Bavures policières au Sénégal : « Plus de 60 décès sans aucune information judiciaire ouverte » (Rapport Amnesty)

par Dakar Matin

Le rapport annuel 2023 – 2024 d’Amnesty international a été rendu public, ce mercredi, lors d’une conférence de presse. Une occasion pour Seydi Gassama, Directeur exécutif d’Amnesty international Sénégal, de revenir sur les événements qui se sont déroulés dans notre pays au cours de l’année 2023. Il a relevé de graves atteintes à la liberté d’expression, beaucoup de tensions arbitraires, de recours excessif à la force contre des manifestants, mais également, dit-il, 2023 a été une année où la situation des enfants continue à être très préoccupante.

« Pour revenir en détail sur ces différents aspects, en ce qui concerne la liberté d’expression et de réunion, plusieurs manifestations organisées par la coalition YAW, qui était la principale coalition de l’opposition, ont été donc interdites, de même que des manifestations que voulait organiser la coalition F24, constituée par les partis d’opposition, mais aussi des mouvements tels que le FRAPP. Les manifestations étaient pratiquement interdites de façon quasi systématique y compris, évidemment, dans le centre-ville de Dakar, qui, comme vous le savez, est interdite à toute manifestation depuis l’arrêté Ousmane Ngom de 2011. Malheureusement, l’arrêté est toujours en cours et aujourd’hui, il est toujours impossible aux Sénégalais de manifester devant une institution comme l’Assemblée nationale. Dans tous les pays du monde, lorsque l’Assemblée nationale s’est réunie pour prendre des décisions, les citoyens sont autorisés à venir pacifiquement, évidemment, dire leur accord ou leur désaccord par rapport à ces textes de loi. Au Sénégal, ce n’est pas possible, malgré l’arrêté de la cour de la Cedeao », regrette Seydi Gassama.

Coupures d’internet et le signal d’une télévision

Dans le rapport, Seydi Gassama rappelle que nous avons connu des coupures d’Internet, survenues à la suite de manifestations qui ont eu lieu, à la suite de la condamnation de Ousmane Sonko, mais aussi lorsque les citoyens manifestaient contre le report de l’élection présidentielle. TikTok a également été coupé pendant très longtemps, de même que le signal d’une télévision comme Walf par le ministère de la Communication sans préavis et sans suivre la procédure normale qui est prévue donc par le texte législatif. En ce qui concerne les arrestations arbitraires, le Directeur exécutif d’Amnesty international Sénégal, indique qu’il y a eu, entre le mois de mars 2021 et le mois d’octobre 2023, près d’un millier de personnes qui avaient été arrêtées. « On n’a pas dit qu’ils étaient tous en même temps en prison, mais ils ont été arrêtés à divers moments parce qu’ils manifestaient, ils exerçaient le droit de manifester, ou parce que tout simplement, ils exerçaient leur liberté d’expression, d’opinion, dans les médias ou dans les réseaux sociaux. Donc, la police était capable de venir arrêter quelqu’un et de lui coller des charges particulièrement lourdes qui, évidemment, l’envoyaient donc en prison. Des journalistes ont également beaucoup souffert de cette répression », a déclaré Seydi Gassama.

Usage excessif de la force qui a abouti à la mort des manifestants

Pour lui, le recours excessif à la force, Amnesty l’a évidemment beaucoup déplorée. « Il y a eu jusqu’au mois de février 2024, on a eu quatre morts à la suite des manifestations liées au report des élections. On peut dire qu’il y a eu plus de 60 personnes qui ont quand même perdu la vie pendant les manifestations au Sénégal du fait de l’usage excessif de la force par la police et la gendarmerie. Écoutez, quand vous discutez avec les gens du pouvoir de l’époque, ils vous disent : « Oui, la gendarmerie était professionnelle, la police était professionnelle, si elle n’avait pas fait preuve de retenue, il y aurait eu plus de morts. » Ce n’est pas vrai. La police est formée pour faire le maintien de l’ordre. La police est équipée pour faire le maintien de l’ordre. Et lorsqu’on est formé pour faire le maintien de l’ordre et qu’on observe les règles, n’est-ce pas, en matière de maintien de l’ordre, on doit faire très peu de victimes. Malheureusement, ce que nous avons vu, c’est que face à des manifestants qui avaient des pierres, on a vu quand même des membres des forces de sécurité. On a vu des nervis de l’autre côté parfois tirer sur des manifestants et les tuer. Parfois, des manifestants très jeunes, des gosses de 12 ans, 13 ans qui ont été tués en mars 2021. 12 ans, 13 ans qui ne peuvent même pas jeter un bloc de pierre. Donc, il y a eu manifestement un usage excessif de la force qui a abouti justement à la mort de tous ces manifestants », dit-il.

Aucune information judiciaire ouverte au sujet de ces décès

Non sans oublier la répression violente de la gendarmerie contre la population de Ngor, qui protestent contre, évidemment, l’affectation d’un terrain à la gendarmerie que la population destiné à la construction d’un collège. Ensuite, il y a eu beaucoup de manifestations qui ont été donc violemment réprimées. Une jeune fille du nom de Adja Diallo a perdu la vie pendant donc cette manifestation. Donc, cette répression, cet usage excessif de la force a entraîné la mort d’un homme. « Un grand nombre de pertes en vie humaine, plus de 100 personnes, mais aussi beaucoup de blessés. Beaucoup de blessés sont dénombrés généralement par la Croix-Rouge sénégalaise », a encore expliqué Seydi Gassama. Avant de poursuivre : « nous devons évidemment dénoncer vigoureusement donc cet usage excessif de la force. Qui ne s’est pas limité qu’à Dakar. Et pas seulement au contexte politique. Malheureusement, aucune information judiciaire n’a été ouverte au sujet de ces décès. Aucune. Ce que je peux dire de façon sûre, c’est que pour toutes ces victimes, nous nous sommes assurés à ce qu’il y ait des expertises médicales légales. Nous avons insisté, parfois nous-mêmes, nous avons commis des médecins pour assister les familles lorsqu’il y avait des contestations sur les autopsies, pour que pour chaque victime, il y ait un certificat d’autopsie. Et nous avons veillé pour que chaque famille de victimes ait un avocat. Et je puis vous dire que pour toutes ces victimes, y compris les quatre dernières, n’est-ce pas, nous avons commis des avocats. Et selon les retours que nous avons de ces avocats, avant la loi d’amnistie, aucune enquête ouverte n’a réellement connu de suite pendant ces trois dernières années. Donc il y a une volonté manifeste, qui était déjà manifeste, donc d’accorder l’impunité aux membres des forces de défense et de sécurité, volonté qui s’est finalement matérialisée avec la loi d’amnistie qui a été votée donc en fin de mandat du Président Macky Sall pour effacer donc tous ces crimes, n’est-ce pas, et la loi d’amnistie que nous avons dénoncée et que nous continuons de dénoncer parce qu’elle est une garantie d’impunité, une garantie de répétition justement des crimes qui ont été commis par les membres des forces de défense et de sécurité ».

Cheikh Moussa SARR

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