Le défi du souverainisme africain pour la France

par pierre Dieme

Paris doit réinventer en urgence son approche, privilégiant l’humilité et le respect, selon François Soudan. Pour ce dernier, le maintien de l’influence française passe par l’abandon de « chiffons rouges » devenus des symboles d’ingérence.

Un vent de souverainisme et de rejet envers l’ancienne puissance coloniale souffle sur l’Afrique francophone, menaçant l’influence séculaire de la France sur le continent. Comme l’explique François Soudan, directeur de la rédaction de Jeune Afrique, dans une analyse récente, Paris doit faire face à « la résistible montée du sentiment anti-français en Afrique francophone ».

Cette tendance néosouverainiste, qui gagne en ampleur auprès des jeunes et des classes moyennes, voire certaines sphères dirigeantes, trouve son origine dans l’échec des mouvements citoyens des années 2000 et l’impasse des transitions démocratiques. Alimenté par les réseaux sociaux et les « analphabètes numérisés » issus de deux décennies de déscolarisation, ce phénomène populiste mêle le rejet de la France, bouc émissaire de proximité, à une dénonciation de certains aspects du mode de vie occidental.

Un événement marquant à l’origine de cette défiance est « l’assassinat de Mouammar Kadhafi au terme d’une sordide chasse à l’homme téléguidée depuis Paris, Londres et Washington », comme le souligne Soudan. Le théoricien Achille Mbembe évoque également « l’asymétrie des connaissances » qui fait que les partenaires africains « connaissent beaucoup mieux » la France que l’inverse.

L’offensive russe et la stratégie du « french bashing »

Dans cette lente érosion de l’influence française, la Russie joue un rôle opportuniste en amplifiant la rhétorique anti-occidentale et anti-française à travers une stratégie de « french bashing ». Depuis le sommet de Sotchi en 2019, Moscou soutient et amplifie les acteurs et influenceurs locaux déjà en place, actualisant un récit anticolonial hérité de la guerre froide.

Selon l’ambassadeur français Sylvain Itté, cité par Soudan, cette « machine infernale » recourt aux fermes à trolls et de plus en plus à l’intelligence artificielle, produisant un « effet magnétique immédiat » dès qu’un drapeau russe est brandi lors d’une manifestation.

Face à cette offensive, la France semble « totalement aphone sur le terrain de la communication », note Soudan, en panne de solutions malgré une prise de conscience de la nécessité d’une remise à plat.

Les recommandations d’Achille Mbembe

Pour juguler cette montée du sentiment anti-français, Achille Mbembe, théoricien du post-colonialisme, préconise que la France se débarrasse rapidement de trois « chiffons rouges » : ses bases militaires sur le continent, le franc CFA, et sa pratique restrictive de délivrance des visas.

Ces prérequis sont indispensables, selon Mbembe, pour fonder une « politique de la France en Afrique, sans ingérences ni leçons ». Associés à « une bonne dose d’humilité et de respect », ils permettraient d’atteindre la « juste distance » susceptible d' »éteindre les braises d’un sentiment anti-français privé de carburant ».

En somme, face au vent de souverainisme qui souffle sur l’Afrique francophone, la France doit répondre par une nouvelle approche, dénuée d’ingérence et empreinte d’humilité, tout en s’attaquant aux symboles devenus des « chiffons rouges ». Seule une telle stratégie pourra endiguer le rejet croissant dont elle fait l’objet et préserver son influence sur un continent où, comme le rappelle Soudan, « l’âge médian est de 19 ans » et qui constituera « le premier réservoir de main-d’œuvre disponible pour l’économie mondiale » d’ici 2050.

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