La Professeure agrégée de la faculté des droits Amsatou Sow Sidibé se dit optimiste quant à la suite du dialogue national sur la justice. Dans un entretien accordé à L’AS TV, elle livre une lecture sans fard du fonctionnement de la justice et ce qu’elle attend du dialogue national.
Professeur, vous faites partie de la commission réforme des assises qui ont démarré depuis mardi. Comment se passent les travaux ?
Amsatou Sidibé : Ça se passe très bien. Je crois que le peuple sénégalais avait soif de travailler sur la question de la justice. Je voudrais vivement féliciter le gouvernement sénégalais pour avoir parmi les premiers actes à poser, penser à une réflexion poussée sur la question de la justice. Parce qu’il y avait comme une sorte de divorce des populations et la justice. Alors je dis que ça se passe très bien parce que c’est très bien organisé et il y a eu trois grandes commissions : la commission réforme, la commission modernisation et la commission scientifique. Au sein des commissions, il y a des sous commissions. Par exemple, dans la commission réforme, il y a une sous-commission qui travaille sur les acteurs de la justice et une sous-commission qui réfléchit sur d’autres questions liées aux valeurs, l’humanisation, la réforme des comptes etc. Et moi je suis dans cette sous-commission-là. Je pense que c’est la première fois qu’un dialogue, de manière générale, se passe comme ça. Parce que c’est un dialogue sectoriel, ce n’est pas un dialogue qui veut en même temps parler de tout. Là, ce n’est que la justice et pour la justice, la stratégie utilisée est inclusive car tout le monde est là, toute personne qui peut se sentir concernée est conviée à ces assises. Il y a des acteurs directs de la justice tels que les magistrats, les avocats, les greffiers, les personnels de l’administration pénitentiaire. Il y a les syndicats, les organisations de droits humains, la société civile, les organisations de femme, les détenus donc des personnes qui ont vécu dans leur chair la mise en œuvre de la justice. Il y a les chefs religieux, les universitaires également parce qu’on a besoin d’une bonne dose de réflexion théorique et pratique. Nous avons en quelques jours organisé dans le domaine de la justice, une sorte «ndëpp» parce que les ex détenus, hommes comme femmes, ont fait part de ce qu’ils ont vécu. C’était formidable. C’était de grands moments. Cela nous a permis de voir les vraies réalités en prison et on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas d’humanisme dans la mise en œuvre du droit, dans la justice sénégalaise.
Parmi toutes les propositions que vous avez eu à faire, est-ce qu’il y a eu des accords ?
Oui, pour l’essentiel. Il y a des discussions à bâtons rompus et ça a été consigné dans les rapports. On ne peut pas parler d’accord pour le moment mais c’est considéré dans les rapports qui devront être mis en œuvre par la suite. Il y aura une poursuite de la réflexion et il faudrait qu’il y ait un suivi. Vous savez, le Président Diomaye Faye a été sur la base d’un projet dont l’un des axes majeurs porte sur la modernisation de la justice. Et sur la protection des droits humains. Sur cette base, il y a eu ces recommandations et ce poil sur la justice nous a beaucoup importés. Parce que globalement, le projet parle de la souveraineté et c’est un maitre mot du projet. Il y a énormément de ressemblances entre mes idées et celles du projet.
Justement cette souveraineté judiciaire, vous en parliez dans votre récente note. Pourquoi vous n’avez pas fait cette proposition en interne ?
