Soixante-dix-neuf ans après le massacre de Thiaroye, les relations entre la France et le Sénégal restent marquées par ce drame colonial. Dans un entretien accordé au journal Le Monde, Mamadou Diouf, historien à l’université Columbia de New York et président du comité de commémoration, revient sur les enjeux contemporains de cette mémoire douloureuse.
Le 1er décembre 1944, l’armée française ouvrait le feu sur des tirailleurs africains dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, alors qu’ils réclamaient leurs primes de démobilisation. Longtemps qualifié de « mutinerie » par la France, ce massacre revient aujourd’hui au centre des débats.
« Durant des décennies, la France a entravé la mémoire de ce massacre et exproprié les Africains de cette histoire », dénonce Mamadou Diouf. « Thiaroye est une tache morale indélébile que l’ancien colonisateur a longtemps tenté de dissimuler, en interdisant, par exemple, la diffusion du film d’Ousmane Sembène, ou en niant les faits. »
La controverse s’est ravivée en juin dernier lorsque le président Macron a octroyé la mention « Mort pour la France » à six tirailleurs. Une décision unilatérale critiquée par le Premier ministre Ousmane Sonko. Pour l’historien, « ces commémorations constituent un acte fort, une manière de dire que l’histoire impériale ne peut plus être énoncée exclusivement par la France. »
La question des archives reste un point de friction majeur. Malgré la remise de documents en 2014 sous François Hollande, les autorités sénégalaises suspectent l’existence d’archives secrètes. « Notre comité a identifié une liste d’archives non remises. Il a aussi cartographié les sites où elles pourraient être conservées en France », révèle le président du comité de commémoration.
Le nouveau pouvoir sénégalais entend faire de Thiaroye un symbole panafricain. « Ces tirailleurs, qui n’étaient pas uniquement sénégalais, mais aussi maliens, burkinabès, guinéens, ivoiriens, ont tous été victimes de la violence coloniale », souligne Mamadou Diouf. Des commémorations d’envergure sont prévues du 1er décembre 2024 à avril 2025, avec une forte dimension continentale.
Pour l’historien, cette démarche s’inscrit dans une volonté plus large de « rupture avec l’alignement hérité de la guerre froide et la ‘Françafrique' ». « Il s’agit de nous recentrer sur le continent. En cela, les nouvelles autorités marquent une rupture certaine dans l’histoire postcoloniale sénégalaise », conclut-il dans les colonnes du Monde.