Au panthéon de l’histoire politique du Sénégal, Blaise Diagne occupe une place centrale. Premier député noir africain au parlement français, le natif de Gorée est mort le 11 mai 1934 à Cambo les Bains (France). Il y a 90 ans, jour pour jour, se renfermait une page du Sénégal et de cette personnalité qui avait marqué de son empreinte la vie politique au Sénégal et joué un rôle de premier plan dans l’évolution des peuples colonisés. Blaise Diagne avait brisé la toute puissante domination créole et française sur les institutions représentatives sénégalaises en remportant les élections législatives en 1914. Une révolution à l’époque en ce 10 mai 1914. Ce sera la première alternance dans la vie politique de la colonie. Haut-commissaire des troupes africaines durant la première guerre mondiale et membre dans 8 cabinets sous différents chefs de gouvernement, il avait représenté le Sénégal de 1914 jusqu’à 1934 au Parlement Français. En cette date anniversaire, Sud Quotidien ouvre une page souvenir sur cette figure marquante du Sénégal et précurseur de la politique africaine moderne.
L’Ascension de Blaise Diagne
11 mai 1934-11 mai 2024 : voilà 90 ans jour pour jour, que disparaissait Blaise Diagne. Personnage central de l’histoire politique du Sénégal, le natif de Gorée quittait la scène à l’âge de 62 ans à Cambo-les-Bains (France). Près d’une centaine d’années après sa disparition, au moment où le Sénégal connait un changement au plus haut sommet de l’Etat, on ne peut oublier d’évoquer le souvenir de l’homme qui se trouve en première ligne de la première alternance de l’histoire politique du Sénégal et qui changera son époque. Né le 13 octobre1872 à Gorée sous le nom de Galaye Mbaye Diagne, le fils de Niokhor et de Gnagna Antoine Preira fera ses premiers pas) à l’école des Frères de Ploërmel, où l’avait inscrit son père adoptif, le Goréen Adolphe Crespin, qui lui donnera le prénom de Blaise.
Boursier du gouvernement, Blaise Diagne poursuivit ses études en France à Aix-en-Provence. Malade, il revient à Saint Louis du Sénégal pour suivre les cours de l’école secondaire Duval où il devint major de sa promotion en 1890.Il avait passé avec succès le concours de fonctionnaire des douanes en 1891. Il débute une carrière tumultueuse dans l’administration des Douanes en 1892. Il fut d’abord nommé au Dahomey (actuel Bénin) en 1892, puis au Congo français en 1897, à la Réunion en 1898 et enfin à Madagascar en 1902, dernier poste où ses opinions avant-gardistes déplurent.
L’entrée en politique
Absent du Sénégal depuis 1892, il rentre au pays en 1913 et se lance dans la politique. Il annonce sa candidature au poste de député du Sénégal et bénéficie du soutien de Galandou Diouf, membre du Conseil général connu pour son opposition au gouvernement colonial et qui devient son second, tout comme celui des Lébou, groupe ethnique majoritaire à Dakar et Rufisque auquel Diagne est apparenté. Grâce à son talent oratoire, il avait gagné à sa cause les Jeunes Sénégalais, organisation politique créée en 1912 qui se battait pour l’égalité et contestait l’ordre colonial. Comme l’Aurore de Saint-Louis, association à laquelle on retrouvait Lamine Guèye, entre autres. Il obtient aussi le soutien des petits commerçants français et de Jean Daramy d’Oxoby, directeur du journal La Démocratie du Sénégal, qui devient l’organe officiel de sa campagne.
Il y a 110 ans, la révolution Blaise Diagne
Reconnu comme un phénomène politique, un politicien énergique, intelligents qui avait l’habitude d’écrire et de parler, Blaise Diagne avait les moyens de ses ambitions politiques. Dans son essai photographique, Wesley Johnson donne une idée de l’homme en précisant que les observateurs de la campagne de 1914, rappellent que Diagne était le premier candidat aux élections sénégalaises qui avaient commencé en 1848, à prendre les électeurs au sérieux. « Il faisait des discours bien préparés, ne méprisait pas ses électeurs ou ne les corrompait pas. Diagne apportait à la politique une sincérité qu’on ne connaissait pas auparavant au Sénégal », notait-il.
