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Les mots en disent beaucoup, voire trop, pour cacher la colère de ces journalistes, naguère habitués à l’argent facile et qui vont devoir désormais travailler dur pour gagner leur pain. Ils sont alors soumis à l’épreuve de résilience et malheureusement l’effort les indispose, car ces chiens de garde ne s’accomplissent que dans un immobilisme dégradant.
Cette nouvelle philosophie (travailler à la sueur de son front) imposée par les nouveaux tenants du pouvoir est loin d’être à leur goût. C’est la raison de leur furie. Les «Une» des journaux, les studios de radio, les plateaux de TV et les Web TV servent désormais de tribune à ces «soldats des causes personnelles[1]».
Ils avaient réussi, sous le magister de Macky Sall, à gagner leur vie sans transpirer. Les mouvements de leurs comptes bancaires suivaient le rythme des petits déjeuners, déjeuners ou dîners avec des acteurs du milieu politico-affairiste en quête permanente d’influence. Tout était offert sur un plateau d’argent, jusqu’aux coupons d’essence, après les billets d’avion pour les vacances, tous frais payés, au Maroc, à Dubaï ou en France.
Leurs ennemis jurés…
Il est donc aisé de comprendre que les tombeurs du régime clientéliste de Macky Sall soient leurs ennemis jurés. Chaque fois qu’ils pensent à leurs «bienfaiteurs», ces journalistes corrompus rougissent de rage. Ceux qui attendent d’elles ou d’eux des paroles policées, sensées, pleines de sagesse et au service de l’intérêt général, se trompent sûrement d’antennes, de colonnes ou de plateaux. Le ventre mou de l’Etat dans lequel ils avaient l’habitude de puiser leurs nourritures n’est plus accessible. Faut-il alors accepter dignement cette situation ou emboucher la trompette de la haine et de la rancœur, avec le mensonge au bout des lèvres, en criant sur tous les toits que nos gouvernants n’ont pas respecté leurs promesses, après avoir seulement passé moins de deux mois à la tête du pays ?
Ils piaffent d’impatience à l’idée de voir le Président Diomaye trébucher pour le vouer aux gémonies. Ces corrompus sont même prêts à «déjouer» les lois de la nature pour que leur vœu funeste se réalise. C’est pourquoi, ils ont choisi de déverser, à longueur de live, leur bile sur les nouveaux tenants du pouvoir dont les faits et gestes sont épiés. Naviguant entre désinformation[2] et malinformation[3] dans le but de manipuler l’opinion. Mais ils sont tellement prévisibles que la subtilité rattachée aux techniques de manipulation leur échappe. Ces journalistes travaillent, 24H/24, à retourner les populations contre les nouveaux tenants du pouvoir. Leur désir insatiable est de revenir à la situation ante, plus confortable pour ces tire-au-flanc.
Parfois grossiers et vulgaires
Le Web TV a donné à certains d’entre eux des ailes, avec l’intégration des réseaux socionumériques dans la chaîne de production et consommation de l’information qui a ouvert la voie à l’interaction entre les médias et leur audience. Ces journalistes alimentaires sont obnubilés par le nombre de clics et la légèreté est leur terrain de jeu. Parfois grossiers et vulgaires, c’est à se demander s’ils méritent le statut de journaliste. Ils développent, à travers le WebTv, un journalisme d’opinion mais dans sa forme primaire, fait de mensonge et de mauvaise foi. A l’opposée, nous saluons l’excellent travail des journalistes sur les Web Tv qui contribuent chaque jour à la conscientisation des masses. Ces derniers n’ont jamais perdu de vue que la mission du journaliste est de se mettre au service de l’intérêt général.
Si seulement ces «alimentaires» s’essayaient au journalisme critique ! Ce qui serait vraiment salutaire pour notre démocratie car les nouvelles autorités ne sont pas à l’abri d’erreurs, c’est-à-dire capables de prendre de mauvaises décisions impactant négativement le quotidien des Sénégalais. Cela ne manquera pas, puisque ce sont êtres perfectibles. Dans ce cas, la posture sincère de vigie de ces journalistes «parasites» aiderait, au moins, les tenants du pouvoir à rectifier le tir. Ils ne sont pas obligés de leur accorder l’état de grâce, si l’intention est d’œuvrer pour l’intérêt général.
Le journalisme critique…
C’est pourquoi, à l’image d’Umberto Eco, nous disons : «Que vive le journalisme critique ![4]». Nous devons nous battre, en tant que professionnels des médias, à réhabiliter ce journalisme critique, en ne «renonçant pas à forger le goût du public[5]». Mais ces journalistes alimentaires s’inscrivent-ils vraiment dans la voie du journalisme critique ? Leur «esprit critique» cherchant la petite bête semble se perdre dans les méandres d’une subjectivité maladive. Faut-il leur rappeler que la critique ne se nourrit pas de préjugés.
