LE BAPTÊME DU FEU DU NOUVEAU RÉGIME

par pierre Dieme

Depuis leur arrivée au pouvoir, les nouvelles autorités sénégalaises sont confrontées à une série de crises qui mettent en lumière leurs difficultés à gérer les affaires publiques de manière efficace. Entre la grève interminable des agents des collectivités locales, les tensions au Port autonome de Dakar, les conflits au sein de l’Office national de l’assainissement du Sénégal (Onas) et les accrochages avec la presse privée, les défis s’accumulent. En parallèle, la confusion entre communication politique et publique, exacerbée par des réponses souvent tardives et maladroites, illustre une gestion de l’État encore balbutiante.

Certains observateurs qualifient cette situation de prématurée pour un régime encore en phase d’installation. Mais ce qui retient davantage l’attention, c’est l’amalgame persistant dans la communication des autorités, entre communication politique et communication publique, deux sphères pourtant distinctes, mais poreuses, selon les spécialistes.

L’un des exemples les plus marquants de cette confusion communicationnelle s’est manifesté récemment au sein du ministère de l’Intégration africaine et des Affaires étrangères. Suite à une publication controversée de l’ambassade d’Ukraine à Dakar, en lien avec la bataille de Tinzaouatène, au nord du Mali, il a fallu une semaine pour que la ministre réagisse. Cette lenteur a suscité l’indignation des internautes pro-panafricains qui ont exigé que l’ambassadeur ukrainien soit convoqué immédiatement. « C’est vraiment désolant d’attendre une semaine pour convoquer l’ambassadeur. Cela aurait dû être fait depuis longtemps », a déploré un diplomate sous couvert de l’anonymat.

La vidéo incriminée, qui a depuis été supprimée, contenait des propos du porte-parole du renseignement ukrainien affirmant que son pays avait fourni des informations aux rebelles touaregs de la CSP (Coordination des mouvements de l’Azawad) dans leurs affrontements avec les forces armées maliennes et les instructeurs russes de Wagner.

L’absence de réaction rapide et cohérente de la part du ministère montre un manque flagrant de stratégie en matière de gestion de crises. Cette attitude réactive, plutôt que proactive, est symptomatique de nombreuses institutions publiques qui réduisent la communication à de simples communiqués de presse et conférences, oubliant l’importance d’une communication publique transparente et adaptée.

L’Affaire ONAS : communication contre information

La crise autour de l’Office National de l’Assainissement du Sénégal (ONAS) illustre parfaitement les lacunes communicationnelles du nouveau régime. Après le limogeage de Cheikh Dieng, ancien Directeur général de l’ONAS, ce dernier a répliqué par une sortie médiatique retentissante, accusant le ministre de tutelle, Cheikh Tidiane Dièye, de graves manquements. Ce silence prolongé de cinq jours de la part des autorités, au moment où les accusations de Cheikh Dieng circulaient librement, a laissé un vide communicationnel. Ce dernier a été rapidement comblé par des militants du parti au pouvoir, qui se sont emparés de la controverse pour défendre le ministre.

L’affaire a pris une tournure encore plus surprenante lorsque, ce dimanche, un communiqué officiel a été publié pour démentir les allégations de Cheikh Dieng. Lors d’une conférence de presse tenue le 16 août 2024, l’ancien directeur a déclaré que le véhicule, immatriculé à son nom et fourni par une entreprise impliquée dans le projet Collecteur Hann-Fann, avait été acquis dans le cadre de ce projet. Selon un communiqué de l’ONAS, cette affirmation est catégoriquement réfutée. Le projet Hann-Fann, financé par un partenariat public-privé (PPP), ne prévoit pas l’achat de véhicules pour le Directeur Général ou les membres de l’Unité de Gestion du Projet (UGP).

Cette révélation, qui soulève des questions sur la transparence des pratiques au sein de l’ONAS, a été l’un des rares points abordés publiquement par l’ancien DG, accentuant le flou entourant la gestion de cette crise par les autorités.

Pour Alassane Kitane, ancien chroniqueur de L’Obs, « Il n’est pas concevable que dans une République, de telles choses puissent être perçues comme relevant du fait divers. Cette banalisation de la non-transparence est une légitimation en amont de tous les abus futurs. » Il poursuit : ‘’Cette affaire (qu’elle soit attestée ou non) prouve au moins une chose : les politiciens sont inconstants et bipolaires. Ils se comportent comme de véritables comédiens de la vertu, car entre le DG et le ministre, il y en a un qui nous ment (si tous les deux ne racontent pas des contrevérités!). La seule note positive de cette affaire, c’est qu’elle nous donne une idée de la cause de l’obstination des inondations à ne pas libérer nos quartiers et nos maisons, malgré les sommes colossales que nous y avons investies’’, se plaint-il dans sa page Facebook.

L’implication des militants politiques dans la défense du ministre, dans ce qui devrait être un débat public sur la transparence et la gestion des fonds publics, montre à quel point la frontière entre communication politique et communication publique est brouillée. Le public, quant à lui, est laissé dans l’incapacité de savoir où se situe la vérité, faute de réponses claires et objectives de la part des institutions concernées.

Selon Pape Ndour, expert en passation de marchés, les controverses qui entourent les décisions de l’ONAS, notamment en ce qui concerne la régularité des marchés publics, devraient impliquer la Direction centrale des Marchés publics (DCMP) et l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP). Ces deux institutions, chargées de veiller à la transparence et à la conformité des procédures, sont les plus à même de trancher cette question et de rétablir la confiance dans le processus.

