Dans son rapport de l’année 2023, l’Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC) a fait des révélations accablantes concernant la gestion des soins destinés aux malades d’insuffisances rénaux au Sénégal. Les faits dénoncés par le Mouvement des Insuffisants rénaux du Sénégal en 2020. Selon les déclarations du porte-parole dudit mouvement, Amadou Diallo, les centres de dialyse du pays font face à une pénurie de kits d’hémodialyse, de difficultés d’accès aux soins, et une politique de santé défaillante mettant en péril la vie de milliers de Sénégalais. À en croire ses affirmations, les centres de dialyse étaient saturés, laissant des milliers de patients sans accès aux traitements vitaux. Mais les problèmes ne s’arrêtaient pas là. Les allégations de détournement de kits de dialyse destinés au programme de Couverture Maladie Universelle (CMU), pour être revendus à l’étranger.
L’enquête menée par l’OFNAC a révélé « des pratiques frauduleuses et des détournements de fonds publics dans la gestion des soins aux insuffisants rénaux. » Ces révélations ont mis en lumière une série de pratiques douteuses et de malversations, impliquant des responsables gouvernementaux, des fonctionnaires de la santé, et des acteurs privés du secteur médical. Les auditions des divers acteurs de cette affaire ont révélé un réseau complexe de corruption, de surfacturation et d’escroquerie.
Au cours de son audition, le plaignant, Amadou Diallo, confirmant sa dénonciation faite par voie de presse, a déclaré que l’ancien chef d’État Macky Sall, lors de son message de fin d’année 2019, a annoncé avoir dépensé six milliards huit cent millions (6 800 000 000) FCFA pour la dialyse. Se basant sur cette annonce, il dit avoir effectué des recherches sur un moteur de recherche afin de comparer les prix des kits de dialyse. Le cas de la Côte d’Ivoire l’a particulièrement intéressé car le kit qui y est actuellement vendu à dix-neuf mille six cent cinquante (19 650) FCFA y était échangé avant la crise post-électorale à six mille (6 000) FCFA et à seize mille (16 000) après la crise.
Il a également souligné que le prix du kit, à l’international, varie entre cinq mille vingt- neuf (5 029) et dix mille trois cent soixante-dix-huit (10 378) FCFA. En conséquence, le résultat de ses recherches l’a poussé à conclure qu’il y avait de la surfacturation sur les kits de dialyse. Il a souligné que la Directrice de la Pharmacie nationale d’Approvisionnement (PNA) avait indiqué à travers la presse que l’État devait 17 milliards de FCFA aux fournisseurs étrangers qui livrent 90% des médicaments. Elle ajoutait que la PNA achète le kit à quarante mille (40 000) FCFA et précisait que le prix d’acquisition variait entre vingt-six mille trois cent quinze (26 315) FCFA minimum et trente-huit mille huit cent (38 800) FCFA maximum hors taxe.
Surfacturation et malversation…
Aussi, M. Diallo a ajouté que dès le 18 septembre 2019, la Directrice de la PNA avait annoncé une rupture de kits de dialyse qui serait liée à cette dette. Dans son argumentaire, le dénonciateur évoque la gratuité de la dialyse dans les établissements publics de santé, mesure entrée en vigueur en 2012 sous le magistère de l’actuel Président de la République. Ainsi, il a révélé que la fraude se situe en premier à ce niveau car les structures privées déclarent aux patients qu’elles n’ont pas reçu de kits de la part de l’État, de manière à pouvoir facturer le kit à soixante-cinq mille (65 000) FCFA pour une seule séance.
En guise d’exemple, il a signalé que la Clinique des Madeleines facture la séance à 250 000 FCFA, et le Centre d’Hémodialyse de Dakar (CDD) à 65 000 FCFA. Il a ajouté que, malgré la gratuité dans le public, il arrive que l’héparine, une des composantes du kit, soit vendue à 7 500 FCFA au patient par certains agents des centres, sous prétexte que le kit est incomplet. La dialyse y est surfacturée le week-end à 120 000 FCFA. De surcroît, Amadou Diallo a déclaré que les kits non utilisés (soit, parce que le malade, faute de moyens ne peut faire trois (03) séances par semaine, soit parce que les bénéficiaires sont décédés) sont revendus par ces centres qui s’abstiennent de déclarer les décès.
Donnant des détails sur le cathéter fémoral et sur le cathéter tunnélisé, il dit que le premier cathéter fémoral est offert et le second qui est de rechange est vendu à 20 000 FCFA à l’hôpital Aristide le Dantec. Pour le cathéter tunnélisé, il est vendu à 125 000 FCFA avec des frais de pose de 50 000 FCFA. En cas de rupture de stock, le patient, depuis l’hôpital Aristide le Dantec, est orienté auprès d’une personne basée à la Patte d’Oie qui assure la vente du cathéter tunnélisé à cent vingt-cinq mille 125 000 FCFA.
