L’Assemblée nationale du Sénégal incarne un lieu de débats, d’élaboration des lois et surtout de représentation des aspirations du peuple sénégalais. Depuis sa création, elle a été le théâtre de scènes politiques qui ont marqué l’histoire du pays. Du charisme de figures politiques notables telles que Lamine Guèye et Caroline Faye aux épisodes tumultueux de débats houleux et de changements de cap, cet article propose une plongée au cœur de l’institution.
L’histoire de l’Assemblée nationale sénégalaise est indissociable de celle de Lamine Guèye, figure incontournable du paysage politique de l’Afrique francophone au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. L’ancien maire de Dakar s’est illustré en tant que premier président de l’Assemblée nationale, à l’indépendance du Sénégal. Cependant, son influence remonte bien avant, lorsque l’élection de Blaise Diagne, premier député noir du Sénégal en 1914, marque un tournant dans l’histoire coloniale et laisse une empreinte indélébile.
Lamine Guèye : le pionnier
Né à Médine (Soudan français, actuel Mali) et très engagé dans la politique locale, Lamine Guèye devient président de l’Assemblée nationale au moment de l’éclatement de la Fédération du Mali en août 1960. Cette nuit historique du 19 au 20 août, il est absent lors du vote décisif déclarant le retrait unilatéral du Sénégal de la fédération, ce qui suscite de nombreuses critiques. Cet épisode est symbolique de la complexité des relations entre les élites politiques sénégalaises et maliennes de l’époque.
Plus tard, en 1962, il joue un rôle central dans la crise institutionnelle opposant Mamadou Dia, président du Conseil, et le président de la République Léopold Sédar Senghor. La motion de censure contre le gouvernement de Dia est adoptée lors d’une session tenue à son domicile, renforçant son aura dans l’histoire politique du pays.
Lamine Guèye décède en 1968, marquant un tournant dans l’histoire de l’Assemblée nationale et laissant un héritage de lutte pour l’émancipation politique des Sénégalais.
Caroline Faye : première femme députée et pionnière de la promotion sociale
Si la parité est aujourd’hui un acquis dans la représentation nationale sénégalaise, Caroline Faye fut la première femme à franchir les portes de l’Assemblée nationale. Elle est élue en 1963, dans une société encore fortement patriarcale. Née à Foundiougne et institutrice de formation, elle consacre sa carrière à l’éducation des jeunes et à la promotion sociale des femmes. Militante dès les années 1950, elle crée des associations féminines visant à éduquer et sensibiliser les femmes des campagnes aux enjeux politiques et sociaux. En 1963, elle est élue députée et devient présidente de la Commission des affaires sociales.
Son engagement dans l’Assemblée fut également déterminant lors de l’élaboration du Code de la famille. En 1973, elle siège comme la seule femme dans la commission dédiée, contribuant à inscrire les droits des femmes dans le droit sénégalais. Le nom de Caroline Faye est désormais associé au grand stade de Mbour, lieu symbolique où Ousmane Sonko et Diomaye Faye ont organisé leur dernière mobilisation à la veille de l’élection présidentielle de février 2024.
Adja Arame Diène : la voix du peuple en wolof
Personnalité haute en couleur, Adja Arame Diène incarne la tradition et la résistance. Première femme analphabète élue députée et première à parler en wolof dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, elle a ouvert la voie à une représentation politique des couches populaires et non instruites. Surnommée la ‘’Mère du Parti socialiste’’, elle sert cinq législatures de 1983 à 2001, en se consacrant aux questions touchant les agriculteurs, la santé et les droits des femmes. Sa persévérance et son ancrage dans le quotidien des Sénégalais lui valent une popularité et une longévité politique rares.
Les plus jeunes et les doyens
L’Assemblée nationale a également vu passer des personnalités de tous âges. Serigne Diop, élu en 1978, devient le plus jeune député à seulement 23 ans. À l’époque, encore étudiant en droit, il est un symbole de l’accession des jeunes à des postes de responsabilité. D’un autre côté, Abdoulaye Wade, élu à l’Assemblée en 2017 à l’âge de 91 ans, incarne l’expérience et la sagesse avant de désister de son mandat de député. Ce qui fait qu’Abdoulaye Makhtar Diop présida la séance inaugurale de la 13e législature, en qualité de doyen d’âge.