Oui j’ai fait la proposition ; ça me tient à cœur. Parce que quand on parle de souveraineté économique, de souveraineté par rapport au franc, de souveraineté dans le domaine de la santé, on ne peut pas ignorer quelque chose qui concerne directement les personnes : la justice. Est-ce que le système de droit que nous utilisons, est-ce que la pratique que nous avons du droit est conforme à ce que vivent, à ce que sentent les populations ? C’est très important parce que vous savez, à l’indépendance, en un laps de temps très court, on a eu énormément de codes sénégalais. Ce n’était pas difficile, il a fallu prendre là-bas un code du travail français ; on a changé France pour mettre Sénégal. On a fait la même chose dans le domaine du droit pénal, de la procédure pénale. On a pris aussi le code civil français, tout notre droit des obligations civiles et commerciales. C’était facile. Il fallait prendre et au lieu de France, mettre Sénégal. Sauf quand même dans deux domaines essentiels où la sensibilité de la personne a été vraiment prise en compte : c’est dans le domaine foncier, avec la loi sur le domaine national qui s’inspire de nos valeurs sénégalaises et africaines. Et le code de la famille. D’ailleurs le code de la famille, alors que tout au début, on a eu tous ces codes-là du travail, pénal, etc., il a fallu 12 ans pour avoir un code de la famille. C’était réfléchi. Il y avait les imams, les cadis. Il y avait les universitaires, les magistrats. Il y avait les chefs coutumiers. Il y avait tout le monde. Le système des colons, et même ce que nous vivons dans les prisons, ça vient des colonisateurs parce que le colonisateur avait une pratique de la sanction de la répression, qui était trop sévère. Ils avaient le bail, et ça a été perpétué chez nous parce qu’on a fait que prendre un système, le code pénal, le code de procédure pénale etc…Mais il faut savoir qu’eux, ils sont en train de changer mais nous, nous avons malheureusement toujours encore ces anciens textes. Alors, c’est à revoir. On ne peut pas évidemment en quelques mois voire quelques années faire une réforme globale pour penser et repenser notre système de droit. Mais il faudra qu’on le fasse, qu’on y arrive. Il faut un droit qui soit plus proche de ce que nous savons, de ce que nous ressentons, plus proche de nos réalités sociales, tel n’est pas le cas. Et voilà donc pourquoi on propose qu’il y ait une commission qui réfléchisse sur toutes ces questions.
Va-t-on vers une justice des vainqueurs ?
Non. Ce qui est bon pour que la justice soit meilleure et que les populations acceptent enfin notre justice. C’est ça notre préoccupation. Mais quelqu’un comme Pape Abdoulaye Touré a posé les problèmes des prisons ; ce qu’il a posé, c’est la question de l’humanisation dans les prisons. Des personnes des droits de l’Homme qui ont travaillé sur les droits humains pendant des décennies posent ces problèmes Parce que la justice, elle est faite pour les humains .Or, les humains ont des droits que Dieu leur a donnés ; il f aut les protéger. C’est cet aspect-là qui nous intéresse. Mais nous, les aspects de revanche, cela ne peut pas traverser notre esprit, en tout cas dans notre sous-commission ; et même dans notre commission, j’imagine que c’est la même chose partout.
Donc au sortir de ces assises, vous vous attendez à ce qu’on effectue une modification constitutionnelle ou bien à ce qu’on aille vers un référendum pour modifier en profondeur certaines lois comme celle du code de la famille ?
Ça n’a rien à voir avec la Constitution. Quand on parle par exemple de l’autorité parentale dans le code de la famille, on peut ne pas regarder la constitution mais se rendre compte justement de ce que les soubassements de notre droit imposent le principe de l’égalité dans la famille, entre les parents, entre les conjoints, les parents vis-à-vis des enfants et il y a énormément de moyens de plaidoyer. On n’a même pas besoin de référendum. Tous les principes sont là ; la constitution pose le principe de l’égalité. On a tout, on a nos valeurs parce que dans nos valeurs, la femme occupe une place importante pour l’éducation des enfants. La puissance paternelle justement, vous savez d’où ça vient, du droit colonial. C’est le colonisateur qui nous a imposé la puissance paternelle. C’était écrit noir sur blanc dans le code civil français et ça venait du pater familias de droit romain mais ça, on peut s’en débarrasser. Quand justement je parle de ce phénomène de souveraineté, l’affaire de la puissance paternelle doit être dedans parce que nous, on ne connaissait pas. Moi je suis originaire d’une culture walo-walo, on ne connaît pas ces choses-là. Mais avec la puissance paternelle qui vient du droit colonial, quand l’enfant a un père et une mère, chacun d’entre eux a le droit de gérer l’enfant. Mais dans la pratique, on écarte la mère. C’est le père qui dans la pratique doit faire cela ; théoriquement, cela appartient au père et à la mère. Mais dans la pratique, c’est le père qui doit s’en charger alors que la mère a porté l’enfant pendant 9 mois, l’a allaité, s’est occupé de lui. Il faut que les droits correspondent aux faits. Là, le droit ne correspond pas aux faits parce que le père s’occupe bien des enfants mais la mère aussi, on ne peut pas dire qu’elle ne s’occupe bien des enfants. Au contraire. Donc le droit doit être conforme aux faits. Mais tout ce qui est proposé fera l’objet de projet de loi au niveau de l’assemblée nationale.