La campagne électorale pour le poste de député débuta en avril 1914 après plusieurs mois de discussions dans les communes. Neuf personnalités déposeront en cette année charnière leurs candidatures auprès du gouvernement. On peut noter parmi eux, Louis Pellegrin, commerçant à Louga, François Carpot, l’avocat parisien parrainé par l’influente famille Deveis de Saint-Louis, Henri Heimburger, ou encore François Marsat qui, après avoir été suspendu de ses fonctions de maire de Dakar, comptait sur l’autorité qu’elle avait et ses liens pour une frange des Lébous et parmi les plus âgés. Plusieurs mois avant le début de la campagne, Blaise arriva à Dakar, par bateau et allant rapidement au contact de l’électorat. Dès son arrivée, il se rendit devant la Grande mosquée pour présenter immédiatement ses respects aux dignitaires de la collectivité Lébou dont l’imam Assane Ndoye, Youssou Bamar Guèye ou plus tard un certain Gornarou Guèye qu’il avait permis d’être élu, Chef supérieur de la Collectivité Lébou. Pour prendre des voix à Saint Louis, Il rencontra ensuite d’autres personnalités dont Galandou Diouf, Mody Mbaye, Thiécouta Diop et voyage avec ses lieutenants pendant des semaines le long du chemin de fer Saint-Louis, dans le sens de l’autre visitant villes et villages.
L’activité intense déployée par Diagne ainsi que les déplacements et les réunions publiques lui donnaient une longueur d’avance et lui permettaient de rallier les suffrages de nombre de ses concitoyens.
« Blaise est le seul candidat qui fasse réellement campagne avec une énergie telle qu’il attire l’attention de toutes parts. S’il est élu, il n’aura rien négligé. Il est le seul à mener une campagne comme elle l’aurait été en France. Il parle souvent, a organisé des comités, a un journal, a posé des affiches longtemps et les change souvent », admettait Heimburger. Blaise Diagne remporte le premier tour de l’élection le 26 avril avec 1910 voix contre 671 pour le métis influent et député sortant François Carpot, le candidat français Henri Heimburger totalise (668) et François Marsat (516).
Malgré une série de manœuvres visant à invalider les résultats du scrutin, Diagne obtient cette majorité pour le deuxième tour fixé le 10 mai 1914. Sur les 8 677 électeurs, il obtiendra 2424 voix contre Heimburger (2249) et Carpot (472). Le tour était joué. Il devient en 1914 le premier Africain noir membre d’un Parlement en Europe. Une révolution.
Une victoire qui secoua toute une communauté.
La victoire de Blaise Diagne secoua toute une communauté. De Paris, des télégrammes du ministère des Colonies stupéfaits demandent des explications. Des plaintes venant spécialement des négociants de Bordeaux s’abattaient sur le bureau du gouverneur général William Ponty. Des lettres de félicitations provenaient toutefois de groupes sénégalais en Côte d’Ivoire, au Dahomey, en Guinée et les autres colonies Cet évènement marquera le point de départ de la politique contemporaine. Antérieurement dominée par les intérêts français et créoles, les Quatre communes du Sénégal trouvèrent un nouveau représentant et un chantre des droits africains. Il obtient plus tard pour les habitants des quatre communes la citoyenneté en échange de leur conscription en 1916. Membre du groupe Union républicaine-socialiste animé par le franc-maçon Maurice Viollette, il est réélu sans interruption jusqu’à sa mort, malgré des campagnes systématiquement hostiles de ses adversaires, qui n’aiment pas voir un Africain à la Chambre, d’autant que celui-ci est aussi le maire de Dakar.
