Quel que soit la dénomination utilisée (révocation, démission, destitution…), les procédés de déchéance des Maires au Sénégal en général et du Maire de la ville de Dakar en particulier posent un véritable problème de souplesse et de flexibilité quoique leur légalité ne souffre principalement de fondement.
Cependant, il urge de signaler que leur légitimité quand elle, est sujette à plusieurs questions.
Cette remarque empirique ou synoptique mérite à notre sens, une lecture objective, au vu des débats et positions actuels relativement à l’affaire du Maire de la ville de Dakar Barthélémy Toye DIAS qui vient d’être déclaré démissionnaire par arrêté du Préfet du département de Dakar.
Ainsi, un rappel succinct de la réglementation afférente à ces sanctions récurrentes des exécutifs territoriaux demeure apodictique (I) avant toute interrogation sur la légitimité de ces mesures (II).
- La légalité de la révocation du Maire au Sénégal
Comprenons ici par légalité, le caractère de ce qui est conforme à la loi lato sensu.
De prime à bord, nous convoquons les dispositions du code général des collectivités territoriales avant de voir celles du code électoral pour asseoir le fondement juridique de ces actes de déchéances du maire.
« Lorsque le maire ou tout autre conseiller municipal est condamné pour crime, sa révocation est de droit.
Les Maires et adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par un arrêté du Ministre chargé des Collectivités territoriales pour un temps qui n’excède pas un mois et qui ne peut être porté à trois mois que par décret. Ils ne peuvent être révoqués que par décret. L’arrêté de suspension et le décret de révocation doivent être motivés ».
« La révocation emporte, de plein droit, la perte du mandat de conseiller municipal et l’inéligibilité aux fonctions de conseiller jusqu’à la fin du mandat, à dater du décret de révocation, à moins qu’il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux ».
Toujours, selon l’article 40, d’autres fautes également entraînent la révocation de droit de l’ordonnateur de la collectivité territoriale (Maire ou Président du Conseil départemental) en application des dispositions de l’article 135 du Code général des Collectivités territoriales.
« …Ces faits sont :
1. fait prévu et puni par la loi instituant la Cour des comptes ;
2. utilisation des deniers publics de la commune à des fins personnelles ou privées ;
3. prêts d’argent effectués sur les recettes de la commune ;
4. faux en écriture publique authentique visés au Code pénal ;
5. faux commis dans certains documents administratifs, dans les feuilles de route et certificats visés au Code pénal ;
6. concussion ;
7. spéculation sur l’affectation des terrains publics, les permis de construire ou de lotir ;
8. refus de signer ou de transmettre au représentant de l’Etat une délibération du conseil municipal ».
La loi portant Code général des Collectivités territoriales du 28 décembre 2013 prévoit la possibilité d’application d’autres sanctions. Ces sanctions résultent des dispositions combinées des articles 59 et 61 et concernant les élus locaux, tant départementaux que municipaux. Leur condamnation pour fautes de gestion par la Cour des comptes peut donner lieu à leur suspension par arrêté du Ministre en charge des collectivités territoriales et à leur révocation par décret, ces deux actes devant être motivés.
Une révocation entraine, de plein droit, une inéligibilité pour une période de dix ans pour les élus départementaux et, selon l’article 136, une inéligibilité jusqu’à la fin du mandat, pour les élus municipaux, à moins qu’il ne soit procédé auparavant au renouvellement général.
Au regard de ces différentes dispositions, le maire, ordonnateur de la collectivité territoriale peut être révoqué même en l’absence d’une condamnation pénale. En sus du code général, quelques dispositions du code électoral visent également des situations qui entrainent de droit, une déchéance du maire. C’est notamment les dispositions L. 29, L. 30 et L.277.
« Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale :
- 1° les individus condamnés pour crime ;
- 2° ceux condamnés à une peine d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée supérieure à un mois, assortie ou non d’une amende, pour l’un des délits suivants : vol, escroquerie, abus de confiance, trafic de stupéfiants, détournement et soustraction commis par les agents publics, corruption et trafic d’influence, contrefaçon et en général pour l’un des délits passibles d’une peine supérieure à cinq ans d’emprisonnement ;
- 3° ceux condamnés à plus de trois mois d’emprisonnement sans sursis ou à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à six mois avec sursis, pour un délit autre que ceux énumérés au deuxièmement ci-dessus sous réserve des dispositions de l’article L.28 ;
- 4° ceux qui sont en état de contumace ;
- 5° les faillis non réhabilités dont la faillite a été déclarée soit par les tribunaux sénégalais, soit par un jugement rendu à l’étranger et exécutoire au Sénégal ;
- 6° ceux contre qui l’Interdiction du droit de voter a été prononcée par une juridiction pénale de droit commun ;
- 7° les incapables majeurs ».
