Jub-Jubal-Jubbanti ou le parachèvement du SOPI (Par Less Salla)

par Socé NDIAYE

Le rideau vient de tomber sur les élections législatives anticipées du 17 novembre, avec une victoire écrasante du parti au pouvoir PASTEF les Patriotes qui rafle 130 députés sur les 165 sièges de l’hémicycle.  Ce succès vient couronner celui de la Présidentielle du 24 mars qui avait porté le candidat Bassirou Diomaye Faye à la tête du pays, et conforter le parti et ses sympathisants dans leur plébiscite. Le Sénégal a encore une fois montré sa maturité démocratique en se prononçant sans heurt, le jour du scrutin après une campagne teintée de violence et de provocations et dérapages multiples.  Avec l’installation de la nouvelle législature le 2 décembre, l’heure est désormais au travail.  Neuf mois après son accession au pouvoir, le PASTEF a désormais les coudées franches pour matérialiser son agenda national de transformation Sénégal 2050 présenté à la communauté nationale et internationale le 14 octobre dernier.  Cette période de gestation a accouché d’un bébé bien portant et selon la formule consacrée « le bébé et la maman se portent bien ».  Maintenant, il faut que le bébé grandisse en bonne santé, soit bien éduqué, et se réalise pleinement dans les 25 prochaines années que représente l’horizon fixé par le référentiel 2050.  La maman PASTEF a déjà annoncé que l’éducation de son bébé de projet devra se faire suivant les valeurs du Jub-Jubal-Jubbanti qui incarne la rupture ou changement radical d’avec les modes de gouvernance passés.  Cela n’est pas sans rappeler le mouvement Sopi de Maitre Abdoulaye Wade comme dépositaire des frustrations et revendications du peuple, qui avait entretenu l’espoir de transformer le Sénégal en une terre de valeurs partagées comme socle de rayonnement et d’émergence.  Malheureusement, ce ne fut pas le cas.  De plus, la soi-disant deuxième alternance de 2012 qui émanait des flancs des libéraux, à l’ombre du patriarche Wade a très vite montré ses limites, incapable de changer en profondeur le mode de gouvernance et de gestion de la chose publique pourtant annoncée sobre et vertueuse.  Aujourd’hui, l’avènement des pastéfiens au pouvoir, après une longue lutte faite de multiples rebondissements douloureux et énigmatiques, mettant fin à douze ans de mackyavélisme, fait renaitre l’espoir d’une rupture qui rappelle bien celle qui était attendue de la première alternance sous la déferlante bleue du Sopi.

Nous écrivions à ce sujet, dans une tribune intitulée L’insoutenable légèreté de Maître : Discours de la méthode, publié dans l’édition du Vendredi 2 décembre 2005 du journal Le Quotidien : « Pour tous les Sénégalais, désormais actionnaires de l’alternance, l’accession de Maître Abdoulaye Wade au pouvoir inaugurait une nouvelle ère de rupture d’avec l’ancien système socialiste et ses méthodes décriées sous tous les fronts, par les politiques, la société civile et les différentes couches de la population qui réclamaient un nouveau leadership. La demande sociale rimait avec un appel à l’espoir par le changement profond des méthodes jusque-là appliquées. Le slogan Sopi, que l’on traduit à tort et de manière réductrice par le substantif «changement», était plus que jamais d’actualité pour le peuple qui vivait une véritable «révolution» pacifique et ordonnée. Mais le Sopi, plus qu’un changement de personnes auquel l’opinion l’avait faussement réduit («tout le monde sauf Diouf»), veut en réalité dire «Changeons !» L’impératif ici contraste avec le substantif statique «changement», en ce que le verbe appelle à une double action d’introspection et de mutation vers un Sénégal régénéré à travers un nouveau contrat social qui affranchirait ses citoyens des gabegies et pratiques clientélistes des socialistes usés par le pouvoir à l’aube du troisième millénaire. Le peuple sénégalais venait ainsi de signer un chèque à blanc à Maître Wade et rempli d’espoir, avait misé sur le vieil homme pour renvoyer les pratiques du dinosaure socialiste à la préhistoire. »
Nous retiendrons ici que le « Sopi » traduit mécaniquement par « changement » avait été dévoyé de sa portée transformatrice.  En réalité, le « Sopi » comme slogan fait appel à l’action et devrait être plutôt traduit par « Changeons ! »   Et là se posent les questions suivantes : changer qui ? quoi ? comment ?  Pour répondre à ces interrogations, il faudrait disséquer les trois dimensions que renferme le concept même de Sopi.  Tout d’abord au niveau individuel, le Sopi comme transformation de soi, c’est-à-dire de sa manière de voir et d’être qui a longtemps été théorisé comme le nouvel homo-senegalensis, affranchi des pesanteurs du post-colonialisme et conscient de sa propre responsabilité dans son émancipation.  Ensuite, vient la dimension Sopi comme l’appel à changer sa manière de faire vis-à-vis de son entourage.  Et enfin, la dimension du Sopi vu comme l’injonction de changer les habitudes et les modes opératoires et de gouvernance au niveau collectif.