Aujourd’hui, la représentativité des jeunes se poursuit avec Sokhna Ba, militante pour l’inclusion des jeunes dans les instances de décision ou encore Aminata Diao, benjamine de la 13e législature, élue à 32 ans.
Ces figures montrent une Assemblée diverse en âges, expérience et vision politique, représentant la diversité des citoyens sénégalais. Plus tard, Marième Soda Ndiaye a remplacé Me Aïssata Tall Sall à l’Assemblée nationale, devenant ainsi la plus jeune parlementaire du mouvement Osez l’Avenir, suite à la nomination de Tall Sall comme ministre envoyée spéciale du chef de l’État Macky Sall. Les relations entre Marième Soda Ndiaye et Me Aïssata Tall Sall se sont détériorées après que l’ancienne maire de Podor a décidé de rejoindre la mouvance présidentielle, à l’approche de l’élection présidentielle de 2019.
La doyenne de la 14e législature, Aïda Sow Diawara, a prononcé un discours aux accents d’adieux le 9 septembre, lors de l’examen du projet de loi autorisant le président à ratifier la Convention de Niamey sur la coopération transfrontalière. Elle a salué cette initiative tout en encourageant les autorités à adopter les textes essentiels sans tarder. Ancienne députée de la 12e législature, elle a également été maire socialiste de Golf-Sud en 2009, réélue en 2014.
Des débats enflammés et des incidents marquants
L’histoire parlementaire sénégalaise est aussi jalonnée de controverses et de moments de tension. L’un des incidents les plus marquants reste la bagarre qui éclate le 1er décembre 2022. Lors d’un débat houleux, un député de l’opposition gifle la parlementaire Amy Ndiaye qui réplique en lui lançant une chaise. Cette scène fait le tour des médias et devient le symbole des divisions internes exacerbées.
Ironie du sort pour les élections de novembre 2024 : les deux camps autrefois opposés, le Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) et l’Alliance pour la République (APR), se retrouvent désormais alliés au sein de l’inter-coalition Takku Wallu et Sam Sa Kaddu. Cette union inattendue reflète les complexités et les retournements de la scène politique sénégalaise où des ennemis d’hier peuvent devenir des partenaires stratégiques aujourd’hui, sous l’influence des réalités électorales et des ambitions partagées.
Autre fait marquant : en février 2024, des affrontements éclatent entre les députés de l’inter-coalition Takku Wallu et Sàmm sa Kàddu, entraînant l’intervention des gendarmes pour calmer la situation. Ce climat de tension est amplifié lors du vote pour le report de la Présidentielle au 15 décembre 2024, suscitant des protestations de l’opposition et des évacuations forcées de députés.
Abdoulaye Wade et Macky Sall se démarquent en tant qu’anciens présidents investis sur les listes électorales pour les Législatives, un fait rare qui témoigne de leur volonté de rester influents sur la scène politique nationale.
Ce retour sur le terrain législatif est synonyme de l’importance que ces deux figures historiques accordent aux enjeux actuels et leur désir de continuer à peser sur les orientations politiques du pays, même après leur passage à la présidence.
Depuis sa création, l’Assemblée nationale a été le théâtre de luttes pour des causes majeures. Parmi les plus emblématiques, l’instauration de lois sociales et de politiques en faveur du monde rural. L’engagement de figures comme Mamadou Dia pour le développement agricole a trouvé un écho favorable dans les sessions parlementaires, influençant les politiques publiques en faveur des zones rurales.
De même, les questions de parité et de représentativité des femmes ont été au cœur des débats, portées par des figures comme Caroline Faye et Adja Arame Diène. Aujourd’hui, le Sénégal fait figure de modèle en Afrique en termes de parité législative.
Les défis auxquels fait face l’Assemblée nationale sont nombreux et les récents événements politiques montrent un paysage parlementaire en pleine mutation. Si l’Assemblée est le reflet des aspirations populaires, elle est également le lieu de confrontations politiques vives, parfois même violentes, comme l’ont mis en exergue les récentes batailles autour du budget ou des lois électorales.
L’évolution de l’Assemblée est donc étroitement liée à celle de la société sénégalaise elle-même, qui aspire à une représentation plus juste et à une gouvernance stable. Aujourd’hui, les nouveaux défis de la transparence, de la modernisation des institutions, et de l’implication des jeunes générations dans la vie politique se posent avec acuité.