29 Juillet 2019 : Le jour où, dénaturé et trahi, l’Etat a vacillé

par Dakar Matin

29 Juillet 2019 : Le jour où, dénaturé et trahi, l’Etat a vacillé

Deux ans après son arrestation, avant qu’il ne soit libéré, après 53 jours d’une détention illégale, Adama Gaye revient, en ce jour anniversaire, sur des péripéties entrées dans l’histoire institutionnelle du Sénégal.

Par Adama GAYE*

Il est des aubes qui sortent de la nature pour s’inscrire au-delà de la volatilité du temps, définitivement, et celle-là restera dans la postérité malgré le surgissement d’une pandémie que nul n’attendait. Un fleau devastateur dont on ne pouvait deviner à quel point il serait disrupteur, potentiellement susceptible d’effacer des gains décisifs accumulés au fil des siècles par les sociétés humaines, au point que certains, catastrophistes, ont pu y déceler l’amorce de la finitude de la vie terrestre. .

En ce 29 Juillet 2019, il y a exactement deux ans, jour pour jour, rien ne semble indiquer a priori qu’un mouvement extraordinaire était à l’œuvre tant l’aube s’était levée lascivement, sur le dos d’une nuit brusquement écourtée, au milieu des ténèbres. Ni insectes ni grenouilles, ni quelques autres intrépides bestioles ne s’étaient aventurées à lui chanter une mandoline. Elle s’était profondément assoupie. Insouciante. Comme refusant de se réveiller.

Dans cette ville de Dakar, transformée par une sauvage urbanisation, même plus le chant, classique, du coq ne s’était fait entendre. Les pilons ne résonnent plus, délocalisés depuis la nuit des temps dans les banlieues éloignées à mesure que la modernisation renvoyait dans un halo lointain les bruits exotiques de la vie d’antan qui irriguaient ses pulsions.

A peine, la voix fluette d’un muezzin s’était-elle élevée pour appeler les fidèles à la prière du matin. De son ombre noire, la nuit se dressait encore en obstacle à la naissance d’une aube animée.

Sommeil profond

J’étais sur le point de sombrer dans un sommeil divin, peu après avoir rédigé un texte pour m’insurger contre le projet de mise aux enchères des derniers blocs d’hydrocarbures de notre pays.

Tel était le dernier coup tordu, parmi d’autres, du régime de Macky Sall dans sa dernière tentative de couvrir les critiques suscitées par les révélations sur les scandales autour de sa gestion nébuleuse des premières découvertes de ressources en or noir, pétrole et gaz, dans notre pays. Je n’avais pas pu terminer le sommeil que j’avais débuté 4 heures plus tôt et, tourmenté, j’avais tenu à dire ce que j’en pensais.

Sous le tire : Hydrocarbures,non, Macky, non !, j’expliquais combien la manœuvre en cours insultait tous les fondamentaux d’une industrie dans laquelle je m’étais tant bien que mal spécialisé.

Je concluais en disant que dans les incertitudes politiques, la règle primordiale est de garder dans le sous-sol ou au fond des eaux les ressources d’hydrocarbures pour ne pas les exposer aux cycles erratiques qui les caractérisent. Comme on le voyait alors, en ces heures où l’industrie se préparait à s’adonner à une dissimulation des excès de production dans des barges à travers le monde pour répondre à une contraction de la demande née d’une économie devenue atone, durablement, sous l’effet de la pandémie de la Covid19.

Or donc, en cette fin Juillet 2019,voici que, mis à nu par un documentaire de la BBC, reprenant les alertes que nous n’avions eu de cesse de lancer, le régime de Macky Sall préférait verser dans une diversion sous le prétexte d’une campagne de promotion de l’off et on-shore national, dans ce qu’on appelle les road-shows, sous la conduite d’un camerounais chassé des Etats-Unis d’Amérique pour criminalité avérée.

A peine posté sur ma page Facebook, le texte, autant mise en garde que pamphlet, m’avait soulagé du sentiment de ne pas m’inscrire en faux contre l’ultime bourde d’un pouvoir prédateur, pilleur et prébendier qui se préparait.

De toute évidence, le devoir du citoyen est d’assumer sa part de fonction tribunitienne, de participer aux débats sur les enjeux majeurs de sa société, surtout si, comme c’est le cas au Sénégal, les dispositions constitutionnelles lui en donnent la prérogative. Je me sentais donc bien dans ma peau, et mes paupières pouvaient légitimement commencer à revendiquer leur dû.

