Depuis quelques jours, l’on ne parle que du débat. Celui devant opposer le Premier ministre Ousmane Sonko à l’ancien n°2 du président Macky Sall, Amadou Ba. Comme lors des séances de présentation dans les sports de combat, les protagonistes ne cessent de se lancer des piques et d’alimenter les polémiques entre leurs militants et sympathisants. ‘’EnQuête’’ vous présente les profils des deux personnalités politiques les plus en vue du moment.
Amadou Ba est né le 17 mai 1961 à Dakar, plus précisément à Grand-Dakar. Dans un portrait-enquête, Seneweb informait qu’il a passé son enfance dans un quartier chaud de Dakar appelé ‘’Kognou Bagarre’’ (littéralement le quartier de la bagarre, en wolof). Les témoignages sont presque unanimes. L’homme était plus ou moins rangé, focus sur ses études, notamment à l’école primaire Route des puits où il a fait ses humanités, loin du petit banditisme et des fumeurs de chanvre indien.
Après l’entrée en 6e, l’ancien Premier ministre est orienté au lycée Maurice Delafosse. Le baccalauréat (série technique de gestion) en poche, il file à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar où il décrochera son diplôme de Maitrise en sciences économiques (option gestion des entreprises) au milieu des années 80. Par la suite, il réussit au concours d’entrée à l’Enam, d’où il est sorti en 1988.
Né le 15 juillet 1974 à Thiès, Ousmane Sonko, nourrisson de 6 mois, a fait une brève escale à Vélingara où il séjournera jusqu’à l’âge de 18 mois, avant de quitter le Fouladou pour d’autres destinations. Sur les terres de sa ligne paternelle, Ousmane ne s’établira que vers l’âge de 6 ans. Pour faire ses études notamment. Dans un portrait qu’avait réalisé ‘’EnQuête’’, ses proches le décrivaient déjà comme un bon bagarreur, têtu, parce que très à cheval sur la vérité et les principes.
Après l’entrée en 6e, Ousmane dépose ses baluchons au collège Amilcar Cabral où il obtiendra son BFEM, avant d’atterrir au lycée Djignabo puis à l’université Gaston Berger de Saint-Louis. Contrairement à son adversaire qui avait opté pour les sciences économiques, lui a fait droit public à l’UGB, avant de rejoindre l’ENA après la Maitrise. Il va continuer à se former notamment en finances publiques et en fiscalité.
Un débat entre un gestionnaire et un juriste
Du point de vue du parcours professionnel, difficile de faire mieux qu’Amadou Ba. Sorti de l’Enam en 1988, il eut son premier poste à Diourbel en tant qu’inspecteur stagiaire. Inspecteur-chef du 1er Secteur de taxe sur la valeur ajoutée à Dakar, il va faire en 1991 un stage de taxe sur la valeur ajoutée à l’Institut international d’administration publique de Paris, puis en audit des banques, assurances et grandes entreprises à Baltimore, aux États-Unis, avant de retourner au Sénégal où il a gravi presque tous les échelons. Chef d’inspection à Dakar-Plateau, délégué dans les fonctions de commissaire contrôleur des assurances ; inspecteur vérificateur à la Direction des vérifications et enquêtes fiscales. En 2002, il est promu chef du Centre des grandes entreprises de la Direction des impôts, directeur des Impôts en 2005, avant d’occuper la plus haute station au niveau de cette administration, en 2006. Poste qu’il occupera jusqu’à sa nomination comme ministre de l’Économie et des Finances, en 2013.
Artisan principal de la refonte du Code général des impôts de 2012, il a aussi été au cœur de l’élaboration du Plan Sénégal émergent (PSE). En 2019, accusé de nourrir l’ambition de succéder au président Sall, il est débarqué de son poste stratégique, pour être bombardé ministre des Affaires étrangères. Quelque mois plus tard, il est déchargé de toutes ses fonctions par son ex-mentor qui finira par le reprendre et en faire son n°2 et Premier ministre.
C’est un vrai révolutionnaire, un contestataire qui n’hésitait pas à aller au bras de fer avec ses supérieurs hiérarchiques. L’un de ses plus grands faits d’armes au sein de cette administration, c’est d’avoir créé avec ses camarades un organisme syndical dénommé le Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID), trois ans seulement après sa sortie de l’école. Naturellement, Sonko en deviendra le premier secrétaire général. La mise en place de ce syndicat, il l’a toujours justifiée par un désir de mettre les travailleurs à l’abri du besoin, en vue de ne plus les exposer à la corruption.
Présenté comme un ‘’incorruptible’’, quelqu’un qui a eu une carrière courte, mais assez lisse, Sonko n’a pas eu à occuper de postes clés dans cette administration. On sait juste qu’il a débuté au Centre des services fiscaux de Pikine et a également été affecté à la Direction du contrôle interne comme auditeur. Ses proches l’expliquent par son refus de toute compromission. Il en sera radié en 2016 pour manquement à son devoir de réserve.
Dans la foulée, il se présente aux élections législatives de 2017 et est élu grâce au plus fort reste.
Le carriériste face au contestataire
Présenté à tort comme un technocrate, Amadou Ba est un vieux routier de la politique sénégalaise. Un ancien du Parti socialiste, ancien ‘’protégé de Diop-le-maire’’, selon Seneweb, fils d’une ancienne militante du parti d’Abdou Diouf. Ba a démarré sa carrière politique dans les années 1990 aux Parcelles-Assainies, alors qu’il était déjà jeune cadre au niveau de l’administration des impôts. En 1996, il est élu conseiller municipal à la ville de Dakar. ‘’Il restait là jusqu’à 2 h du matin avec nous à faire du porte-à-porte’’, confiait Serigne Wagane Sougou, ancien baron du PS à nos confrères, qui ajoutaient : ‘’L’homme passait son temps plus dans son fief politique que dans sa maison à Nord-Foire. Il était aux Parcelles de 13 h à 14 h 30 mn, puis de 21 h à 3 h et même parfois 4 h.’’