Changeons ! La première étape du Sopi est donc celle de la transformation personnelle, se changer soi-même, comme premier gage de rupture car il nécessite de remplacer notre logiciel intérieur par une prise de conscience et un dépassement personnel.  Une fois ce travail accompli, changeons nos comportements pour impacter positivement les choses autour de nous et transformer notre environnement direct.  Puis, changeons notre action collective et corrigeons les erreurs du passé pour sortir du statu quo ante, et réaliser nos aspirations légitimes en tant que peuple.   Toutefois, le PDS et son leader Maitre Wade une fois au pouvoir ont pêché sur le « comment ? ».  Comment transformer cette manne du Sopi en ciment fédérateur d’une société avide de changement et de dépassement ?

Pour comprendre cet echec il faut se rappeler, qu’en s’installant au palais, les premiers mots du Président Wade étaient : « nos problèmes de sous sont terminés » son premier directeur de cabinet, Idrissa Seck dixit (d’ailleurs on attend toujours le livre « Lui et moi » qu’il nous avait promis).  Quel message envoie-t-on à sa jeunesse, à son peuple qui aspire au changement et à une gestion rigoureuse des maigres deniers publics, avec une déclaration pareille ?  L’accession au pouvoir et faire de la politique d’une manière generale était désormais vue comme un moyen de s’enrichir rapidement.  De plus, c’est sous le magistère de Maitre Wade que nous avons entendu dire que « xalis da niu key lijenti » une sorte d’hymne à la roublardise légitimée par certains actes des proches et sympathisants du Président et autres arrivistes qui engraissaient la thèse de l’enrichissement illicite.  Dès lors, la vertu qui devait être érigée comme soubassement du Sopi pour porter la rupture tant désirée, était absente. Comment changer soi-même, son entourage et son mode de fonctionnement de manière durable si l’attitude et le comportement donnés par le leadership au sommet du pays ne sont pas louables ?  La suite du magistère de Maitre Wade est assez révélatrice du désenchantement de la population devant les pratiques affairistes, clientélistes et dérives antidémocratiques du pouvoir libéral qui fut sanctionné aux urnes en 2012, faute d’avoir su répondre de manière satisfaisante à la demande sociale, malgré quelques réalisations notables au plan des infrastructures.
La situation actuelle ressemble fort à celle de la première alternance en matière d’engouement populaire mais surtout par le parcours des deux figures politiques et chefs de partis emblématiques du PDS et du PASTEF qui ont porté leurs mouvements respectifs au sommet, à savoir Maitre Abdoulaye et Ousmane Sonko.  Ils ont des traits de personnalités et des trajectoires similaires à bien des égards. Le charisme et l’aura des deux personnages, leur côté populiste, la nature de leur combat contre un establishment décrié par le peuple appelant à la rupture, et leur panafricanisme affiché, sont autant de points communs qu’ils partagent allègrement.  Toutefois, la différence majeure qui pourrait voir le parti PASTEF porter et parachever le combat jadis entamé par le PDS à travers le Sopi, est dans la manière de gérer le pays une fois au pouvoir.  Là où le PDS a rencontré des difficultés à transformer le Sopi en action par manque de repères et valeurs partagées, le PASTEF a, aussitôt arrivé au pouvoir, élevé la droiture ou « jub » comme valeur cardinale de son action.  Ainsi, le triptyque Jub-Jubal-Jubbanti (ou Se redresser-Redresser-Dresser) a été érigé comme la colonne vertébrale qui va soutenir la réalisation du projet de société de PASTEF tel qu’il a été présenté aux Sénégalais et théorisé à travers le référentiel 2050.
Jub ou « Se redresser »: c’est se tenir droit, c’est être honnête.  C’est un appel à s’assumer, à changer so

