LA GRANDE DÉBÂCLE FRANÇAISE

par pierre Dieme

Une page majeure de l’histoire militaire française en Afrique est en train de se tourner, selon les informations révélées par Le Monde. Le choc est d’autant plus brutal qu’il intervient sur deux fronts simultanément, avec l’annonce de la rupture de l’accord de défense par le Tchad et la déclaration du Sénégal concernant un possible départ des forces françaises.

Le Tchad, longtemps considéré comme le bastion imprenable de l’influence militaire française en Afrique, vient de porter un coup particulièrement dur à Paris. Le journal Le Monde rapporte que le pays, qui héberge l’une des cinq bases militaires françaises sur le continent, a annoncé le 28 novembre la rupture de l’accord de défense liant les deux nations. Cette décision, qualifiée de « tournant historique » par la diplomatie tchadienne, illustre une volonté claire « d’affirmer sa souveraineté pleine et entière, et de redéfinir ses partenariats stratégiques. »

L’aspect particulièrement frappant de cette annonce réside dans son timing et sa mise en œuvre. Comme le souligne Le Monde, le communiqué est tombé alors que « l’avion du ministre des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, venait à peine de décoller du Tchad. » Plus troublant encore, les plus hautes instances françaises semblaient totalement prises au dépourvu : ni l’Élysée, ni le ministère des armées, ni le Quai d’Orsay n’avaient été prévenus.

Cette rupture s’inscrit dans un contexte plus large de perte d’influence française dans la région. Le quotidien rappelle que le président Mahamat Idriss Déby, âgé de 40 ans, représentait le « dernier allié de la France au Sahel » depuis l’expulsion des forces françaises du Mali, du Burkina Faso et du Niger par les juntes militaires entre 2020 et 2023. Le journal révèle également que des tensions récentes, notamment l’ouverture d’une enquête par le Parquet national financier concernant des soupçons de biens mal acquis, ont contribué à cette décision, tandis que la Russie se positionne en alternative stratégique.

L’échec d’une stratégie de transformation

Le Monde met en lumière les tentatives avortées de réforme de la présence militaire française en Afrique. Dès son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron avait envisagé de « réduire la voilure et de mettre un terme à l’opération Barkhane », dont les 5 000 soldats étaient de plus en plus perçus comme une force d’occupation. Cependant, sous la pression de son entourage politique et militaire, cette initiative avait été abandonnée.

La tentative de redéfinition annoncée en février 2023 par le président français, visant à transformer les bases militaires en « académies » ou en « bases partenariales », semble avoir échoué. Comme le souligne Jonathan Guiffard, chercheur cité par le quotidien du soir : « La France, en réalité, est restée au milieu du guet par rapport à sa posture d’avant. Le problème, c’est qu’elle ne sait pas encore où elle va. »

Le journal détaille les implications concrètes de ce désengagement. Les bases françaises en Afrique, qui réunissaient encore environ 1 700 militaires en 2023 (dont 350 à Libreville et à Dakar), font l’objet de projets de réduction drastique. Un scénario envisageait de limiter cette présence à une centaine de soldats par base, à l’exception du Tchad qui devait maintenir trois cents militaires – un plan désormais caduc.

Selon une source officielle ivoirienne citée par Le Monde, l’avenir semble inexorable : « Il est évident que, d’ici dix ou quinze ans, il n’y aura plus un seul soldat français en Afrique. » Cette prévision s’appuie sur deux facteurs principaux : les contraintes budgétaires françaises et l’opposition croissante de la jeunesse africaine à cette présence militaire.

Les tentatives de renouveau

Le quotidien révèle également les efforts français pour maintenir une influence différente, notamment à travers le développement du « soft power » et de la « lutte informationnelle ». Des initiatives comme la création d’une école spécialisée dans le cyber en Côte d’Ivoire ou l’encouragement des industriels de l’armement à réinvestir en Afrique témoignent de ces tentatives d’adaptation, mais semblent insuffisantes face aux changements géopolitiques en cours.

Cette série d’événements marque indubitablement la fin d’une époque dans les relations franco-africaines. Comme le résume un diplomate africain cité par Le Monde, « c’est une évolution qui a un parfum de rupture. Cela prend l’eau de toute part. » Cette analyse semble confirmer non seulement l’échec de la stratégie de transformation française, mais aussi l’inexorable déclin d’un modèle de relations militaires hérité de la période post-coloniale.

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