Abdoulaye Bathily est le nouvel Envoyé spécial du président Bassirou Diomaye Faye pour les questions internationales. C’est le chef de l’Etat sénégalais qui en a fait la révélation après avoir été interpellé sur sa mission de médiateur de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) auprès des Etats de l’Alliance du Sahel (AES). C’était lors de son entretien du 13 juillet 2024 avec la presse locale à Dakar.
« J’ai pu convaincre le professeur Abdoulaye Bathily (de devenir) mon Envoyé spécial. Pas seulement sur cette mission de médiation dans laquelle la Cedeao m’a impliqué mais aussi sur d’autres missions pour lesquelles j’aurai besoin de son expérience, de sa respectabilité et de sa stature », a expliqué le président Faye.
Dans son dernier ouvrage, « Passion de liberté », qui constitue en somme ses mémoires, Abdoulaye Bathily se définit en « médiateur volontaire au service de l’Afrique » car il considère que c’est son devoir de « travailler à l’amélioration des rapports du Sénégal avec ses voisins ». Ici, il ne s’agira pas de cela car l’objet de la médiation à laquelle l’invite le président Faye semble plus compliquée qu’un sujet bilatéral.
Le 6 juillet dernier, le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont lancé à Niamey la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel après avoir annoncé auparavant leur départ du bloc ouest-africain. Ils protestent contre les influences extra-communautaire qui, selon eux, détournent l’institution de ses responsabilités fondamentales de protection envers ses membres et, donc, de ses objectifs. Des critiques balayées le lendemain par la Cedeao au cours d’un sommet tenu à Abuja et au terme duquel le Sénégalais Bassirou Diomaye Faye et le Togolais Faure Gnassingbè ont été désignés co-médiateurs pour tenter de rapatrier les pays de l’AES dans le giron ouest-africain.
Expérience et réseaux
Abdoulaye Bathily est un bon connaisseur des crises politiques d’Afrique subsaharienne, en particulier ouest-africaine. Son statut de professeur d’histoire émérite, sa maitrise des rouages fonctionnels des organisations continentales comme l’Union africaine et ses fonctions récentes de Représentant spécial du secrétaire général des Nations unies dans plusieurs dossiers en font un homme d’expérience et de réseaux. Mais cela suffira-t-il pour tirer remettre les pays de l’AES dans le train de la Cedeao ?
La mission de l’ancien ministre sénégalais de l’Environnement est particulièrement périlleuse si l’on tient compte de la détermination sans faille que le Mali, le Burkina Faso et le Niger affichent, partout et en toutes circonstances, dans leur volonté de mettre en oeuvre la Confédération des Etats de l’AES. Abdoulaye Diop, le chef de la diplomatie malienne, a déclaré à plusieurs reprises que la direction prise par les trois pays est « irréversible », demandant au passage de « cesser de regarder dans le rétroviseur ». Sous cet angle, la question de la marge de manœuvre dont pourrait disposer Abdoulaye Bathily est incontournable.
« Il connait bien les questions militaires et sécuritaires propres au Sahel, souligne Alioune Tine, président du think-tank Afrikajom Center. A cet égard, il peut rendre plus intelligibles pour Faye et Gnassingbè le contexte et les faits qui ont poussé les Etats de l’AES à cette rupture avec la Cedeao. A mon avis, il ne pourra pas faire plus que cela ».
Jusqu’en avril 2024, Abdoulaye Bathily était l’Envoyé spécial pour la Libye et chef de la Mission d’appui des Nations unies. Avant de démissionner, il aura dénoncé à maintes reprises l’égoïsme et la mauvaise foi des chefs de factions libyennes qui se disputent le pouvoir dans ce pays saucissonné en provinces autonomes et ravagé par des rivalités politico-tribalistes depuis les bombardements de l’OTAN et l’assassinat du colonel Mouammar Khadafi en 2011.
C’est sur les décombres libyens qu’est née la crise sécuritaire et politique au Mali avant sa propagation au Niger et au Burkina Faso. Autant de contextes dans lesquels La France a été accusée de duplicité par sa propension à soutenir des « régimes corrompus » dans ces trois pays tout en faisant émerger des forces terroristes au service de son agenda géopolitique dans le Sahel. Le coup d’Etat militaire contre Ibrahim Boubacar Keïta est le point de départ de ses déboires dans la région ouest-africaine.
Limites d’une médiation
Dans cet imbroglio, le diplomate Abdoulaye Bathily, sera sans doute reçu par les autorités maliennes, nigériennes et burkinabè. Il décrochera certainement des audiences avec Assimi Goïta à Bamako, Abdourahamane Tiani à Niamey et Ibrahim Traoré à Ouagadougou. Sa stature de militant des causes progressistes en Afrique lui en donnerait droit en conformité avec les orientations panafricanismes des régimes de l’AES. Mais à quoi cela servirait-il au regard de la « radicalité » et de la trajectoire « irréversible » qui encadrent le projet de mise en oeuvre de la Confédération de l’AES ?
« Il existe encore des canaux de discussion entre la Cedeao et l’AES, comme l’a dit Abdoulaye Diop. Cependant, il faut prendre en compte un facteur extrêmement important : l’AES tend à devenir un ensemble protégé par la Russie », souligne Alioune Tine. Un constat qui le projette déjà dans le futur.
« Le Cedeao a besoin d’être réformée en profondeur. Et si elle a le courage d’aller dans cette direction, il serait possible de faire émerger un nouveau cadre institutionnel dans lequel les pays de l’Alliance des Etats du Sahel pourraient se retrouver ».
Selon Tine, il faut connecter la question de l’AES au contexte plus large de la crise géopolitique interminable entre l’Occident et la Russie. « C’est un transfert de conflit dans le Sahel comme aire d’influences diverses dans laquelle la France et ses alliés perdent du terrain au profit de Moscou ».
Après avoir bourlingué aux quatre coins de l’Afrique en missi dominici au service des résolutions de conflit, Abdoulaye Bathily revient au bercail de ses origines sahéliennes. Dans son ouvrage précité, il estime que les dictatures et les coups d’Etat militaire font naturellement reculer la démocratie et l’exercice des libertés civiles et politiques. Mais il arrive, comme dans le cas du Nigeria selon lui, que les distorsions de l’ordre constitutionnel favorisent l’émergence de « personnalités progressistes » utiles à l’émancipation des peuples africains. Goïta, Tiani et Traoré ?