L’Afrique, prison à ciel ouvert pour ses citoyens

par pierre Dieme

Aliko Dangote, première fortune africaine, a dénoncé les innombrables visas qu’il doit obtenir pour circuler sur le continent. Un comble quand d’anciens colonisateurs européens jouissent d’un accès plus aisé que les Africains eux-mêmes.

L’homme le plus riche d’Afrique a beau être un puissant investisseur, il n’échappe pas aux tracasseries administratives pour se déplacer sur le continent. Aliko Dangote, milliardaire nigérian, a récemment dénoncé devant le Africa CEO Forum à Kigali les nombreux visas qu’il doit obtenir, lui qui souhaite « rendre l’Afrique grande ».

« En tant qu’investisseur, quelqu’un qui veut faire avancer l’Afrique, je dois demander 35 visas différents pour mon passeport », a regretté M. Dangote, selon CNN. « Je n’ai vraiment pas le temps d’aller déposer mon passeport dans les ambassades pour obtenir un visa », a-t-il ajouté devant un auditoire amusé.

Cette situation kafkaïenne pour l’une des plus grandes fortunes du continent relance le débat brûlant sur les entraves à la libre circulation en Afrique pour ses propres ressortissants. Pire encore, de nombreux Africains pestent de voir que d’anciens colonisateurs européens bénéficient d’un accès plus libre que leurs voisins du continent.

« Je peux vous assurer que Patrick [Pouyanné, PDG de Total Energies] n’a pas besoin de 35 visas avec un passeport français, ce qui signifie que vous avez une liberté de mouvement supérieure à la mienne en Afrique », a lancé Dangote à son voisin français, rapporte CNN.

Un constat amer qui illustre les défis posés par la balkanisation du continent. Si le Rwanda a supprimé les visas pour tous les ressortissants africains en 2023, rejoignant le Bénin, la Gambie et les Seychelles, de nombreux pays africains continuent d’ériger des barrières, au prix de démarches discriminatoires, hostiles et très coûteuses pour leurs voisins.

« C’était mon expérience la plus humiliante en voyageant en Afrique », témoigne ainsi auprès de CNN le réalisateur de films nigérian Tayo Aina. En avril 2021, il a été contraint de fournir un échantillon de selles devant un officier éthiopien pour prouver qu’il n’avait pas ingéré de drogue.

Fatigué d’être « détenu dans les aéroports » à cause de son passeport nigérian, le jeune homme de 31 ans a fini par débourser 150 000 dollars pour obtenir la nationalité de Saint-Christophe-et-Niévès, lui ouvrant plus de portes.

L’Union africaine affiche pourtant l’ambition de « supprimer les restrictions à la capacité des Africains de voyager, travailler et vivre sur leur propre continent ». Mais la concrétisation de la libre circulation, moteur de la Zone de libre-échange continentale, avance au ralenti.

Pour l’expert Alan Hirsch, de l’institut new-soudien New South, la crainte des migrations permanentes freine les ardeurs d’ouverture des pays les plus riches. « Il y a la peur que les gens des nations plus pauvres cherchent un moyen de s’installer durablement », explique-t-il à CNN.

L’universitaire sud-africain pointe aussi le manque d’intégrité des systèmes de passeport et de visa dans certains pays : « Des gens ont trouvé des moyens illégaux d’obtenir des passeports, comme se faire passer pour burundais sans l’être réellement. »

Qu’importe les progrès régionaux, voyager au-delà de sa zone géographique reste semé d’embûches pour les Africains. Un visa à l’arrivée au Nigeria qui coûtait 25 dollars aux Kenyans est ainsi passé à 215 dollars après une réforme du système.

Un inextricable labyrinthe de formalités, de refus injustifiés ou de dossiers incomplets qui, selon CNN, incite certains à chercher des passeports plus pratiques, comme l’a fait Tayo Aina. Son nouveau sésame de Saint-Christophe donne plus d’ouverture sur l’Afrique que son passeport nigérian.

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