LES TÊTES ÉMERGENTES DE LA NOUVELLE OPPOSITION

par pierre Dieme

La large victoire de Bassirou Diomaye Faye au soir du 24 mars 2024 avec 54,28% des voix a plongé depuis lors les autres groupes politiques dans la torpeur. Est-ce pour accorder au nouveau régime un délai de grâce ; ou une peur bleue contre Ousmane Sonko et compagnie ? quoi qu’il en soit, depuis quelque temps, des têtes émergentes sortent de leur réserve pour incarner l’opposition radicale.

La nature a horreur du vide. Thierno Alassane Sall (TAS), Thierno Bocoum et Abdou Mbow l’ont bien compris et ils sont en train d’occuper grandement l’espace abandonné par les ténors de la politique sénégalaise. Ils n’hésitent pas à monter au front pour attaquer les autorités actuelles. Et leur discours commence à porter. Si cela est possible, c’est parce qu’ils sont quasiment de la même génération qu’Ousmane Sonko et Diomaye Faye et qu’ils incarnent à peu près le même style dans la manière de faire la politique.

Mais si cela est vraiment possible, c’est parce que ceux qui devaient incarner l’opposition se font rares ou semblent bouder l’espace. Sont-ils déçus de leur score lors du scrutin présidentiel ? Peinent-ils à se remettre de la défaite ou à mobiliser depuis la cuisante défaite du 24 mars 2024 ? Accordent-ils un délai de grâce à l’actuel régime ? La réalité est que Karim Wade, Idrissa Seck, Khalifa Sall, Abdourahmane Dia de PUR, Amadou Ba, sont déconnectés des réalités politiques et sociales et du terrain politique. Malgré les piques lancées par Ousmane Sonko lors d’une rencontre politique au niveau de l’esplanade du Grand théâtre en les qualifiant de peureux, ces leaders n’ont pas réagi, préférant répondre par le silence.

Preuve qu’ils sont dans une torpeur inquiétante. Les rares réactions de certains d’entre eux étaient molles quand Ousmane Sonko a défié le Parlement en indiquant qu’il allait effectuer sa Déclaration de politique générale devant un jury populaire si d’ici le 15 juillet prochain, les carences du règlement intérieur ne sont pas réglées.

Aujourd’hui, c’est Thierno Bocoum, Abdou Mbow et Thierno Alassane Sall (TAS) qui sont actifs sur le terrain pour croiser le fer avec le Premier ministre et essayer de le ramener à la raison.

TAS, un leader charismatique

Le leader de la République des Valeurs est l’un des plus virulents et des plus coriaces à affronter Sonko. Ainsi, sur la tenue de sa DPG devant un jury populaire, il a raillé dans premier temps le Premier ministre en soutenant qu’il préfère le populeux marché Colobane à l’Assemblée nationale, où il comptait obtenir un vote de confiance populaire contre l’Assemblée nationale à qui il a déclaré la guerre. Selon Thierno Alassane Sall (TAS), gouverner par la rue contre les institutions est un exercice périlleux dans un pays aux mille urgences. “Plutôt que de lancer un ultimatum à l’Assemblée nationale à qui il est tenu de par la Constitution de s’adresser, Ousmane Sonko serait mieux inspiré de se rapprocher de cette institution et de trouver une solution à cette crise factice », a-t-il préconisé. Cette déclaration de TAS fait suite à d’autres sur le même sujet.

Mais il faut noter que TAS avait déjà déterré la hache de guerre en s’indignant contre l’affectation du Général Souleymane Kandé en Inde. Un fait qui l’avait fait sortir prématurément de la période d’observation qu’il s’était imposée. Il disait à l’époque que cette affectation du Général Kandé donnait l’impression d’un cas typique de bannissement d’un officier encombrant. De façon plus large, ajoutait-il, les décisions récentes du nouveau régime révélaient des tendances inquiétantes dans la gestion des institutions. “Étendre aux forces de défense et de sécurité les limogeages en cascade qui touchent la haute administration lors des alternances politiques serait un précédent dangereux pour notre Armée jusqu’ici réputée républicaine. Ce serait accréditer l’idée qu’il y a, dans les rangs de nos FDS, des lignes de fracture suivant les allégeances supposées. Promouvoir par décret un officier de gendarmerie radié et bannir dans la foulée un Général dont la réputation va bien au-delà des troupes, est un précédent fâcheux, en rupture des traditions de notre pays”, avait-il alerté.

Thierno Bocoum prend des ailes

Thierno Bocoum va plus loin dans sa démarche. Il a organisé hier une conférence de presse pour s’attaquer à Sonko et Cie. Le leader du mouvement AGIR n’a pas du tout aimé aussi les propos du PM sur la DPG. L’ancien député n’a pas supporté que le chef du gouvernement ait menacé de tenir sa DPG devant un jury populaire. Le cas échéant, prévient-il, ce serait un précédent dangereux et une atteinte grave aux institutions de la République. Face à la presse hier, Thierno Bocoum a soutenu que Sonko n’avait pas les qualités nécessaires pour occuper le poste de PM. “Nous avons été surpris par le comportement de Ousmane Sonko qui attaque tout le monde… Ousmane Sonko ne respecte pas les institutions… Il ne respecte pas les Sénégalais… Il n’a pas les capacités d’un Premier ministre… », se désole-t-il. Il a ouvert en outre un autre front en relation avec l’occupation illégale du littoral. Selon lui, l’hôtel Azalaï où Sonko et Diomaye avaient établi leur quartier général appartient à des « amis » d’Ousmane Sonko, et qu’il est bâti sur 7 000 mètres carrés, sur le littoral. “Ce qui est un gros scandale”, renchérit-il. Rappelant que l’hôtel Azalaï est dans le domaine public maritime, il a demandé à ce qu’on nous dise comment cela est possible.

Abdou Mbow, le répondeur automatique

En définitive, de tous les trois, Abdou Mbow est le plus actif depuis la chute du régime de Macky Sall. Il est sur tous les fronts: plateaux médiatiques, Assemblée nationale, conférences de presse… Il est en quelque sorte aujourd’hui le porte-étendard des apéristes contre le régime Diomaye. D’ailleurs, en tant que président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakaar (BBY), il est au cœur de la stratégie visant à bloquer l’Exécutif en usant de leur majorité parlementaire. C’est ainsi d’ailleurs que le bureau de l’Assemblée nationale a décidé à l’unanimité de surseoir au débat d’orientation budgétaire. Une manière de réagir aux attaques du Premier ministre contre l’institution parlementaire dont le règlement intérieur ne prévoit pas actuellement les modalités d’organisation de la déclaration de politique générale (DPG). Il faut noter aussi qu’à chaque fois que le leader de Pastef attaque l’ancien régime, Abdou Mbow réplique tel un répondeur automatique. C’était le cas quand le Premier ministre Ousmane Sonko avait annoncé des poursuites judiciaires contre les anciens responsables de l’ancien régime en faisant état des rapports et des évènements qui ont secoué le pays ces dernières années. En colère contre ces propos, Abdou Mbow ne l’avait pas raté en indiquant qu’aujourd’hui encore, Ousmane Sonko continue dans la menace. “Je pense qu’il porte aujourd’hui un costume qui ne lui convient pas ou bien il a véritablement un problème”, a-t-il soutenu avant de le conseiller d’aller travailler plutôt que de menacer les gens. “Il a tous les instruments. Il a les rapports sur sa table, il n’a qu’à passer à l’acte», lui avait-il recommandé.

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