C’est alors, à ce moment précis, moins de dix minutes après la publication du texte, aussitôt porté par la puissante techtonique des plaques numériques, qu’un bruit distinctif mit fin aux lourdeurs qui engourdissaient mes yeux, et me tira du lit.

«Driiiing, driiiiing, driiiiing !», par trois fois la sonnerie avait tinté. J’avais compris. Il fallait agir sans tarder. D’un pas peu assuré, au milieu de l’obscurité, je m’étais déjà levé du lit et me dirigeais vers la porte d’entrée de mon appartement situé au cœur de la capitale sénégalaise, en hauteur, donnant une vue imprenable sur l’océan Atlantique et comme protégé par des boules cotonneuses pour lui garantir un calme jamais perturbé jusqu’alors en cette heure-ci.

Il était 5h30 du matin. Ma tête bourdonnait moins de questions sur la signification de cette triple sonnerie mais sur les actes de prévention pour en atténuer les conséquences.

«Monsieur Gaye, c’est la DIC», dit, d’une voix posée, un homme de l’autre côté dès que j’avais demandé «qui c’était ?». La DIC, c’est la division des investigations criminelles, connue de tous les sénégalais pour la peur qu’elle inspire au point d’avoir installé dans ce pays naguère de libertés une culture d’Etat policier à la trousse des ennemis, légitimes, du pouvoir politique en place.

«Donnez-moi le temps de m’habiller, et j’ouvre », fis-je. J’entendis, en écho, un consentement assuré, comme pour me dire que j’étais cerné, et que rien ne pouvait me sauver de cette nasse qui était maintenant plantée à la devanture de mon domicile.

Ce répit était pain béni. Furieusement, je me jetais sur mon téléphone et lançais les alertes qui s’imposaient naturellement à mon esprit : « Alerte, la DIC est venue me chercher », puis « Je suis en bonne santé », avant de demander à mon réseau sur la blogosphère d’avertir le monde entier sur ce qui se passait.

Je m’empressais de laisser des messages au gardien de l’immeuble qui s’était curieusement laissé dépasser par la situation pour qu’il avertisse son patron, puis à mes avocats du Sénégal et d’ailleurs, et, réalisant qu’une autre série de sonneries plus vigoureuses, agitées, était venue me rappeler la fébrilité de ses auteurs, je signifiais que j’étais prêt et, sans plus tarder, j’ouvris la porte.

Trois hommes, habillés de tenues sombres, pénétrèrent sans même s’excuser, comme s’ils étaient à domicile ni me montrer de pièces justificatives à leur présence ici en cette heure si matinale ni me tendre une notification la légalisant.

C’était un fait. Un ordre. La loi de la puissance publique dévoyée. Et le devoir de se soumettre à son imperium.

Régimes fascistes

J’avais eu le temps de mettre à l’abri les devises étrangères que je détenais, comme si un instinct de survie m’avait fait comprendre que je pouvais en avoir besoin ultérieurement maintenant que je me trouvais «invité», sans autre forme de procès, à l’heure du laitier, par ces visiteurs qui avaient fait remonter dans ma tête le souvenir de mes lectures sur les pratiques que tous croyaient révolues des régimes fascistes et autocratiques qui avaient si longtemps hanté les nuits des patriotes éparpillés dans les nations tenues d’une main de fer par des pouvoirs intolérants, dictatoriaux.

L’heure avançait et la couche d’ombre qui enveloppait l’aube s’évanouissait peu à peu. Il fallait faire vite. Mes visiteurs, par leurs jambes qu’ils agitaient, semblaient me signifier qu’il était temps de partir.

Tous ensemble nous quittâmes l’appartement et empruntâmes l’ascenseur qui du 6ème étage nous conduisit directement au rez-de-chaussée où, debout, le gardien et son patron devisaient à voix basse. «Ne vous en faites pas, ce sont mes droits démocratiques qui sont attaqués, je ferai face», leur dis-je, malgré leurs regards de désolation pour l’un mais d’une trahison complice de l’autre, que je devinais être un pion de la DIC.