Plutôt que de chercher à gérer ces crises de manière transparente et professionnelle, les autorités semblent parfois s’appuyer sur des stratégies de communication politique qui n’apportent que peu de clarté sur les véritables enjeux. Dans un tel contexte, le recours à des institutions indépendantes est essentiel pour assurer une gestion impartiale et crédible des affaires publiques, et éviter que les décisions ne soient perçues comme relevant d’intérêts politiques plutôt que de l’intérêt général, explique-t-il.

Port autonome de Dakar : un dialogue de sourds

Le Port autonome de Dakar (PAD) n’a pas non plus échappé à la confusion communicationnelle. Les accusations portées par l’Intersyndicale contre le nouveau directeur général Waly Diouf Bodian, concernant des irrégularités dans la passation d’un marché d’audit du personnel et la suspension de 700 contrats temporaires, ont d’abord été démenties par des militants et un humoriste proche du pouvoir. Ce n’est qu’ensuite que la cellule de communication du port a publié un communiqué suivi d’une intervention du DG sur une chaîne privée qui n’a fait qu’alimenter la controverse plutôt que de la résoudre.

Ce « ping-pong » communicationnel entre la direction et les syndicats montre une absence de dialogue constructif, où chaque camp cherche à tirer la couverture sur soi, au détriment de la transparence. Dans ce contexte, il devient difficile pour le public de discerner les faits réels et le risque de désinformation augmente, ce qui nuit à la crédibilité des institutions publiques.

La crise avec la presse privée

La crise avec la presse privée, quant à elle, a mis en exergue les limites du dialogue entre les autorités et les acteurs médiatiques. Il a fallu une journée sans presse pour que le président de la République Bassirou Diomaye Faye intervienne, en ordonnant au ministre de la Communication Alioune Sall de trouver une issue à la situation. Cette réaction tardive a été perçue comme un manque d’anticipation et de compréhension des enjeux médiatiques dans un pays où la liberté de la presse est un acquis précieux.

La grève des médias, en réaction à la série de mesures prises par les autorités, aurait pu être évitée si un dialogue franc et ouvert avait été engagé en amont.

La situation montre que les nouvelles autorités peinent à s’adapter à leur nouveau rôle où il ne s’agit plus seulement de faire de la politique, mais de gérer des institutions publiques avec doigté et ouverture.

La grève des collectivités locales

Dans ce contexte de crises successives qui secouent le nouveau régime, la grève des agents des collectivités locales se distingue par sa durée et sa complexité. Depuis plus de deux ans, cette grève persiste sans qu’une issue ne soit trouvée. La position inflexible du ministre des Collectivités locales, Balla Moussa Fofana, et les injonctions données aux préfets et sous-préfets pour recueillir les noms des grévistes n’ont fait qu’aggraver la situation, exacerbant les tensions plutôt que de les apaiser.

Malgré plusieurs tentatives d’apaisement, notamment à travers des appels au dialogue, les agents grévistes restent sur leurs positions, déplorant l’absence d’un interlocuteur qu’ils jugeraient crédible et capable de répondre à leurs préoccupations.

Lors d’une conférence de presse tenue à Dakar, Balla Moussa Fofana a tenté de clarifier la position du gouvernement, en rappelant sa détermination à trouver « une solution juste et équitable » aux revendications des fonctionnaires des collectivités territoriales, tout en affirmant la nécessité de protéger les intérêts de l’ensemble des citoyens.

Cependant, ces déclarations semblent avoir eu peu d’effet, les grévistes considérant que les propositions du gouvernement manquent de substance et ne répondent pas à leurs attentes. Le manque de confiance dans les autorités actuelles et la perception d’une communication plus politique que publique ont contribué à envenimer la situation.

Cette crise est symptomatique de l’amalgame persistant entre communication politique et publique, où les autorités peinent à instaurer un véritable dialogue, laissant la situation s’enliser davantage.

L’inadaptation des nouvelles autorités : une mue qui tarde

Les crises répétées et la confusion communicationnelle qui en découle révèlent un problème plus profond : l’inadaptation des nouvelles autorités à leur rôle de gestionnaires de l’État. En dépit de leur background politique, ils peinent à adopter une posture institutionnelle qui nécessite des stratégies de communication structurées, centrées sur l’intérêt public plutôt que sur les gains politiques immédiats. Cette transition semble tarder et les conséquences se font déjà sentir sur la scène publique.

Dans ce contexte, certains ministres, comme El Malick Ndiaye, tentent d’impulser une nouvelle dynamique. Chargé d’organiser les états généraux des transports publics, il a pris l’initiative d’organiser un séminaire pour harmoniser les positions des différents acteurs du secteur. Cette démarche, si elle est menée avec transparence et en concertation avec les parties prenantes, pourrait montrer une voie à suivre pour d’autres ministères.

Les nouvelles autorités sénégalaises sont confrontées à un défi de taille : réussir à gérer l’État dans un contexte de crises multiples, tout en réconciliant communication politique et communication publique. Les récents événements montrent qu’il y a encore un long chemin à parcourir pour instaurer une culture de transparence et de dialogue au sein des institutions publiques. La mue des autorités, de politiciens à gestionnaires responsables, est nécessaire pour restaurer la confiance des citoyens et assurer une gouvernance efficace et respectueuse des principes démocratiques.

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