Opposants collabos, non-alignés alignés, société si-ville: quand Macky Sall devient le véritable maître du jeu politique

par pierre Dieme

A la fin des travaux de la Commission politique du Dialogue national après quinze mois de concertation, les Sénégalais se rendent compte, avec stupéfaction, que les points les plus importants à l’ordre du jour n’ont pas fait l’objet de consensus. Aujourd’hui, les plénipotentiaires de la majorité comme de l’opposition s’enorgueillissent à travers les médias de s’être accordés sur douze points de la plateforme. Hélas, par la naïveté ou la complicité de l’opposition, Macky Sall s’est imposé comme le vrai maître du jeu politique. Tout laisse croire, au vu de l’agitation stérile, puérile et « diversionniste » créée autour du statut du chef de l’opposition, qu’une partie de l’opposition et des non-alignés mais aussi une frange de la société « si-vile » jouent le jeu du pouvoir pour reporter à nouveau les locales. Les locales, un scrutin que Macky Sall veut éviter à tout prix…

 Pourtant, à y voir de près, les « acquis » claironnés par l’opposition ne sont rien d’autre que du menu fretin. On peut citer entre autres : le report en mars 2021 des élections locales qui devaient se tenir le 1er décembre 2019 ; l’élection au suffrage universel direct des maires et des présidents de conseil départemental, tête de liste majoritaire ; l’harmonisation du pourcentage de la répartition des sièges des élections départementales avec les élections municipales (45 % au scrutin de liste majoritaire et 55 % au scrutin de liste proportionnelle). A cela s’ajoutent l’élection de la tête de liste proportionnelle comme maire de ville (55 % sur la liste proportionnelle et 45 % issus des conseillers élus sur les listes majoritaires dans l’ordre d’inscription ; l’obligation de se présenter aux deux modes de scrutin (proportionnel et majoritaire) aux élections départementales ; la modification de la loi 81-17 du 06 mai 1981 relative aux partis politiques. 

Or, c’est sur les points qui assurent effectivement la transparence électorale et le vote démocratique qu’il y a eu achoppement entre la majorité et les autres entités du Dialogue politique. L’évaluation et l’audit du fichier — des opérations qui doivent prendre 120 jours — sont renvoyés aux calendes grecques. Quant au bulletin unique, le pouvoir ne veut même pas en entendre parler de même que de la gestion des élections par un organe indépendant. Or, si ces questions ne sont pas réglées, l’opposition peut ne plus se présenter à des élections car elle n’aura aucune chance de gagner. Si, par exemple, elle a perdu les dernières législatives à Dakar, c’est bien parce que le pouvoir a usé de plusieurs ordres de mission remis à ses militants pour renverser en sa faveur la tendance dans la capitale. 

Macky Sall a gagné au premier de la présidentielle parce que, dans les zones où le pouvoir s’est senti minoritaire à la suite des sondages qu’il avait effectués, plusieurs cartes d’électeurs n’ont pas été distribuées à leurs propriétaires. Volontairement, dans un grenier électoral comme Touba où le PDS règne en maître, des électeurs ont été inscrits dans des bureaux de vote très loin de leur lieu vote habituel. Combien sont-ils ces Sénégalais qui habitent Dakar et dont les cartes se sont retrouvées curieusement au Sud, à l’Est, au Nord du pays et vice-versa ? Combien sont-ils ces militants de l’APR à qui on a confectionné des pièces d’état-civil dans des centres où ils n’ont jamais été déclarés ? N’a-t-on pas pris la main dans le sac des militants de l’APR qui distribuaient à tout-va des cartes d’identité à leurs camarades de parti ou de coalitions alors qu’une telle tâche incombe aux commissions de distribution des cartes sous la supervision de la CENA ? 

Au lendemain la présidentielle, le maire de Mermoz, Barthelemy Dias, a démontré publiquement comment le pouvoir a intégré frauduleusement 1 100 000 personnes dans le fichier électoral. Et cela, en établissant entre autres des cartes sur la base de pièces d’état civil inexistantes, en fabriquant des numéros de cartes d’électeur antérieurs à la création du centre d’état civil, des numéros d’acte d’état civil dépassant le numéro de clôture du registre, en créant 106 codes inexistants (dont 699, 713, 413) dans le répertoire de codification. S’y ajoutaient l’inscription massive d’électeurs par le biais d’audiences foraines, l’attribution de doublons sur le fichier électoral en mode bis repetita et des électeurs dont lieu de naissance est Sénégal sans précision de la localité. Jamais le pouvoir, pourtant très prompt à mettre Dias-fils en prison, n’a osé démentir ses allégations ou porter plainte contre lui. 