En moins d’une minute, la troupe, le quatuor que nous avions formé avait franchi la porte d’entrée de l’immeuble et nous nous étions retrouvés dans cette rue encore étrangement calme à cette heure-ci. Quelques rares véhicules la parcouraient et, de temps à autre, ombres furtives, des personnes solitaires s’y distinguaient au loin.

Qui pouvait penser à autre chose qu’un groupe de personnes ayant fini une soirée tardive en nous voyant avancer d’un pas ferme et accéléré vers une fourgonnette qui se trouvait garée moins de 15 mètres plus loin, tous feux éteints ?

Un regard plus attentif aurait toutefois permis de voir qu’il se passait quelque chose de bizarre tant je me trouvais pris en sandwich par mes accompagnateurs décidés à ne pas me laisser quelque espace de liberté. La portière de la voiture s’entrouvrit et dans un geste qu’ils semblaient maîtriser à la perfection, par habitude, ils me demandèrent de monter avant de s’assurer que l’un d’eux se trouvait à ma droite tandis que le chauffeur me coinçait sur ma gauche.

Le dernier du groupe était assis à l’arrière. La voiture démarra en trombe. En quelques minutes, elle avait parcouru le trajet qui mène de mon domicile au siège de la DIC située en ville, à moins d’un kilomètre de distance. Le temps fut bref mais tellement intense dans ma tête. En passant devant les immeubles que je connaissais si bien et en voyant de plus en plus de monde dans la rue, je me mis à réaliser que ma liberté, ma chère liberté, n’était plus qu’une illusion. Je me mis à mesurer combien cet acquis était donc si fragile dans un état de non-droit mais d’abord à composer mentalement un poème autour de ce que la liberté est…parce que je venais de savoir ce qu’elle n’était pas.

Il était encore tôt en cette matinée du 29 Juillet quand la voiture s’arrêta net devant la DIC sous les regards de quelques badauds debout en train de deviser de je-ne-sais quoi tout en sirotant en boisson chaude, café ou lait, sans même se fixer outre-mesure sur le groupe qui venait d’en descendre pour s’infiltrer dans la bâtisse aux formes anciennes, sans doute héritées de la colonisation.

Tel un colis, je fus déposé dans une petite pièce où je n’eus d’autre ressort que de prendre mon mal en patience.

Ma tête était vide. Livide. Comme si elle se refusait à se poser des questions sur le sens ou la légalité de ma présence en ces lieux. Stoïquement, je m’étais fait à l’idée qu’il me fallait attendre l’arrivée de mes conseils. J’avais calmement dit à mes hôtes que je ne parlerai pas sans la présence de mes avocats.

L’un d’eux, Maître Cheikh Koureyssi Bâ, torpédo vissé sur la tête, fut le premier à arriver. Il était 8 heures du matin. Tout le pays, m’assura-t-il, avait été averti par mes alertes répercutées en son sein et bien-au-delà. Puis un autre avocat, Maître Cheikh Ndiaye, requis par mon frère cadet, l’avait suivi de près. Et, tenant une tasse de café, parce qu’il connaissait mes habitudes, le journaliste Hamadou Tidiane Sy, qui, la veille, au soir, en avait partagé un dans un grand hôtel dakarois dans l’une de ces séances de comparaison de notes que nous aimons nous offrir depuis de nombreuses années.

Intimidation

J’étais maintenant plus calme et mes deux avocats le sentaient bien. Ils savaient que je ne voulais d’aucune faveur, ni même d’intercession de mes parents au sein de la confrérie des mourides pour ne pas les gêner.

Je voulais faire face. J’étais désormais convaincu que j’avais été victime d’un guet-apens, que j’étais l’otage d’un Etat illégal, terroriste et qui pensait pouvoir me subjuguer par une intimidation au moyen d’une force brute sortie de sa mission régalienne.

Maître Bâ s’énerve. «Ils t’ont fait venir ici sans savoir de quoi ils vont te charger», fulmine-t-il au bout de près de 4 autres heures d’attente dans cette pièce traversée par un vent glacial sans aucune facilité ni service offert pour me permettre d’attendre mon heure d’interrogatoire qui était promise.

C’est à 11h30 minutes qu’avec mes deux avocats, rejoints par l’un des leurs, Maître Seydou Diagne, envoyé par Karim, le fils de l’ancien Président, Abdoulaye Wade, je fus introduits dans une chambrette où se trouvait assis de l’autre côté d’un pupitre un homme de taille moyenne, ses lunettes sur le nez, ses manches retroussées, prêt à me passer à la question.

