Zircon à Diogo : au cœur d’un drame écologique

par pierre Dieme

La production de zircon, démarrée en fin 2013 par l’usine Grande Côte Opération (GCO), dans la localité de Diogo, a plongé plusieurs populations de cette bourgade située dans le département de Tivaouane, dans un désarroi fait de manque d’eau, d’électricité et de pollution sonore. Ce dossier a été réalisé dans le cadre du projet de l’ONG Article19 qui porte sur le thème ‘’L’impact environnemental de l’activité extractive dans les régions de Thiès et de Kédougou’’.  Après une heure de route depuis Dakar, Diogo apparaît sous une forte canicule aggravée par un vent sec qui semble se plaire à irriter les lèvres de tout visiteur. A un jet de pierre du village, l’usine GCO, comme pour célébrer cette chaleur, pointe haut ses tubes dont le vrombissement dérange la quiétude de l’endroit. Implantée depuis 2013, cette usine cohabite avec une population de 14 000 âmes. Diogo polarise une dizaine de villages et abrite l’unique industrie de transformation de métal installée au Sénégal. L’usine produit environ 85 000 tonnes de zircon et 570 000 tonnes d’ilménite (ainsi que de petites quantités de rutile et de leucoxène), avec une durée de vie de la mine fixée à 25 ans environ. Mais le constat est qu’elle laisse, de jour en jour, les riverains dubitatifs. Surtout qu’ils peinent à mettre la main sur l’étude d’impact environnemental de l’usine, malgré une forte insistance. 

Diogo est devenu célèbre grâce à l’usine GCO qui laisse paraître de loin des bâtis rouges. Elle passionne et inquiète à la fois. Evoquer le sujet relève d’une témérité à laquelle plusieurs villageois n’osent se hasarder. Par ici, on murmure, on chuchote, mais personne n’a le courage de parler tout haut. Les raisons avancées ? ‘’Nous avons en face de nous des personnes puissantes qui n’hésitent pas à se venger sur nos enfants qui travaillent dans l’usine. Il y a vraiment beaucoup à dire, mais je ne veux pas me prononcer. Il faut continuer vos recherches. Vous allez tomber sur des personnes qui pourront le faire à notre place. Mais retenez que nous ne sommes pas contents d’eux et pour plusieurs raisons’’, soupire une dame du village sous le sceau de l’anonymat. Si les uns ont pris l’option de céder à la peur, d’autres ont choisi de se battre. C’est le cas de Vieux Ba, au cœur de tous les combats menés depuis l’installation de l’usine. Ses inquiétudes résident le plus dans la gestion de l’environnement et dans l’accaparement des terres. ‘’Il est évident qu’une usine d’une telle envergure ne peut pas manquer de causer certains dégâts. Tout au début, les tenants de l’usine avaient promis de faire des reboisements tout au long du littoral. Cela a été certes fait, mais la presque totalité des arbres n’a pu survivre. L’autre aspect est relatif à l’accaparement des terres dans le cadre de l’extension de l’usine. Ce volet social pose le plus de problèmes’’, déclare-t-il. 

Avant de dire sa conviction sur les effets négatifs à long terme. Sur ce point, il y a lieu de préciser que, d’après les autorités administratives de Méouane, 644 producteurs ont été impactés et indemnisés pour une somme globale de 802,136 millions F CFA. Malgré un budget social de 200 millions F CFA par an, le problème reste entier. Car, au lieu de donner la priorité aux populations de Diogo, l’argent doit être partagé entre les autres localités de tout le département de Tivaouane. ‘’Ceci constitue un problème, car la priorité devrait revenir à la population locale. Les revenus dans le volet social sont répartis en fonction des représentations communales, à savoir les communes de Tivaouane, Méwane, Mékhé, Taïba Ndiaye, etc. Elles reçoivent une part de cette somme de même que Darou Khoudoss, le chef-lieu’’, regrette Vieux Bâ. Cette situation, il l’impute au fait que le maire de la localité ne vit pas à Diogo. Pour mettre fin à cette ‘’injustice’’, des habitants de Diogo ne cessent de le condamner et de se battre pour obtenir ce qui leur revient de droit. ‘’Nos différents plans d’action consistent à se faire entendre à travers des marches de protestation et des points de presse pour alerter qui de droit. Nous travaillons aussi pour que la zone puisse être érigée en commune.

On pourra ainsi avoir plus d’infrastructures sociales de base. Il faut reconnaitre que l’usine ne collabore pas directement avec la population locale, mais avec la mairie et la sous-préfecture», explique Vieux Ba. Une étude d’impact environnemental introuvable pour la population Le président de l’Union des groupements et associations des producteurs maraichers de Diogo, Ngagne Diop, décrit, pour sa part, la pollution sonore : ‘’L’usine fait beaucoup de bruit, surtout pendant la nuit. La centrale électrique, également, laisse paraitre beaucoup de fumée, ce qui peut avoir des impacts sur la santé, à long terme. La proximité de l’usine est un danger pour les villageois. Et nous n’avons vu à ce jour aucune étude d’impact environnemental’’, dit-il. ‘’Que valent les constructions d’écoles, la réfection des clôtures des cimetières et du CEM, les dons d’ambulances médicalisées, si la santé et le bien-être des populations sont foulés aux pieds ?

