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À l’occasion du conseil des ministres du mercredi 08 mai 2024, évoquant le secteur de l’agriculture, le Chef de l’Etat a rappelé qu’elle est le moteur essentiel pour fonder, sur une base solide, la souveraineté alimentaire du Sénégal, la croissance économique et la création d’emplois décents.
En s’inspirant du PROJET, il convient, selon lui, de changer de paradigme en veillant à la responsabilisation accrue des organisations professionnelles à la base. C’est dans cette optique que le Président de la République a demandé au Ministre de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l’Elevage et au Secrétaire d’Etat aux Coopératives et à l’Encadrement paysan de proposer la revue et l’actualisation de la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP).
Ainsi, La révision de cette loi s’inscrit notamment dans une perspective de renforcement de la place fondamentale des organisations professionnelles du monde rural dans la gouvernance de ce secteur vital.
Le Sénégal s’est doté en 2004 d’une loi d’orientation agro-sylvo-pastorale. Elle constituera le cadre de développement agro-sylvo-pastoral pour les vingt prochaines années (2000-2024). Elaborée en concertation avec les divers acteurs du secteur rural et de la société civile, elle a fait l’objet d’un large consensus. Cette démarche de dialogue avec les différents acteurs est poursuivie et institutionnalisée dans la loi. L’agriculture, l’élevage, la pêche et la forêt jouent un rôle majeur dans l’économie et la société sénégalaise.
Toutefois, le secteur agricole, en particulier connaît une crise structurelle que les différentes politiques mises en œuvre jusqu’alors n’ont pas su enrayer. Cette situation a suscité une volonté partagée de réformer et de moderniser le secteur agricole. C’est dans ce contexte que la LOASP a été élaborée en concertation avec les différents acteurs du secteur rural et de la société civile. Elle a été votée à l’Assemblée nationale le 25 mai 2004 et promulguée le 4 juin 2004.
L’agriculture, l’élevage, la pêche et la forêt occupent environ 60 % de la population sénégalaise en âge de travailler. Ils participent à créer approximativement 17 % du PIB et demeurent pour le Sénégal un levier majeur de développement. Enfin, la population rurale tire l’essentiel de ses revenus de l’agriculture (LOASP, 2004).
En outre, l’agriculture sénégalaise est dominée par des exploitations de type familial qui occupent environ 95 % des terres agricoles du pays (Hathie et Ba, 2015). Dans les campagnes comme dans les villes, c’est la structuration de l’activité qui caractérise cette agriculture. Ainsi, la LOASP de 2004 dans son article 16 définit une exploitation agricole familiale comme « une unité disposant de facteurs de production (terre, bâtiments, cheptel, matériels, main d’œuvre, etc.) qui sont utilisés par un exploitant exerçant un métier de l’agriculture ».
Dans son article 18, elle apporte une précision supplémentaire en ce qui concerne le caractère « familial » en signifiant qu’il s’agit « d’une unité de production agricole organisée sur une base familiale, au sein de laquelle les rapports entre personnes ».
Après 20 ans de mise en œuvre mitigée, quelle est de la place de l’agriculture urbaine dans la revue et l’actualisation de la LOASP ?
Cette contribution a pour objectif de faire des propositions pour intégrer l’agriculture urbaine et de préserver le foncier agricole dans la nouvelle loi d’orientation agro-sylvo-pastorale. Autrement, elle vise à identifier des dynamiques agricoles au regard des dynamiques foncières et démographiques. Dans cette réflexion nous nous efforçons d’identifier les difficiles équilibres en place, entre maintien de fonction d’autoconsommation favorables à la sécurité alimentaire et à l’approvisionnement urbain plus large et pression sur les espaces cultivables au Sénégal.
Pourquoi une LOASP incluant l’agriculture urbaine et périurbaine ?
Parler d’agriculture urbaine consiste à considérer l’agriculture « localisée dans la ville et à sa périphérie, dont les produits sont destinés à la ville et pour laquelle il existe une alternative entre usage agricole et urbain non agricole des ressources (foncier, eau, etc.) […] et comprenant le maraîchage, la riziculture, l’élevage, l’arboriculture » (Moustier et Mbaye, 1999). Cette activité joue un rôle central dans l’approvisionnement des villes Sénégalaises dont la population croit puisque l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD, 2023) estime que cette tendance sera à la hausse.