Dans le même sillage, « Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés soit pour un délit visé à l’article L.29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois mois et inférieure ou égale à six mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200.000 FCFA, sous réserve des dispositions de l’article L.28. Toutefois, les tribunaux, en prononçant les condamnations visées au précédent alinéa, peuvent relever les condamnés de cette privation temporaire du droit de vote et d’élection. Sans préjudice des dispositions de l’article L.29 et du premier alinéa du présent article, ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai fixé par le jugement, ceux auxquels les tribunaux ont interdit le droit de vote et d’élection par application des lois qui autorisent cette interdiction ».
Plus loin, ledit code prévoit d’autre possibilités pour permettre également à tout électeur du ressort municipal de clamer un cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité en ces termes : « Tout conseiller municipal qui pour une cause quelconque se trouve dans l’un des cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité prévus par la loi, peut-être à toute époque, déclaré démissionnaire par le représentant de l’Etat sauf recours devant la Cour d’Appel dans les dix jours de la notification. Tout électeur municipal peut saisir le représentant de l’Etat ou la Cour d’Appel lorsqu’il constate un cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité ».
Depuis sa création en 1996, la ville de Dakar contrairement aux autres quatre (4) villes du Sénégal que sont : Guédiawaye, Pikine, Rufisque et Thiès a connu deux (2) cas de déchéance de leur maire en six (6) ans. Le premier cas était une révocation et le second cas une démission provoquée.
Dans un premier temps, le décret 2018-1701 du 31 août 2018 portant révocation du Maire de la Ville de Dakar polarise fortement des idées de doctrine parce qu’il fait intervenir le droit financier, le droit administratif et le droit judicaire. La condamnation du Maire de Dakar résulte des dépenses effectuées à partir d’une caisse d’avance. Celle-ci a été créée pour les dépenses diverses inscrites au compte 6490 et au service 313 c’est-à-dire, le cabinet du Maire de la ville de Dakar.
En effet, pour le juge, « Khalifa Ababacar SALL et Mbaye TOURE, qui ont respectivement signé les mandats de paiement et les bordereaux d’envoi destinés aux receveurs-percepteurs municipaux, se sont servis de ces fausses pièces pour justifier l’utilisation de la somme de 30 000 000 FCFA reçue et obtenir le renouvellement mensuel de ce montant.. » ; Que par ce procédé, Khalifa Ababacar SALL a pu disposer, chaque année de 2011 à 2015, en espèces, de la somme de 360.000.000 FCFA qu’il a utilisée à des fins autres que celles indiquées sur les fausses pièces comptables justificatives produites à l’appui de ses mandats ».
Le Tribunal déclare Khalifa Ababacar SALL « coupable de faux et usage de faux en écriture de commerce, de faux et usage de faux dans des documents administratifs et escroquerie portant sur des deniers publics ». Le Maire de la Ville de Dakar est condamné à cinq (05) ans d’emprisonnement ferme et à une amende de 5.000.000 FCFA ferme qui sera portée à 1, 8 milliards en appel.
Tout part donc des dispositions des articles 135 et 140 de la Loi 2013-10 portant Code général des Collectivités territoriales préalablement rappelées. Ces dernières fixent le régime juridique de la procédure de révocation.
Ainsi, un petit aperçu de droit comparé peut servir de prétextes et de motivation pour les rédacteurs de ces dispositions.
Ailleurs en Afrique, on peut citer le Décret 2018-024 du 04 mai 2018 portant révocation du Maire de la commune VI du District de Bamako, le Décret 2017-380 du 02 août 2017 portant révocation de Monsieur Léhady-Vinagnon SOGLO des fonctions de Maire de la Commune de Cotonou ou encore, en Côte d’Ivoire, le Décret 2018-659 du 1er août 2018 portant révocation de M. BENDJO AKOSSI Noël, Maire de la commune de Plateau. Il en est de même des révocations de Maire au mois de septembre 2018 au Niger.
