La fonction de Premier ministre a connu des variables au Sénégal. Elle a été supprimée sous Senghor et Diouf avant de subir le même sort avec Macky. Des voix s’élèvent de plus en plus au sein du nouveau régime pour demander l’augmentation de ces pouvoirs du Pm. Mais le professeur Meissa Diakhaté alerte sur les risques réels de le faire avant de définir la nature du régime.
Des rumeurs persistantes avaient fait état, la semaine dernière, de la gestation d’un projet de loi pour augmenter les pouvoirs du Premier ministre. Interpellé sur la question, le professeur Meissa Diakhaté de la Faculté des sciences juridiques et politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar répond en ces termes : «Deux axes de réforme possibles. Le premier, c’est de passer par l’existant, c’est-à-dire les dispositions constitutionnelles en vigueur. Elles offrent au président deux possibilités, celles d’utiliser des décrets pour faire des délégations de pouvoir. Il peut aussi autoriser le Premier ministre à signer des décrets. Maintenant, quand on cherche à réformer, il est possible d’aller dans le sens de réformer la Constitution et, au mieux, de renforcer les prérogatives du Premier ministre. Dans ce cas de figure, il faut savoir lire l’environnement et le contexte politique.» C’est que le caractère inédit de l’élection d’un président de la République choisi par son président de parti, devenu son Premier ministre nourrit quelque craintes. «Actuellement, il y a une complicité entre le président de la République et le Premier ministre. Dans ce cas, il n’y a aucun risque. Mais, demain, si vous le faites, et qu’il n’y a pas de coïncidence entre le Premier ministre qui a une majorité à l’Assemblée nationale et le président de la République, vous pouvez installer une situation de crise quasiment, ce qui est arrivé au Sénégal en 1962», analyse Pr Diakhaté.
Régler la nature du régime
Le spécialiste du droit dit avoir «un problème» avec ce renforcement des pouvoirs du Pm. «On ne peut pas le définir à priori, on le fait en établissant une relation avec la nature du régime politique. Quand vous êtes dans un régime présidentiel, les prérogatives du Premier ministre sont nécessairement des prérogatives renforcées. Quand, vous êtes dans un régime de type parlementaire, il n’y a pas de problème. La quasi totalité des prérogatives est dévolue au Premier ministre. Dans le contexte sénégalais, on a des problèmes parce que de 1960 à 1962, il n’y avait pas de confusion, on avait un régime de type parlementaire. Après restauration-suppression du poste de Premier ministre pour qualifier le régime politique jusqu’à ce que nous avons vécu en 2019, le président a supprimé par confusion un régime présidentiel. On réintroduit encore le poste de Premier ministre au point où on a toutes les difficultés pour qualifier la nature du régime politique. Je pense que le Sénégal doit régler ce débat-là ; qu’on sache quelle est la nature de notre régime politique. En fonction de cela, vous pouvez maintenant rééquilibrer en fonction de ce que vous voulez. Mais, nous, on a des régimes hybrides, des régimes hétérodoxes pour, disait le professeur Elhadji Mbodji, des régimes inqualifiables». Et l’enseignant-chercheur d’ajouter : «Si, dans ce régime-là, vous ne clarifiez pas la nature du régime, vous ne clarifiez pas la nature du régime et vous cherchez à renforcer l’étendue des pouvoirs du Premier ministre, ça marche. Mais, on va vers des élections législatives prochainement, avec ou sans dissolution de l’Assemblée nationale. Dans tous les cas, il y aura ultérieurement, élections législatives. Imaginez que vous ayez une majorité qui ne coïncide pas avec le parti au pouvoir, vous voyez la situation que vous allez installer dans ce pays.»