À la chute du régime socialiste en 2000, Amadou Ba prend un peu ses distances et fait focus sur son parcours professionnel. Il tissera néanmoins de bonnes relations avec les tenants du nouveau régime, dont le fils d’Abdoulaye Wade, Karim. Certains n’avaient d’ailleurs pas manqué de le taxer de membre de la Génération du concret de Karim Wade. Lui avait préféré se faire très discret, sans prise de position publique manifeste.
C’est ainsi qu’il a su préserver son poste jusqu’en 2013. À l’arrivée de Macky Sall, il est promu sans qu’on ne sache comment ministre de l’Économie et des Finances.
Plus tard, vers 2016, il décide de revenir officiellement en politique en rejoignant officiellement l’Alliance pour la République. En 2017, il est désigné tête de liste de la coalition présidentielle dans la capitale sénégalaise. C’est d’ailleurs l’une des rares élections remportées par l’ancienne majorité à Dakar.
Le système vs l’antisystème
Son père fut un socialiste convaincu. Mais lui a toujours abhorré la politique. “Je détestais tellement la politique que, lorsque le débat virait à la politique, je me levais et je m’en allais”, confiait-il au journal ‘’L’AS’’. Il est même rapporté, dans un article fait par ‘’EnQuête’’ en 2016, que lui-même ne cessait de demander à son père de cesser ses activités politiques.
C’est donc par pure effraction que Sonko s’est mis sur le chemin de la politique, en passant d’abord par le syndicalisme.
De la création du syndicat en 2005 à 2013, l’actuel Premier ministre a mené une lutte farouche, mais interne. Il se révélera au grand public vers 2013, avec la traque des biens mal acquis qui avait valu des déboires à des membres de son syndicat, dont Tahibou Ndiaye. Ousmane Sonko se défoule sur les plateaux, défend son ami et crie au scandale et à l’injustice. Dans la foulée, en 2014, le parti Pastef est né et il est désigné par les fondateurs comme celui qui est le plus à même d’en être le porte-étendard. Ragaillardi par cette nouvelle casquette, il va mener une lutte farouche contre le régime Sall jusqu’à sa radiation en 2016.
Dans la foulée, il se présente aux élections législatives et devient député grâce au plus fort reste. Candidat à la Présidentielle de 2019, il fait sensation en se classant 3e avec plus de 600 000 voix pour ses premières élections présidentielles. C’est grâce à l’affaire Adji Sarr, en 2021, qu’il va s’imposer comme principal challenger de Macky Sall, pendant que les principaux leaders de l’opposition acceptaient de se ranger derrière lui, pour les Locales et les Législatives de 2022. C’était le début d’une ascension fulgurante jusqu’à la dernière Présidentielle qui a permis à son camp de terrasser le baobab BBY et de l’installer à la primature.
Entre la fougue et la mesure
Entre Amadou Ba et Ousmane Sonko, c’est comme entre le jour et la nuit. Alors que l’un est connu très posé, mesuré, pondéré et discret, l’autre est connu pour ses talents de provocateur, sa fougue, son agressivité… Ce qui pourrait certes constituer sa force pour ce débat, mais aussi une faiblesse. Déjà, dans un post publié hier sur ses plateformes, il donne un avant-goût de ce que devrait être le débat. ‘’Je puis vous promettre que les stigmates de mauvaise gestion de l’ancien Premier ministre seront aussi criards (sic) que les rayures d’un zèbre. Tout est référencé, sourcé et renseigné à partir de documents officiels irréfutables (y compris des rapports qui l’ont mis en cause) et sera mis à la disposition du peuple sénégalais’’, menace-t-il même au seuil du débat.
Ba est ainsi averti. L’actuel Premier ministre va faire ce qu’il sait faire de mieux : c’est-à-dire déballer. A-t-il les arguments pour le contrer, se défendre des accusations qui seront portées contre sa personne ? C’est l’un des plus grands enjeux de ce débat qui s’annonce épique, si jamais il se tient.
Conscient de la gravité des accusations contre lui, l’ancien Premier ministre a apporté récemment quelques bribes de réponses. ‘’Tout au long de ma carrière, disait-il en conférence de presse, j’ai toujours servi le Sénégal avec rigueur, transparence et intégrité. Aucun acte, aucune écriture ne peut m’être imputé dans quelques gestion frauduleuse ou malversation que ce soit’’. L’ancien ministre des Finances d’ajouter : ‘’Je le dis avec foi, fermeté et solennité, je n’ai jamais été épinglé dans aucun rapport d’audit. J’ai servi mon pays dans le respect strict des règles de bonne gouvernance et je rends grâce à Dieu pour cela. Aujourd’hui, certains m’accusent sans apporter la moindre preuve concrète. Je n’ai jamais falsifié les statistiques budgétaires et je nourris un doute profond sur la véracité de ces allégations’’, se défendait-il, non sans préciser qu’il n’était même pas à la tête du département des Finances durant la période couverte par les audits.
Il faut noter que rarement, pour ne pas dire jamais, les deux hommes n’ont été mis à l’épreuve dans des confrontations de cette envergure. Alors que l’ancien maire de Ziguinchor a toujours excellé dans le one man show – soit avec des points de presse ou des émissions où rien ne l’empêche de dérouler – l’enfant de Grand-Dakar, lui, a fait très peu d’émissions contradictoires.
Tous les deux possèdent cependant des atouts certains pour gratifier le public d’un débat de très haute facture.
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