En France, des cas similaires de révocation des Maires des communes de Lavelade d’Ardèche et d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), pour montrer que l’autorité de la chose jugée peut être acquise sans l’épuisement de toutes les voies de recours et sans porter atteintes au principe de la présomption d’innocence, contrairement à ce que pensent certains pourfendeurs.
Le Conseil d’Etat Français a d’abord dans sa décision n°78114 du 12 juin 1987 rejeté la requête de M. RAYMOND tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret du 6 mars 1986 par lequel le Président de la République l’a révoqué de ses fonctions de maire de la commune de Lavelade d’Ardèche, en considérant que : « l’arrêt du 29 novembre 1985 de la Cour d’Appel de Nîmes, condamnant le requérant à la peine de 2 ans de prison, bien qu’il ait fait l’objet d’un pourvoi en cassation à l’autorité de la chose jugée ; qu’il pouvait dès lors légalement servir de fondement à la mesure de révocation prononcée à l’égard du requérant, lequel ne saurait utilement se prévaloir, dans ces conditions, de ce que cette mesure méconnaîtrait le principe de la présomption d’innocence dont doivent bénéficier les prévenus ; la requête est rejetée… ».
Toujours dans la même perspective, le 2 mars 2010, M. Dalongeville, n°328843, le Conseil d’Etat a encore rejeté la requête du sieur M. GERARD A en considérant que « le maire d’Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) s’est bien rendu responsable de l’importante dégradation de la situation financière de la commune et qu’ainsi, le décret attaqué a fait une exacte application des dispositions de l’article L. 2122-16 du Code général des collectivités territoriales ».
Dans un second temps, l’affaire qui occupe aujourd’hui, tous les débats est celle du Maire actuel de la ville de Dakar Barthélémy Toye DIAS. Il a reçu et signé le procès-verbal de notification et de remise d’acte qui lui a été servi par le Commissaire de Police Chef de la Sureté Urbaine de Dakar sur instruction du Préfet de Dakar.
En amont, le Représentant de l’Etat a informé et notifié au sieur Barthélémy Toye DIAS ceci : « j’ai été saisi par monsieur Beyna GUEYE, électeur inscrit sur les listes électorales de la commune de Mermoz-Sacré-Cœur, aux fins de prononcer votre démission de la Ville de Dakar en votre qualité de conseiller municipal, pour cause d’inéligibilité suite à votre condamnation par décision n°219 du 16 février 2017 du tribunal de grande instance hors classe de Dakar, confirmée par arrêt n°535 du 21 septembre 2022 de la cour d’appel de Dakar et dont le pourvoi a été rejeté par la cour suprême par arrêt n°76 du 22 décembre 2022 ».
Sur ce, conformément aux dispositions des articles précités du code électoral, l’autorité administrative déconcentrée lui déclare : « démissionnaire de son mandat de conseiller municipal de la Ville de Dakar, à compter de la date de notification de la présente ».
Ces deux affaires survenues en moins de six (6) ans à la Ville de Dakar méritent un diagnostic objectif. D’abord, il importe de s’interroger sur le caractère légitime de ces décisions du fait qu’un Maire (Mandataire) exerce un pouvoir (mandat), légitiment conféré par la population (le mandant). Ensuite, pourquoi toujours la ville de Dakar ? S’agit-il d’une simple question d’application de la loi ou bien un ciblage aux enjeux politiques et électoralistes ?
- L’illégitimité de la déchéance du Maire
Le maire est une autorité administrative décentralisée au niveau de la commune collectivité territoriale. Il est l’organe exécutif de la commune. L’article 167 du code général des collectivités territoriales précise, dans son 4ème alinéa que : « … la ville a le statut de commune ».
Il est important de souligner que Maire était élu au suffrage universel indirect avant l’avènement de la loi n°2021-35 du 23 juillet 2021 portant code électoral qui, à son article L.265, apporte une innovation dans son mode d’élection en ces termes : « Les conseillers municipaux sont élus au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans.
Le candidat tête de liste au scrutin majoritaire est élu maire de la commune si sa liste obtient le plus grand nombre de suffrages à l’issue du vote… ».
Dès lors, le Maire au même titre que le Président de la République est élu directement par les électeurs de sa circonscription territoriale. Il accède à la magistrature « locale » par le biais d’une confiance directe avec sa population.
