«La République du Sénégal est laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race, de sexe de religion. Elle respecte toutes les croyances». Théoriquement donc, les Sénégalais sont égaux devant le mérite qu’arbitre l’école, devant le pouvoir que régit la démocratie, devant la richesse que répartit la concurrence. Cà c’est sur le papier et c’est la Constitution qui le dit Beaux principes. Mais, dans un pays qui vante avec ferveur les problèmes d’équité et de l’Etat de droit, chacun essaie de s’affranchir des règles communes, usant de son rang social, de son carnet d’adresses.
Pour trouver du travail, s’ouvrir les portes d’une école, obtenir un rendez-vous, même médical, remporter un marché, arracher une subvention… Ces passe-droits sont d’autant plus utilisés que la société est minée par la crise qui exacerbe tout, bloque l’ascension sociale et accentue le déclassement. Du haut de l’échelle, dans les sphères du pouvoir, tout fonctionne entre castes soudées et coteries. C’est un monde de passe-droits et de privilèges, de combines et de corruption, un monde de l’entre soi et de la barbichette coupée du reste de la population. Une république ainsi noyautée par le copinage n’est plus qu’un décor à l’abri duquel une élite arrogante se croit tout permis. Les ruses prennent une autre dimension et leurs conséquences politiques, sociales et économiques nous concernent tous. Le peuple, mutilé par une précarité à tous les niveaux, de plus en plus désillusionné après deux alternances, témoin de l’entrain festif, limite orgiaque de ses dirigeants, porte en écharpe ses illusions perdues.
D’un régime au suivant, la traversée de la «haute» société sénégalaise est ahurissante. Public-privé, majorité-opposition, magistrature-armée, religieux non pratiquants, ce monde vit en vase clos, se retrouve dans les mêmes cercles ou sur les mêmes coups. L’essentiel c’est d’occuper la place. De hauts fonctionnaires se font intermédiaires ou agents d’influence, des parlementaires opérateurs économiques, avec en prime l’argent public toujours disponible pour faire des affaires privées. Dénoncés, ressassés depuis plusieurs années, les problèmes nés du foncier en général, le bradage des terres, l’occupation du littoral sénégalais en particulier, n’ont pas fait lever le petit doigt. Le domaine privé maritime, du moins son occupation, qui fait aujourd’hui l’actualité, et dont on fait semblant d’admettre la réalité accablante, est la bande de 100 mètres de la ligne de rivage à l’intérieur du continent. Réputé inconstructible sauf à titre précaire et révocable.
Toutes les constructions qui y sont érigées aujourd’hui ne respectent pas cette norme. Comment la respecter d’ailleurs, si, du grand complexe hôtelier, qui commence de ce qui est la base du Parc des Iles de la Madeleine, à la Mosquée de la Divinité, entre 2012 et 2014, une seule autorisation avait été délivrée par l’Etat, sur 19 chantiers en cours !
Pour dire l’actualité du passé, en 1993 déjà, les promoteurs de cet hôtel, avaient proposé à l’Etat du Sénégal un échange de « bons procédés ». Se voir attribuer cette base du parc des Iles de la Madeleine, contre la construction et l’aménagement de la Direction des Parcs Nationaux sise, en ces temps-là, sur cette partie de la baie de Soumbédioune. La frénésie d’avoir «les pieds dans l’eau», ferait croire que tous ces promoteurs et privés, comme des Madames Soleil, prédisant l’avenir, même d’outre-tombe, savent déjà que dans une vie postérieure, ils seront amphibies. Mais je m’égare…
Au lieu de donner le cap à une société désorientée, abattue par la crise économique à laquelle vient s’ajouter le Covid-19, la caste s’accroche à ses privilèges et les plus hardis, ceux dont l’incivilité, l’égotisme sont proportionnels à leur ignorance des règles primaires du vivre-ensemble, creusent la falaise, s’ils n’opèrent pas une ablation d’une de nos Mamelles. Pourvu que le défilé de hauts fonctionnaires qui se désintéressent du service de l’Etat continue, que leurs intellectuels aillent à la soupe, que des courtisans arrachent des prébendes au Palais de la République, si ce n’est le Palais lui-même qui les organise et les gère. C’est de cette manière qu’ils s’excusent mutuellement, retardent quelques affaires pénales, se protègent et entretiennent les vices publics. Un monde où chacun connait tout le monde et ignore le monde. Le reste peu leur chaut !
Loin d’eux cette devise, disparue du fronton des édifices publics : « Un peuple, un but, une foi ». La leur est « l’Etat, c’est pour nous ». Comment voulez-vous qu’avec cela, que ce pays ne soit pas perclus de déficits ? Dans tous les domaines. Mais voici que cette semaine, un énorme pavé jeté dans la mer profonde de la gestion du littoral dakarois, la corniche plus précisément, fait des vagues. La question de la gestion de ce bout de territoire de Dakar, est devenue l’actualité dans les réseaux sociaux, tenant lieux de nouveaux comptoirs de café, où l’on refait le Sénégal. Avec toujours en pointillés, cette caste qui a tout du pâté d’alouette (un mélange de viande de cheval et de chair d’alouette. Ce qui est à nous ne nous appartient pas. Les règles édictées qui nous régissent doivent être les mêmes pour tout le monde. Même si, comme en grammaire, l’exception, le phénomène exceptif vise à extraire une partie d’un tout ou, plus exactement, d’un groupe initial. Qu’elle soit de droit ou grammaticale, la règle est caractérisée, si ce n’est définie, par un certain nombre de propriétés ou de qualités auxquelles les exceptions porteraient atteinte. Ainsi dit-on qu’elle est générale, impersonnelle, abstraite et qu’elle a une certaine prétention à la permanence et à la stabilité. Or, l’existence et la multiplication des exceptions, exemptions, exonérations, dispenses, dérogations, passe-droits, privilèges semblent mettre à mal ces caractères.
