa dette, le Président de l’Alliance pour la Citoyenneté et le Travail (ACT) soutient que l’appel de Dakar relève d’un «show politique» de la part du chef de l’Etat, Macky Sall, qui serait à la «recherche d’un leadership».

Pensez-vous que rompre avec le CFA pour l’Eco, instaurer une monnaie unique qui engloberait le grand Nigéria, soit une panacée pour l’Afrique de l’Ouest ?

La monnaie unique pour autant de pays, c’est un gros pari, une grosse difficulté. C’est un projet qui dure depuis quelques décades. On n’est pas encore arrivés au bout des efforts. La monnaie unique, c’est toujours un moyen de promouvoir les échanges entre des pays qui ont décidé leurintégration économique mais attention, c’est un instrument au service d’une intégration économique et il y’en a d’autres. Ce sont des pans importants qui ne doivent pas être perdus de vue, notamment les politiques industrielle et agricole harmonisées au niveau des pays souhaitant vivre une intégration économique bien forte, au-delà de la liberté d’aller et de venir. On n’est pas encore arrivés à l’Eco mais on sait qu’il faut réformer le F Cfa pour aller vers l’Eco. Cette démarche est en train d’être actée mais ce qu’il faut regretter, c’est qu’à mon avis, le Président Alassane Ouattara, au nom de ses pairs, soit allé un peu vite en besogne. Ce n’est pas possible de transformer le F Cfa en Eco au cours de l’année 2020. Ce n’est pas possible et on le constatera. Des évolutions majeures ont été notées qui commencent à créer de l’indépendance, vis-à-vis non pas de l’Euro, mais de la France. Parce qu’on a maintenu la garantie. Là, je dis tout de suite qu’on n’a pas besoin de cette garantie. On peut s’en passer mais elle a été maintenue sans contrepartie de dépendance et de contrôle. C’est-à-dire qu’on a allégé les contreparties à la poursuite de la convertibilité garantie parle trésorfrançais. Ça, c’est un acquis mais à mon avis, ce n’est pas suffisant. On peut parfaitement continuer pour l’instant et pas pour longtemps non plus ; et être arrimé à l’Euro mais sans la garantie du trésor français. Il faut assez vite évoluer vers un mécanisme de change flexible de manière très limitée au départ, mais on a besoin d’acquérir en expérience au niveau de l’institution qui est chargée de la gestion du F Cfa, à savoir la BCEAO. Il faut le faire parce que, regardez aujourd’hui ce qui se passe : vous avez un Euro qui s’apprécie par rapport au Dollar et donc par rapport aux monnaies qui sont les plus utilisées au niveau du commerce international, mais ça n’a pas d’intérêt pour nos pays. Est-ce que nos économies sont suffisamment fortes pour justifier que le Cfa s’apprécie par rapport au Dollar en même temps que l’Euro ? Donc, on a là un vrai problème. Il faut que nous ayons une indépendance en matière de fixation du taux de change et ce taux de change ne peut pas être fixe par rapport à l’Euro. Ça ne peut pas être l’avenir.

Quid des dévaluations sans la garantie du trésor français ?

Non. Je crois très sincèrement que le système tel qu’il existe, la discipline budgétaire et monétaire telle qu’elle est organisée, permettent de nous mettre à l’abri de ce genre de chose. Par contre, on n’a jamais dit qu’une monnaie doit être rigide. Elle doit aussi avoir sa souplesse parce qu’une économie est souple non seulement en interne quand elle est celle de pays qui se sont mis ensemble et encore davantage quand il faut tenir compte de l’évolution des économies partenaires. C’est-à-dire celle du reste du monde. Donc, la souplesse, c’est celle qui doit permettre un taux de change flexible selon l’évolution de la conjoncture internationale, des prix à l’international, etc

En lieu et place de l’annulation de la dette africaine soutenue par le Président Macky Sall, Cotonou tout comme la Secrétaire de la Francophonie, parlent plutôt de moratoire. Quelle est la meilleure solution selon vous ?

D’abord, il faut qu’on cesse de s’endetter tous azimuts et il faut cesser aussi de dire : «on a encore de la marge, on peut s’endetter, il n’y a pas de problème». C’est le discours de Macky Sall, il y’a peu. Et finalement, on a constaté qu’on s’est trop endettés et on demande l’annulation de la dette. Ça ne marche pas comme çà parce que la dette, c’est également un marché. Parce qu’en cas d’annulation, le marché le reçoit comme le constat d’une incapacité à respecter ses engagements. Donc, quand vous avez été incapable de respecter vos engagements, le marché en tient compte. Votre nouvel endettement devient beaucoup plus difficile parce qu’il faut trouver les prêteurs mais aussi parce qu’il coûte beaucoup plus cher. Vous finirez toujours par payer quelque part le prix de l’annulation de votre dette. La vraie solution, c’est de s’endetter d’une manière raisonnable et de ne pas avoir à dire à chaque fois : «il me reste de la marge parce que je n’ai pas encore atteint le mur» jusqu’à ce que la Covid-19 arrive, crée des besoins budgétaires nouveaux, et vous êtes incapables à ce moment de faire face à ces questions de sauvetage de votre économie, encore moins de relance de cette même économie. Au niveau de la dette bilatérale notamment s’il y’a des pays qui acceptent d’éponger la dette, il faut être preneur. Ç’a moins d’impact sur les marchés mais faire annuler l’ensemble de la dette y compris la dette privée, la dette multilatérale, c’est un vœu qui perturbe les marchés et qui complique le recours à de nouvelles dettes.

Vous n’adoptez donc pas l’appel de Dakar ?

L’appel de Dakar, c’est un peu du show politique. En général, ça peut se traiter en coulisse. Mettre ça sous forme d’appel de Dakar, c’est rechercher un leadership au niveau international sur des questions ressassées depuis bien longtemps ; qui vont créer un débat mais qui n’a pas forcément des résultats tangibles.

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