«Le chef veut vous voir», vint alors me dire un policier en civil. Je le suivis et me retrouvai nez à nez, dans un vaste bureau, avec le commissaire, patron de la DIC. «Vous avez informé le monde entier», esquissa-t-il de ses lèvres pincées, comme pour me dire : «tu nous as eus !».

Sans lui donner une quelconque réponse, je le saluais puis retournais auprès du Sherlock Holmes qui m’attendait en bas.

Ses questions pouvaient commencer. Comme un rouleau compresseur. Je compris vite qu’elles avaient été conçues pour me faire valider des propos qui avaient été «fabriqués» dans le seul but de me faire passer pour ce que je n’étais pas : un insulteur, indigne du soutien du peuple sénégalais !

J’étais interloqué par ce que je voyais sous mes yeux. C’était donc possible que dans ce Sénégal, longtemps havre de libertés démocratiques, les institutions de sécurité chargées de protéger les droits constitutionnels des citoyens autant que l’intégrité physique du pays, pouvaient être manipulées pour servir des causes autres que celles de l’intérêt général.

L’un de mes avocats avait eu beau fait de pousser à admettre certains des propos qui m’étaient imputés, je refusais fermement, sans me soucier de ce que, dehors, travaillés au corps, partie prenante du complot, des médias et journalistes n’attendaient que l’occasion de me faire passer pour quelqu’un qui s’était débiné sur les critiques relatives aux frasques sexuelles et crimes économiques, l’illégitimité électorale, de Macky Sall.

Non seulement restais-je ferme de bout en bout mais je refusais de signer le document préparé frauduleusement par la DIC pour m’attribuer des postures qui n’étaient pas les miennes.

Après trois heures d’interrogatoires, je fus invité à rejoindre une cellule sans lit ni nattes, qui se trouvait derrière le bureau de l’inspecteur qui m’avait interrogé. J’avais compris qu’il avait retenu contre ma personne les délits d’offense au Chef de l’Etat et d’écrits contre les mœurs.

J’en avais rigolé. Le lendemain, devant le juge d’instruction, cette dernière charge, ridicule, autant que la première était désuète en démocratie, avait été abandonnée, sans doute par peur que des dames, victimes des excès sexuels de Macky Sall ne se manifestent à travers le monde.

Le mal était cependant fait, qui visait à faire accroire au sein de l’opinion publique nationale et internationale que j’avais franchi la ligne rouge en exposant la vie privée, les dérives adultérines, de Macky Sall, et tout était bon pour me charger avec la complaisance d’une société écrasée, sans sourciller, sous le genou du minable dictateur, porté sur les tortures, qui le rendent digne de la Cour pénale internationale, d’un homme qui ainsi s’efforçait d’installer une culture de la pensée unique en faisant taire son principal critique et adversaire.

Plus je sentais se resserrer l’étau de la violence illégitime d’Etat, assise sur son instrumentalisation ayant atteint des limites jamais imaginées sur cette terre de libertés, plus je me renforçais mentalement dans la détermination à rester droit dans mes bottes, sans bouger une ligne de mes convictions ni céder à quelque volonté de dialogue ou de faire un deal au nom d’une prétendue paix des braves dont rêvaient mes geôliers.

Signal fort

Dans nos sociétés africaines où les valeurs de droiture, de rigueur, de constance, de refus des compromissions destructurantes sont frappés d’un reflux mortel, il m’a semblé, à ce moment même où la foule s’alignait avec ceux qui me privaient illégalement de ma liberté, qu’il était essentiel d’envoyer un signal fort en direction d’une jeunesse brillante mais sans repères, plus ballotée par les vents de l’opportunisme, de la transhumance, de l’abdication devant les pouvoirs et de la quête de clinquant qu’on lui sert quotidiennement comme nouvelles normes.

Voir sous mes yeux se défaire les fondements de l’Etat de droit, constater le peu de signification accordé aux droits d’un citoyen, ne pouvait donc que me conforter dans mon obstination à m’inscrire à contre-courant des légèretés d’une opinion publique et celles d’une intelligentsia, en plus d’une classe politique, soudain atteintes d’une pusillanimité qui les faisaient se soumettre aux caprices d’un criminel et ceux de sa bande, jusque dans les services d’Etat, hier neutres, ayant fait le pari de brader l’héritage démocratique d’une grande nation.