De ce fait, peut-on considérer que ces procédés de destitution du Maire posent un véritable problème de souplesse et d’agilité ? La légitimité du nouveau Maire choisit parmi les conseillers municipaux après avoir déclaré démissionnaire celui qui bénéficiait d’un suffrage direct, ne serait-elle confuse avec cette innovation intervenue en 2021 sur le mode d’élection des maires ? Si oui, n’est-il pas alors apodictique de procéder à leurs toilettages et réécritures ? Autrement dit, les textes qui encadrent la possibilité de révoquer ou de démettre un Maire ne sont-ils pas incohérents ou désuètes du fait de la constitutionalisation du principe de la libre administration des collectivités territoriales conformément à l’article 102 de la constitution ? N’est-il pas nécessaire d’élaborer un vrai statut du Maire pour garantir sa stabilité en lui conférant une immunité juridictionnelle à l’image du Président de la République ou une immunité liée à l’exercice de ses fonctions d’organe exécutif de la commune au même titre que le député en session ?
Sans avoir ici, la moindre prétention d’apporter des réponses ou solutions bibliques, on se borne à mettre en exergue le caractère hautement substantiel de la légitimité des Maires comme organe exécutif élus.
Bien que la légalité ne pose pas de débat dans la mesure où les lois et règlement établissent et régissent tous les faits et actes susceptibles d’engendrer une déchéance du Maire, la rupture de la légitimité librement conférée par la population de base suscite un questionnement.
Il serait compréhensible de sanctionner un Maire relativement à des faits tels que les détournements de deniers publics, les malversations financières, les fautes commises dans ses missions d’Agent de l’Etat etc.
Rappelons que le maire est à la fois officier de police administrative et officier d’état civil.
L’une des missions du maire est d’assurer dans sa commune, le maintien de l’ordre public, c’est à dire, la sécurité, la salubrité et la tranquillité. Pour ce faire, le maire dispose de pouvoirs de police administrative. La police administrative est dite générale, lorsque le maire agit en fonction des circonstances particulières et de l’urgence. Dans certains domaines, le maire doit respecter des règles et procédures strictement définies par la loi ou le règlement, on parle alors de police administrative spéciale (immeubles menaçant ruine, circulation routière, droit funéraire…).
Le pouvoir de police est un pouvoir propre du maire, exercé sous le contrôle administratif du préfet et sous le contrôle du juge. Les mesures de police sont encadrées par deux principes essentiels : le principe de la nécessité (la liberté est la règle et la restriction de police l’exception) et le principe de la proportionnalité (la mesure de police doit être proportionnelle au trouble qu’elle a pour but de prévenir).
En charge de l’état civil, il tient les registres, délivre les actes, reçoit les déclarations de naissance, procède à la célébration des mariages, dresse les actes de décès et d’une manière générale, enregistre la mise à jour des actes de l’état civil en fonction des évènements qui modifient l’état ou la capacité des personnes. En tant qu’officier d’état civil, le maire agit sous l’autorité du procureur de la république…
Tout manquement ou faute en dehors de ses missions qu’il exerce au nom et pour le compte de l’Etat, toute sanction de 3ème degré serait à notre sens une violation de la confiance de sa population.
Selon Emmanuel KANT, la morale est autonome, puisqu’elle est la loi que l’on se donne à soi-même, sous la contrainte de sa conscience.
Certes la légitimité et la légalité coexistent depuis de nombreux siècles, certaines fois l’un empiète sur l’autre, d’autre fois elles sont indissociables et certaines fois elles coexistent de façon distincte et autonome. La légitimité et la légalité ont un lien étroit, mais une distinction entre les deux termes est obligatoire. La légitimité, c’est enfin de compte, une institution à une norme supérieure juridique ou éthique ressentie comme fondamentale par la collectivité qui fait accepter moralement et politiquement l’autorité de cette institution.
Plus simplement, la légitimité c’est le caractère de ce qui est juste et morale. Cette définition est à distinguer de la définition de la légalité : car à l’inverse, la légalité c’est la conformité à la loi, en soi, ce qui est permis par la loi.
En définitive, si la légalité de ces décisions ne manque pas de base légale, leur justesse, leur moralité et leur éthique interpellent toute personne qui œuvre pour l’intangibilité et la consolidation d’une vraie décentralisation.
Ababacar NDIAYE
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