« Nous réclamons le droit de servir au même titre que tous les citoyens français »
En 1917, lors d’un débat en comité secret, après l’échec de l’offensive Nivelle au chemin des Dames (avril 1917), le député Diagne expose devant les députés comment les troupes noires furent utilisées par l’état-major français (Mangin) comme de la chair à canon. La même année, il défend la pleine citoyenneté des électeurs du Sénégal, déclarant ainsi : « Si nous pouvons être ici pour légiférer, c’est que nous sommes citoyens français et si nous le sommes, nous réclamons le droit de servir au même titre que tous les citoyens français », lançait-il. Après son élection, Diagne s’adapte rapidement aux rigueurs de la vie intellectuelle parlementaire et en peu d’années, il devint l’un des meilleurs orateurs de la chambre des députés.
20 ans de domination de la vie politique du Sénégal
Blaise Diagne va adhérer à la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO) en décembre 1917 et y restera moins d’une année et demi. Il est alors nommé par George Clemenceau en janvier 1918 commissaire général chargé du recrutement indigène, qui, sans le titre, lui donne des responsabilités de nature gouvernementale. Il organise avec succès le recrutement militaire pour la guerre 14-18. De février à août 1918 et de Dakar à Bamako, il essaye de convaincre les habitants de l’Afrique-Occidentale française et de l’Afrique-Équatoriale française de venir se battre en France tout en leur promettant surtout la citoyenneté française aux combattants après la guerre. Les primes aux recruteurs sont aussi fortement augmentées. Il réussit à mobiliser 63 000 soldats en Afrique-Occidentale française (AOF) et 14 000 en Afrique-Équatoriale française (AEF). Si Diagne a été accusé de trahison pour avoir amené des Africains combattre aux côtés de la France pendant la première guerre mondiale, d’autres le louent pour avoir renforcé la position des « peuples de couleur ». Au moment où dans les milieux coloniaux conservateurs, il est jugé trop pro-africain et hostile à l’administration. Blaise Diagne profitera des conditions spéciales du conflit pour arracher au Parlement la loi du 29 septembre 1916 qui reconnaissait définitivement la citoyenneté française aux originaires des « quatre communes », sans les soumettre au Code civil ni leur faire perdre leur statut personnel. En 1920, il est élu maire de Dakar. Il revient ensuite au Parti républicain-socialiste, puis passe chez les indépendants de Georges Mandel. En 1922, il se signale une nouvelle fois au parlement en prenant la parole au lendemain du scandale sportif concernant le boxeur Battling Siki, originaire du Sénégal, et dépossédé de son titre après sa victoire sur Marcel Carpentier par la fédération française. Celle-ci reviendra sur la décision de l’arbitre. Siki a gagné par KO et l’arbitre l’a déclaré perdant. Mais les protestations du public contre cette injustice flagrante l’ont conduit à redonner la victoire à Siki.« Si je m’exprime aujourd’hui » dira Diagne, « c’est pour que ce genre de choses ne se reproduise pas à l’avenir. Il est inconcevable qu’on ait privé Siki de sa victoire simplement parce qu’il est Noir ». Il devient officiellement le premier ministre africain de la République française comme sous-secrétaire d’État aux Colonies de janvier 1931 à février 1932, dans les trois premiers gouvernements de Pierre Laval. Réélu au poste de député en 1919, 1924 et 1928 et 1932, Blaise Diagne s’éteint à l’âge de 62 ans à Cambo-les Bains (en France). Il reposera à l’entrée du cimetière musulman de «Bétoir » de Dakar. Pour la postérité, son nom a été donné à l’une des plus grandes avenues de Dakar (Ex avenue Clémenceau), à un lycée Blaise Diagne mais aussi à l’aéroport international Aéroport International Blaise Diagne que lui donnera le Président Abdoulaye Wade.
Omar DIAW