i-même, comme l’a été la première étape du SOPI, au niveau individuel après une prise de conscience.  Le sénégalais, à l’instar des ex-colonisés a longtemps marché courbé, la tête en bas, ignorant le plus souvent ses droits les plus élémentaires et subissant la loi du plus fort.  Le temps est venu de se redresser, de relever la tête et de marcher droit.
Jubal que l’on peut traduire par redresser, mettre sur le droit chemin, vise à changer les comportements et impacter positivement son entourage, correspondant à la deuxième étape du Sopi décrite plus haut.  C’est faire ce qui est juste et faire son devoir.
Jubbanti ou Dresser, veut dire littéralement « remettre à la verticale », c’est-à-dire détordre ce qui est tordu ou rectifier ce qui est hors champs, ou encore mettre sur les rails c’est-à-dire ramener sur le droit chemin.   Il y a là, la notion de corriger les choses, pour le bien commun.  En fait, toutes ces actions du Jub-Jubal-Jubbanti sont mues par le désir de rendre compte, à soi-même et à son peuple.  Le pouvoir en place a donc donner le la.
En effet, les premières mesures de reddition des comptes sont en phase avec les promesses de campagne et combat du PASTEF depuis sa création, laissent espérer que la démarche est logique et soutenue.  Le discours de la méthode pastéfienne est jusque-là cartésien, donc rationnel.  Les moyens de mettre en œuvre leur projet de société, le référentiel 2050, sur base de rupture, sont déployées au fur et à mesure de l’évolution de leur trajectoire allant de la conquête à l’exercice du pouvoir.  C’est ce que le PDS n’a pas pu réussir avec la déconnexion entre la lutte vers le sommet et la réalité des faits dans l’exercice du pouvoir.  L’aurait-il réussi que Macky Sall ne serait certainement pas arrivé au sommet de l’état, pour en plus décevoir les espoirs de tout un peuple à qui il avait promis la patrie avant le parti.
Aujourd’hui, le PASTEF a une belle occasion de réaliser la vraie deuxième alternance du Sénégal, à travers le Jub-Jubal-Jubbanti, en instaurant un mode de gouvernance basé sur la droiture avec des atouts tangibles de faire de l’équité sociale une réalité.  En effet, qui dit droiture invoque les valeurs d’honnêteté, de dignité, de liberté, et de fierté.  Le jub-Jubal-Jubbanti appelle les Sénégalais à se tenir droit, libres et à marcher ensemble vers la prospérité et le développement.  Pour cela, il faudrait que la justice soit là pour tout le monde.  La réussite du projet exige que le nouveau leadership se tienne droit et s’applique les règles qu’il invite les citoyens à adopter.  Ce n’est qu’ainsi que la population qui s’érige désormais en sentinelle de la démocratie et de la justice sociale, pourra accompagner et veiller sur la mise en œuvre du référentiel Sénégal 2050.  La page des compromissions devra être définitivement tournée, et une nouvelle s’ouvrir.  Le futur du Sénégal sera écrit par les dignes fils et filles du pays ou ne sera pas.

En réalité, le Jub-Jubal-Jubbanti est voué à réussir là où le Sopi a buté, c’est-à-dire sur l’affranchissement de tout un peuple qui désormais relève la tête et décide de prendre son destin en main.  Le renouveau du Sénégal est en marche et se caractérise déjà à l’interne par la reddition des comptes, et la mise en place d’un pool judiciaire financier, la séparation effective des pouvoirs avec l’indépendance affirmée de la justice, l’assainissement du secteur galvaudé de l’audiovisuel, l’exigence du paiement des impôts en souffrance auprès des entreprise, les actions prises en vue régler le secteur de l’immobilier et mettre fin à la gabegie foncière du patrimoine national.  A l’externe, déjà, nous observons la redéfinition des relations avec les institutions de Bretton Woods, la renégociation des contrats d’affaires désavantageux pour le pays, le suivi alerte de l’exploitation de notre énergie pétrolière et gazière, mais aussi le départ annoncé des troupes étrangères stationnées sur le territoire sénégalais dont celle de l’ancienne métropole particulièrement, qui représenterait urbi et orbi, une étape importante dans l’affirmation de notre souveraineté nationale.  La commémoration ce 1er décembre, des 80 ans de la tragédie des tirailleurs sénégalais du camp de Thiaroye en 1944,  qui a vu la France reconnaitre ce massacre, en est belle une illustration.

Toutefois, le chèque à blanc signé par le peuple en faveur du pouvoir n’est pas dépourvu de conditionnalités intrinsèques.  Nul n’a envie de revoir les pratiques abusives d’un passé récent se reproduire, et les leaders du PASTEF en sont certainement conscients et sont donc avertis.  La période de grâce est terminée, place à l’action : Sopi ak Jub-Jubal-Jubbanti !
 
Par: Less Salla 
(email : Less.salla1@gmail.com)

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