Au Sénégal, depuis presque trois décennies, différentes catégories d’espaces favorisent la pérennité/pratique de l’agriculture urbaine et participent à l’augmentation des quantités de légumes, de fruits, de viandes et de céréales (le riz notamment) produites. Les systèmes de production (niveau des ressources et activités) sont très diversifiés en milieu urbain. La ville est agricole ! De plus, l’agriculture urbaine est caractérisée par la diversité des acteurs, réseaux et circuits qui l’animent. En outre, les produits issus de l’agriculture urbaine de beaucoup de villes sénégalaises sont frais, passent par divers circuits de commercialisation et contribuent à la sécurité alimentaire de la population. Autrement, les conditions naturelles sont favorables à la pratique de l’agriculture dans la majorité des villes (Dakar, Rufisque, Ziguinchor, Mboro, Saint-Louis, Tambancounda, Kolda, Sédhiou, Thiès, etc.).
Cependant, certaines municipalités comme l’État n’intègrent pas cette agriculture dans les différents plans d’aménagement du territoire et dans le plan directeur d’urbanisme. Pourtant, malgré l’avancée du front urbain au détriment des espaces agricoles, l’agriculture est pratiquée dans les bas-fonds, les vallées, dans les interstices de l’habitat en zone de plateau et assure la sécurité alimentaire et nutritionnelle.
L’agriculture urbaine contribue également à assurer la sécurité alimentaire des exploitants eux-mêmes, par le biais de leur production (des produits maraîchers, céréaliers, l’élevage et la cueillette des noix d’anacarde, l’arboriculture, la pisciculture, etc.) de manière directe, mais aussi indirectement de ventes sur le marché local, les revenus pouvant être employés à l’achat de denrées.
Dans un premier registre, dans les villes sénégalaises, notamment celles abordées plus haut la question de la sécurité alimentaire des exploitants est à appréhender au regard de la disponibilité des terres, de leur nature et de leur potentiel. Le volet foncier est un critère discriminant de premier ordre qui induit des stratégies spécifiques de la part des exploitants. Ainsi, selon nos enquêtes, on peut estimer que la disponibilité permanente est plutôt élevée : dans 80 % des cas, le riz et les légumes produits en propre suffisent pour la satisfaction de leurs besoins alimentaires, notamment parce que ceux-ci combinent plusieurs sites de production : un premier attenant au domicile, un autre dans les bas-fonds et un dernier sur le plateau (Diédhiou et al., 2022). Dans un second registre, la diversité des acteurs, flux, réseaux et circuits favorise les résultats en termes d’accessibilité physique et économique aux légumes, fruits, viandes et riz notamment.
Malgré son dynamisme, l’agriculture n’est pas intégrée dans la LOASP ainsi que dans les politiques et plans locaux de développement. Pourtant les exploitations agricoles sont exposées au dynamisme urbain tout en assurant des opportunités de consommation et de commercialisation avec des formes agricoles diversifiées assurant la disponibilité en denrées alimentaires.
Si l’agriculture urbaine est intégrée dans la nouvelle LOASP, beaucoup de petites et moyennes exploitations agricoles familiales pourraient contribuer davantage à la sécurité alimentaire, à la création d’emploi et au recul de la pauvreté rurale et urbaine au Sénégal, en fonction de leur potentiel productif, de leur accès au marché et de leur capacité d’innovation. Avec un système d’innovation agricole favorable, elles pourraient être à même de répondre aux défis alimentaires, économiques et environnementaux.
Finalement, la revue et l’actualisation de la loi d’orientation agro-sylvo-pastorale va-t-elle reconnaître l’agriculture urbaine ?
Nous ferons le point dans quelques mois, sinon rendez-vous dans 20 ans !
Sécou Omar DIEDHIOU, Docteur en géographie
Chercheur associé à l’UMR 6590 Espaces et sociétés (ESO) Nantes Université et au Laboratoire de Géomatique et Environnement (LGE), Université Assane Seck de Ziguinchor
Spécialité : Diagnostic, aménagement et gouvernance des territoires / Agriculture, alimentation et sécurité alimentaire