Il a rapporté l’avis de la Direction de la Maladie qui indique que sur les 1000 malades insuffisants rénaux identifiés au Sénégal, les 250 se font suivre dans le privé et les 750 dans les structures médicales publiques. Sur la base de ces données, il a retenu que pour une prise en charge normale, chaque patient a besoin de trois (03) kits par semaine, soit un total de 12 par mois et de 144 pour l’année.
Il a affirmé que la PNA approvisionne par trimestre les centres, lesquels, ne déclarant pas les cas de décès, revendent le stock restant dans des pays étrangers tels que la Gambie. Il a accusé particulièrement le centre ICP d’être auteur de ce genre de pratiques. Il a informé que ce centre est mis en place en 2004 par un ressortissant italien, lequel une fois à la retraite, est retourné dans son pays et en a confié la gestion à son ancien jardinier et à une ancienne femme de ménage, lesquels sont devenus respectivement directeur et caissière du centre.
Incriminant toujours ledit centre, il a argué que pour défaut de prise en charge à cause d’insuffisance de ressources financières, deux (2) malades hospitalisés y sont décédés. Renseignant sur les fournisseurs de kits de dialyse, il identifie « Carrefour Médical » et « Fresenieus Médical ». Il a soutenu qu’en 2011, Carrefour Médical a gagné le marché de deux milliards huit cent huit millions de FCFA pour 72 000 kits de dialyse et qu’en faisant le calcul, le kit revenait à 39 000 FCFA. Il signale que cette société reçoit du Comptoir Commercial Bara Mboup (CCBM) les générateurs de dialyse de la marque « Nipro ».
À travers cette relation, il a trouvé qu’il y a un délit d’initié vu que le Directeur général de CCBM, qui pouvait bel et bien fournir directement le kit à l’État après l’avoir acquis à 8000 FCFA, a préféré le vendre à 30.000 FCFA à son frère, lui- même Directeur de Carrefour Médical, qui, en traitant avec l’État, majore le prix jusqu’à 40 000 FCFA.
Hôpital Dantec, Dalal Jamm, la PNA, mouillés…
A propos de l’Association des Hémodialysés et Insuffisants Rénaux du Sénégal (ASHIR), Amadou Diallo a affirmé qu’elle est membre de la commission de désignation d’achat d’équipements. Il a accusé l’ASHIR d’être un groupement de personnes bien portantes qui fait preuve de complicité avec son coordonnateur dans les processus d’acquisition de générateurs et de kits de dialyse. Il a révélé que des professeurs ayant occupé les fonctions de chef du service de néphrologie à l’hôpital Aristide Le Dantec et à l’hôpital Dalal Jamm, en sus de leur qualité de néphrologues, jouent le rôle de courtiers respectivement pour les sociétés « Nipro », une marque chinoise, et « Fresenieus », une marque allemande.
Il a fait remarquer que si l’une des marques est choisie, tous les générateurs et les kits seront de la même marque, et le courtier en tire profit. Il a expliqué qu’après l’expression des besoins par les centres de dialyse auprès du ministère de la Santé, la commission de désignation choisit le générateur et le nombre de produits à commander. La PNA lance le marché et la société attributaire est payée par l’Agence de la Couverture Maladie universelle (ACMU). Il note qu’il y a vingt-cinq (25) centres publics de dialyse et quatre (04) centres privés au Sénégal, chacun doté d’un néphrologue et d’un personnel pour la prise en charge des malades.
dition
Audition
Au cours de l’enquête, Amadou Diallo est décédé le 29 juillet 2020, plusieurs responsables ont été auditionnés dans le cadre des investigations. Il s’agit, notamment : de la Directrice de la PNA ; du Directeur général de ACMU ; de l’administrateur délégué de ICP ; du DAF de la Clinique de la Madeleine ; de l’ancien chef du Service Néphrologie de l’hôpital Aristide le Dantec (1992 à 2019) ; d’un technicien supérieur en anesthésie à la retraite devenu Directeur général de la clinique ABC Hémodialyse et de la société Diminter ; du chef du Service Néphrologie de l’hôpital Aristide le Dantec depuis 2019 et par ailleurs président du CNDT ; du Professeur néphrologue, référant en néphrologie de l’hôpital Principal de Dakar depuis 2004 et chef du Service de Néphrologie de l’hôpital Dalal Jam en 2016 ; du président de l’ASHIR depuis 2015 ; de l’administrateur de la société Carrefour Médical ; d’un professeur, Directeur du CNTS.
En outre, le Directeur général de la Santé publique a été aussi entendu. Les conclusions de l’enquête ont été accablantes. Des accusations de corruption passive et d’escroquerie ont été portées contre plusieurs individus, dont l’administrateur de l’Institut Clinique de Perfectionnement (ICP). L’assistante-secrétaire de l’ICP a également été accusée de complicité dans ces pratiques frauduleuses.
Le rapport d’enquête a été transmis au Procureur de la République.
Ndeye Fatou Touré