Une opposition encalminée par ses incohérences et ses inconséquences 
Au lieu de plancher sur ces points importants qui doivent assurer la transparence et éventuellement l’alternance politique à la prochaine présidentielle, l’opposition, encalminée par ses incohérences et ses inconséquences, chicane sur des points mineurs comme le statut du chef de l’opposition et le cumul des postes de chef d’Etat et de chef de parti. La majorité a bien fait de jeter cet os à ronger à une opposition ménopausée qui s’est rué dessus. Et pendant qu’elle se déchire, le pouvoir déroule son projet politique qui est de tout faire pour coupler les locales aux législatives en 2022. Et le piège dans lequel sont tombés cette opposition, les non-alignés et la société si-vile, c’est d’avoir prôné comme règle de base le recours à l’arbitrage du Président en cas de dissensus. C’est là où se situe l’incohérence. Comment peut-on se référer à un leader de parti dont les partisans refusent la dissociation de ses statuts de chef d’Etat et de chef de parti ? Sur bien des questions, la majorité crée intentionnellement des blocages pour s’en référer à son président de coalition par ailleurs président de la République qui, sans nul doute, tranchera toujours en sa faveur. 

Comme à l’accoutumée, le Président-chef de parti rejettera le bulletin unique, refusera la mise à l’écart de son ministre de l’Intérieur de l’organisation des élections, retardera l’audit ou l’épurement du fichier électoral, sèmera la division au sein de l’opposition en jetant son dévolu sur Idrissa Seck pour être son chef. Le chef de parti Macky Sall ne va pas scier la branche sur laquelle il est assis. Il arbitre toujours en faveur de son camp. Il en a été ainsi lors du Cadre de concertation sur le processus électoral qui s’était tenu du 12 décembre 2017 au 02 février 2018. Après le rapport déposé par l’ambassadeur Seydou Nourou Ba qui dirigeait les travaux, Macky Sall, en Conseil des ministres du 19 mars 2018, a adopté des projets de lois portant modification du Code électoral et de la Constitution, tranchant ainsi en faveur du pôle de la mouvance présidentielle sur la question du parrainage qui n’avait pas trouvé de consensus entre les pôles de la majorité et de l’opposition boudeuse. 

L’opposition renonce à ses droits 
Aujourd’hui encore, par la naïveté ou la complicité de l’opposition, Macky Sall s’est imposé comme le vrai maître du jeu politique. Tout laisse croire, au vu de l’agitation stérile, puérile et « diversionniste » créée autour du statut du chef de l’opposition, qu’une partie de l’opposition et des non-alignés mais aussi une frange de la société « si-vile » jouent le jeu du pouvoir pour reporter à nouveau les locales que Macky Sall évite à tout prix. D’ailleurs Babacar Fall du Gradec a déjà annoncé l’impossibilité de tenir les locales en mars 2021. Ce que le pouvoir approuve en catimini. Il est important de souligner que les locales ou les législatives ont toujours été annonciatrices de défaites électorales présidentielles en 2000 et 2012. 

Les législatives de 1998 ont entonné le chant du cygne du règne de Diouf en 2000 et les locales de 2009 ont sonné l’hallali du régime wadien. Ce qui est aberrant, c’est que l’opposition renonce à son statut constitutionnalisé qui doit renforcer ses droits pour revendiquer celui de son potentiel chef nullement prévu par la Loi fondamentale. Les droits et les devoirs du chef de l’opposition ne doivent être qu’une partie du statut de cette opposition. Il n’appartient aucunement à une tierce personne, fût-elle le président de la République, de décider de celui qui doit être le chef de l’opposition. Seule une loi peut définir ce choix à partir de critères clairs. La loi votée, libre au président de la République, à travers un décret, d’accorder des privilèges pécuniaires et matériels à ce fameux chef de l’opposition. 

D’ailleurs, si des responsables de l’opposition alliés d’Idrissa Seck le désignent comme ce chef, c’est parce qu’ils se pourlèchent les babines en entendant les milliards dont il bénéficiera. Tout est mis en œuvre pour fragiliser l’opposition résistante et patriotique. Hélas, les principaux maîtres d’œuvre de l’opération ayant pour but de la déstabiliser, ce sont des opposants collabos, des non-alignés tapis au sein de la Commission du Dialogue politique pour le compte du maître d’ouvrage Macky Sall qui avait, au début son magistère, comme projet politique de réduire l’opposition à sa plus simple expression. La démocratie se sustente du ferment d’une opposition responsable et solide qui nourrit le débat d’idées contradictoires. 

Macky Sall est un as de l’infiltration politique. Il a miné l’opposition politique en utilisant des non-alignés et de soi-disant opposants. Une partie de cette opposition sclérosée, ankylosée, ménopausée ne parvenant plus à produire des idées fertiles, verse dans le deal et le collaborationnisme avec le régime en place. En résumé, la première menace de notre démocratie n’est pas l’actuel Président qui, au lieu de poser des actes renforçant la démocratie, s’évertue à déconstruire l’œuvre de ses prédécesseurs, mais ces opposants, cette société si-vile, ces non-alignés (en réalité bien alignés sur le pouvoir) qui ne cessent d’être à la solde du chef de l’exécutif.  

Par Serigne Saliou Gueye, Le Témoin

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