Quand je me suis retrouvé affalé dans la mini-cellule où je fus jeté après mon interrogatoire, pendant que le garde qui en était responsable, probablement conditionné, tentait de me convaincre de lâcher prise, de cesser de me battre au nom des valeurs que je cultive, je ne pouvais que pleurer intérieurement de relever le recul dramatique de mon pays sur le front de la défense des libertés et du droit.

J’étais pareillement abasourdi par l’absence de réaction des puissances diplomatiques pourtant toutes installées au Sénégal. Etait-ce parce qu’il s’agissait de leur part du deal avec le pouvoir sénégalais qui n’hésitait pas à toutes les occasions de leur servir, sur un plateau d’argent, les bijoux de famille de la nation ? En échange de leur silence…, de leur complicité ?

J’en arrivais à me demander si le Sénégal, comme tant d’autres pays africains, ne payait pas, par cette régression sur toutes ses valeurs d’identification, le prix d’une démocratisation ratée qui s’était soldée par l’arrivée aux leviers de commande de la nation d’individus, prêts à tout, et reliés dans un axe du mal regroupant des militants d’ordres masqués, entre franc-maçonnerie, homosexualité, et, par-dessus tout, haute criminalité, par le trafic de la drogue et des faux billets de banques.

Cette bande d’ennemis de la nation sénégalaise, qui trouve ses variantes ailleurs sur le continent, se trouvait, sous la direction de Macky Sall, en roue libre, en cette journée du 29 Juillet 2019 : personne ne semblait disposé à lui opposer une résistance, et l’immense majorité du peuple sénégalais était gagnée par le doute sur la sincérité, la légitimité, de mon combat.

Seul, je n’étais plus qu’une voix que la machine de la puissance illégitime d’Etat se proposait de broyer. Seul, je devais faire face. Seul, je devais trouver les ressorts spirituels et moraux, conceptuels, pour me convaincre que, oui, cette solitude n’était pas synonyme de tort.

La propagande s’enhardissait. Un à un, les mercenaires triés sur le volet, rémunérés, montaient en première ligne. Personne ou presque n’osait prendre ma défense. J’étais le pestiféré en chef de la nation. Le pays, comme libéré, se préparait à me passer par pertes et profits. Mes visiteurs m’invitaient à aller à Canossa, à abdiquer. Et, celui qui fut nommé Ministre de la Justice, Malick Sall, dans l’unique optique de pouvoir déposer mon scalp sous le sceptre de son bienfaiteur, parce qu’il me connaissait, n’était pas loin de penser qu’il avait atteint ses objectifs au-delà de toute espérance.

Les vents, en cette journée du 29 Juillet 2019 m’étaient décidément contraires bien que j’eus le sentiment intime d’être du côté de la vérité, du droit et des libertés. En me rendant cette nuit-là dans une autre cellule d’un commissariat pour y passer la nuit sur un sol carrelé, nu, dans un endroit bon pour les rats, je savais que la vindicte populaire s’était rangée contre mes vues et ma crédibilité en était passablement amochée.

Peu après, sans aucune protestation, je me vis envoyé en prison. A Rebeuss. Vers ce mirador d’où j’ai pu conter ce qui fut une saga inédite : jamais dans l’histoire, le vécu carcéral au Sénégal n’a été conté comme il l’est depuis mon elargissement. Comme furent exposées les complicités des forces et institutions, intelligences humaines, toutes sous le joug d’une dictature ayant désormais transformé la démocratie sénégalaise en nouvelle moquerie des temps modernes.

En me réveillant deux ans plus tard, à l’heure précise, 5H30 minutes où des forces interlopes, dites de défense et sécurité étaient venues me prendre en otage, à mon domicile, je ne peux m’empêcher une question : peut-on sauver le Sénégal ?

Seul bémol: le chêne étatique, déshonoré, délégitimé, sous mes coups de boutoir, s’est effondré face au frêle roseau, résilient, qui a rompu sans plier, que je suis.

Ce fut une victoire à la Pyrrhus…sur un État humilié, sur un Etat qui a désormais fort à faire face à un virus iimplaccable !

*Adama GAYE est un exilé politique sénégalais au Caire. Il est auteur de : Otage d’un Etat, publié par les Editions l’Harmattan

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