Comment comprendre que les populations vivent dans le noir, alors que l’usine possède en son sein une centrale électrique ?’’, s’interroge Ngagne Diop. Que dire alors du manque d’eau ? Diogo polarise 23 villages et n’a qu’un seul forage. Voilà pourquoi le village est souvent confronté à une pénurie d’eau. Le paradoxe, c’est que l’usine GCO possède à elle seule plusieurs forages. ‘’Cette situation est inacceptable et nous le déplorons vivement. Les femmes du village éprouvent beaucoup de difficultés à trouver de l’eau’’, regrettent les populations. A cela, il faut ajouter l’accaparement des terres avec plus de 300 villageois qui ont vu leurs terres spoliées. Serigne Mbaye, Professeur de philosophie au lycée Ababacar Sy de Tivaouane et habitant du quartier Darou Fall, estime qu’a côté des avantages, il y a aussi des inconvénients. A Darou Fall, il y a une dégradation continuelle de l’environnement, depuis l’installation de cette usine, et une déforestation galopante.

Il explique que dans le cadre d’un projet, des Japonais avaient planté des filaos et autres arbres, mais depuis l’implantation de l’usine d’exploitation du zircon, les dunes de sable sont dépossédées de leurs richesses et pratiquement la plupart des plantes n’ont pu survivre. ‘’Les gens de l’usine nous avaient promis de replanter, mais cela n’a pas été le cas. Jusqu’à présent, nous peinons à trouver l’étude d’impact environnemental pour pouvoir évaluer. On nous fait du ping-pong et nous aimerions disposer de ce document. C’est la raison pour laquelle ce sera très difficile pour nous de faire la comparaison.

De toutes les façons, la population n’est pas du tout contente. Partout, c’est le même discours’’, se désole le Pr. Mbaye.  Quant à ses attentes par rapport à l’usine, il veut qu’elle soulage la souffrance de la population. ‘’Ils ont pris nos terres. Maintenant, il faut qu’on sente plus les retombées au niveau de la localité. Il nous manque beaucoup d’infrastructures ; l’emploi des jeunes et les autres choses que nous aimerions avoir dans cette localité et qui auraient pu être faites par l’usine. A vrai dire, c’est la communication entre l’usine et nous qui ne marche pas. On nous avait promis une rencontre avec le personnel de l’usine, mais cela tarde à venir vraiment’’, explique Serigne Mbaye.  —–

 GRANDE COTE OPERATION Du zircon pour 25 ans de production 

Le ‘’Journal officiel’’ n°6645 du samedi 18 février 2012, renseigne que le Sénégal a signé avec la société Minéral Deposits Limited (MDL) Sénégal SARL, en septembre 2004, un contrat pour la réalisation des travaux de recherche et d’exploitation de zircon, ilménite, rutile, leucoxène et des minéraux associés dans le périmètre de la Grande Côte. Suite aux résultats encourageants de ces recherches, l’Etat a octroyé, par décret n°2007-1326 du 2 novembre 2007, une concession minière à MDL et a créé, avec cette dernière, une société mixte d’exploitation dénommée Grande Côte Operations SA (GCO). Selon le document, cette société est un projet intégré qui associe une zone d’extraction, une usine de transformation métallurgique et des infrastructures de transport.

Le financement global est estimé à 600 millions US$ dont 55 millions US$ pour le volet ferroviaire. La durée de l’exploitation de la mine est fixée à 25 ans et celle prévisionnelle de la construction de l’usine et de la réhabilitation des chemins de fer et du terminal portuaire est de deux ans, à compter de la date de démarrage des travaux. Selon le rapport de conciliation 2018 du Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives du Sénégal (CN-ITIE), le secteur minier reste le premier contributeur au revenu extractif rentrant dans le budget de l’Etat, avec un total de 104,3 milliards F CFA, soit 94,7 % des recettes provenant du secteur extractif suivi du secteur pétrolier avec une contribution totale de 5,8 milliards F CFA représentant 5,3 %. Quant à la contribution directe du secteur extractif au budget de l’Etat pour l’année 2018, elle est de 110,1 milliards F CFA. 

Concernant les sables minéraux, l’État y a un pourcentage de 10 %, selon le rapport de l’ITIE. Concernant l’usine GCO qui est dans ce secteur, son effectif de 890 personnes, composé de 828 nationaux et 62 étrangers, draine une masse salariale de l’ordre de 9 milliards, selon le même document. Quant au nombre de fournisseurs, il est estimé à 592. Sur cette question, le cumul des paiements fournisseurs en 2018 en francs CFA est estimé à 68,6 milliards. 

PAR CHEIKH THIAM

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