Le journalisme critique, suppose avant tout cette capacité à aborder une information avec rigueur, dans une sorte de détachement des points de vues du journaliste qui observe les faits, des sources qui les alimentent et des questionnements qu’ils soulèvent. L’exercice s’appuie sur des connaissances et des arguments déroulés à travers un raisonnement logique. Il s’agira de proposer des hypothèses d’analyse et d’interprétation des sujets d’actualité, le tout dans une démarche de questionnement. In fine, la mise à distance permettra d’inscrire les sujets abordés dans un processus de justification, de vérification et de comparaison[6]. Peut-être trop leur demander !
Pourtant, le journaliste, à travers une démarche critique, comme le dit Albert Camus, «peut aider à la compréhension des nouvelles par un ensemble de remarques qui donnent leur portée exacte à des informations dont ni la source ni l’intention ne sont toujours évidentes[7]». Pour l’auteur[8], «il revient au journaliste, mieux renseigné que le public, de lui présenter, avec le maximum de réserves, des informations dont il connaît bien la précarité. […]». Sa réflexion sur le journalisme critique ne s’arrête pas en si bon chemin, affirmant que l’autre apport du journaliste au public, réside dans le commentaire politique et moral de l’actualité. Il prévient les journalistes alimentaires qui foulent aux pieds les règles d’éthique et de déontologie : «Mais cela ne peut pas se faire sans scrupules, sans distance et sans une certaine idée de la relativité. Certes, le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. Et même, si l’on a commencé de comprendre ce que nous essayons de faire dans ce journal, l’un ne s’entend pas sans l’autre. Mais, ici comme ailleurs, il y a un ton à trouver, sans quoi tout est dévalorisé.[9] » Nos «soldats des causes personnelles» se situent sur le versant opposé. Ils ne sont plus représentatifs de la société et alliés des citoyens. Ces journalistes alimentaires sont coupés du monde réel[10].
Le journalisme de critique…
Ils sont plutôt adeptes du «journalisme de critique» que nous définissons comme un journalisme d’opinion dont la démarche affiche systématiquement une position tranchée par rapport au fait observé. Il manifeste un rejet alimenté par des préjugés qui ne lui permettent pas d’aller au-delà de ce qui se donne à voir. Le «journalisme de critique» lit l’actualité avec des œillères et se nourrit de complotisme pour asseoir ses vérités. Ce n’est donc pas un hasard si «les soldats des causes personnelles» assimilent leur «regard critique» à une opposition systématique à tout ce que font les nouvelles autorités. Le «journaliste de critique» est incapable d’élévation, son âme et son esprit sont corrompus par ses désirs à fleur de peau.
Longtemps dans les bonnes grâces du défunt régime de Macky Sall qui connaissait bien le mal dont ils souffraient : la maladie d’argent, ces journalistes avaient réussi à se maintenir en vie, pendant douze longues années, grâce à la perfusion d’un Etat corrupteur. Le débranchement de «bouteilles» d’argent «liquide» a entraîné des convulsions chez les malades qui découvrent, sur le tard, la résilience.
Bacary Domingo MANE
[1] Nous les appelons ainsi car ils sont d’un égoïsme affligeant. Ils sont dans leur bulle menant un train de vie que leur salaire ne peut justifier. Ils sont prêts à tout pour défendre leurs intérêts. L’éthique et la déontologie les fatiguent.
[2] La désinformation est une information qui est fausse, et la personne qui la diffuse sait qu’elle est fausse. « C’est un mensonge délibéré et intentionnel, qui montre que les gens sont activement désinformés par des acteurs malveillants». https://www.mediadefence.org
[3] La malinformation est une information qui se fonde sur la réalité, mais qui est utilisée pour porter préjudice à une personne, une organisation ou un pays. https://www.mediadefence.org
[4] Eco, Umberto, Le romancier, sémiologue et journaliste, avait accordé au journal Le Monde en mai 2015 un entretien sur sa vision de la presse
[5] Eco, Umberto, ibid.
[6] Idée développée dans mon cours à Madiba Leadership Institute de Dakar, intitulé «Analyse et critique de l’actualité »
[7] Camus, Albert, «Actuelles I, Le journalisme critique» Combat, 8 septembre 1944) édit. La Pléiade, Gallimard, p. 266
[8] Camus, Albert, ibid.
[9] Camus, Albert, op.cit.
[10] Richon, Nadine, Article publié le 23 mars 2000 à 01:05 sur l’intervention de Ignacio Ramonet, patron du Monde diplomatique et enseignant en théorie de la communication invité par le Club suisse de la presse.
Par Bacary Domingo MANE