En visant un certain nombre de destinataires au détriment de la masse, les exceptions altèrent la généralité de la règle, gage de l’égalité entre les citoyens. En épousant chaque situation et chaque espèce, elles conduisent à une particularisation et à une individualisation des règles et, au-delà, à une segmentation du peuple. Parce qu’elles s’adaptent aux contours sans cesse renouvelés des situations qu’elles visent, elles encouragent le foisonnement et l’instabilité de la norme. Exception. Voilà que ce mot peut-être trompeur quand il est utilisé comme substantif : des lois, des régimes, des hommes « d’exception » visent ce qui est hors du droit commun, hors de la règle ou du droit ordinaire, voire hors du droit tout court.
De même faut-il se méfier du qualificatif qui en découle, « exceptionnel », qui a acquis le sens de « rare », « remarquable », ou encore de l’expression « à titre exceptionnel », qui évoque une fréquence en même temps qu’elle sonne comme une justification. La règle veut, qu’en matière foncière, la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales (CCOD), soit l’unique structure nationale habilitée à valider la cession d’un terrain de l’Etat à un particulier. Cette commission, composée au minimum d’un Conseiller technique du Ministère de l’Economie et des Finances (ou des Finances selon la nomenclature du gouvernement), qui en est le Président, a en son sein, un représentant du Cadastre, un représentant du ministère de l’Urbanisme, un représentant de la Direction des Domaines, un représentant de la gouvernance ou de la préfecture et un représentant de la Mairie. Il faut aussi souligner, qu’en matière foncière, l’Etat juridiquement, possède deux types de terrains : les terrains immatriculés qui peuvent faire l’objet de cession de sa part, et les terrains non immatriculés, qui sont de ce fait, non cessibles, sauf s’ils font l’objet d’un décret de déclassement.
Le Domaine Public maritime en est. L’Etat est son propre notaire et son propre assureur. Seulement ici, ce sont les exceptions qui sont devenues la règle, au point qu’elles sont devenues l’archétype du deux poids deux mesures. Aux uns, on demande une mille-feuille de documents qui les oblige à arpenter pendant un long temps, les couloirs des administrations. Aux autres, le statut ou la puissance financière suffit. Le respect des procédures, les obligations, c’est pour les autres Et l’Etat qui, s’il était sérieux, se considérerait spolié, ne pipe mot et laisse les exceptions se propager comme ce virus à la contagiosité exponentielle qui nous inquiète tous. Léopold Sédar Senghor, affichait son horizon à l’An 2000. Abdou Diouf sous le régime duquel les « exceptions » relatives au domaine public maritime ont commencé, peut être considéré comme un sédatif après que Abdoulaye Wade est venu aux responsabilités. Lui, c’est l’excitant dont les effets secondaires traversent encore l’Etat actuel dont le Chef fait souvent appel au volontarisme et au potentiel des individus, recourant sans cesse à la rhétorique de la rupture qui se fait attendre depuis huit ans.
Face au tollé général, un communiqué officiel nous apprend que le Chef de l’Etat « a invité le ministre des Finances et du Budget, le ministre des Collectivités territoriales et le ministre de l’Intérieur de veiller au respect des règles de gestion foncière au plan national. Le Chef de l’Etat a dans cette dynamique, demandé aux ministres concernés de mettre en œuvre un Plan global d’Aménagement durable et de valorisation optimal du littoral national et de veiller, sur l’étendue du territoire à l’application rigoureuse des dispositions du Code de l’Urbanisme et du Code de la Construction ». Pourquoi maintenant seulement, alors que lui-même, avait renoncé avaitil dit, à un terrain sur la Corniche ? Quels actes seront pris à partir de maintenant ?
Sur la corniche de Dakar, aucun investissement n’a maintenu un équilibre avec la protection de la nature. Elle est bétonnée de partout. Fils et filles de la mer, les plages étaient présentes en nous. On pouvait y être du matin au soir, dans l’eau ou au soleil en attendant patiemment qu’il aille se coucher. Aujourd’hui, moins accessibles parce que privatisées, on saccage dans le même temps notre mémoire collective et nos plus profonds souvenirs. La belle corniche perd sa prestance au profit de constructions tout au bord, bouchant la vue et l’accès à la mer. Pourtant, la côte est du domaine public. Il est vain de vouloir nous boucher l’horizon quel qu’il soit, avec un rabiot promis au radoub ou du béton, une chose est sûre, les moyens pour affronter le grand large sont à notre portée.
PAR CALAME