Selon vous, est-ce que ce serait facile de réconcilier la justice avec le peuple d’autant plus qu’on sait que par le passé, il y a eu des juges comme Sabassi Faye ou même l’actuel ministre qui ont su réaffirmer leur indépendance ; pensez-vous que ce sera chose facile ?
C’est d’abord une question de volonté politique et je pense que le président de la République et le PM ont pleine conscience de ce que le Sénégal ne peut plus vivre comme avant. Les sénégalais, avec le »ndëpp » que nous avons vécu, hé bien, il faut se rendre compte qu’ils en ont marre, ils en ont assez, ils veulent respirer, ils veulent plus de justice et ils veulent même que celui qui est atteint devant les juridictions, qui est puni, qu’on le considère comme étant une personne humaine, il n’est pas un animal. Les animaux, on s’en occupe. Il n’est pas cette barre de fer. Même la barre de fer, il faut s’en occuper. C’est une personne en chair et en os, créée parDieu qui a beaucoup d’estime pour cette personne. Il lui a donné la dignité et des droits et personne n’a le droit de porter atteinte à cette dignité, et à ses droits. La personne a commis une faute, il y a des lois. On veut par exemple éviter qu’il y ait trouble à l’ordre public ou bien on veut travailler cette personne pour qu’elle puisse être mieux éduquée, pour mieux être introduite dans la société, ce n’est que ça la peine. La peine, ce n’est pas pour être méchamment répressif, ce n’est pas ça l’objectif d’une sanction. Plus de liberté d’aller et de venir, c’est ça qui doit être méchant. Œil pour œil, dent pour dent, ce n’est pas fait pour nous, c’est fini ça. Je ne pense pas que le régime actuel puisse s’orienter vers ça, parce que les populations pourraient critiquer or personne n’a intérêt à être critiqué. Donc je ne pense pas. De l’autre côté, je veux dire qu’on en a marre des injures, des discours violents, on en a marre. Moi professeur Amsatou Sow Sidibé, j’ai du mépris vis-à-vis de toute personne qui utilise des mots sales, des injures….
Quel avenir politique pour Amsatou Sidibé ?
Je suis là. Vous savez, je suis chef de parti politique, dirigé par une femme. C’est une exception. J’ai initié ce qu’on appelle la 3ème voix politique. La 3ème voix est une alternative qui aide à la protection des citoyens, à l’émergence de la citoyenneté. Nous avons besoin de travailler pour cela et tout le monde a intérêt à ce qu’on travaille. Si on veut que les citoyens disent que ça se passe bien. Parce que nous sommes là, nous aidons, alertons, nous sommes une force de propositions et d’actions. Ce n’est pas pour rien que je suis aux assises ; depuis le début, je participe activement. Mon avenir politique, c’est qu’il y a une femme, présidente d’un parti politique qui n’a jamais reculé devant les élections. C’est-à-dire l’art de gérer la cité. Mon avenir politique est radieux.
Entretien réalisé par Yacine DiEYE