Alors que jusque-là toutes les amnisties (1976 Affaire Mamadou Dia, 1991 Affaire de la Casamance et 2002 Loi Ezzan) ont été faites après des condamnations définitives des auteurs impliqués dans ces dossiers, Macky Sall va rompre avec une telle tradition. Le projet de loi d’amnistie adopté hier en Conseil des ministres va effacer les événements politiques de 2021 à 2024 qui n’ont jamais fait l’objet d’une condamnation judiciaire de leurs auteurs constitués particulièrement par des agents des forces de défense et de sécurité et d’autres forces infiltrées. Si, pour Ousmane Sonko, l’imbroglio juridique est tel qu’il faut attendre la lecture du contenu du projet de loi d’amnistie pour être édifié, Bassirou Diomaye Faye, lui, pourrait difficilement bénéficier de cette mesure car non condamné définitivement. Il est aussi permis de s’interroger sur le sort qui sera réservé dans cette loi aux policiers, gendarmes et autres nervis impliqués dans les plus de 50 morts des événements de 2021 à 2024 ? Une chose est en tout cas sûre : l’amnistie annoncée par le président Macky Sall est inédite dans les annales de notre pays.
Macky Sall fait bégayer l’histoire du droit dans notre pays. Au niveau des facultés de droit et dans le milieu des pénalistes, on a beau revisiter les amnisties accordées dans notre pays depuis l’indépendance, le geste posé hier par le président de la République en Conseil des ministres à travers l’adoption d’un projet de loi d’amnistie est une jurisprudence unique dans le monde. Une loi d’amnistie qui intervient avant un jugement définitif sur les faits amnistiés ! Qu’à cela ne tienne. Macky Sall est obstiné et têtu. Malgré une forte opposition au sein de son propre camp, de l’opposition, de la société civile et des familles des plus de 50 personnes tuées dans des manifestations pacifiques qui réclament une enquête et justice, le chef de l’Etat affiche une détermination sans faille à amnistier tous les événements politiques qui se sont déroulés de 2021 à 2024. Lundi dernier, au cours du lancement du dialogue national, il avait encore élevé la voix pour rabrouer tous les contestataires de son projet. Le souhait exprimé par Macky Sall, c’est que « l’on puisse aller vers une élection apaisée, inclusive et transparente ». Pour accompagner cette dynamique et « dans un esprit de réconciliation nationale, je saisirai l’Assemblée nationale d’un projet de loi d’amnistie générale sur les faits se rapportant aux manifestations politiques entre 2021 et 2024 » avait-il ajouté.
Poursuivant, le président de la République avait expliqué que « notre pays se trouve à un carrefour important. Mon souhait c’est que nous puissions aller vers une élection apaisée, inclusive et transparente. Je souhaite, au-delà du souci légitime de justice et de redevabilité, que l’amnistie et le pardon, par leurs vertus salutaires pour la Nation, nous aident à surmonter ces moments difficiles, afin que notre cher pays se réconcilie avec lui-même, en remettant toutes ses forces vives autour de l’essentiel : c’est à dire la sauvegarde de notre unité nationale, toutes sensibilités confondues, et la préservation de l’Etat de droit et de la République. Cela permettra de pacifier l’espace politique, de raffermir davantage notre cohésion nationale et de maintenir le rayonnement démocratique de notre pays.
Les amnisties de 1976, de 1991 et 2002 ont été faites après des condamnations définitives
La France qui reste un modèle pour nous dans plusieurs domaines, notamment celui judiciaire, dispose à travers l’article 34 de sa Constitution que l’amnistie est prise après la condamnation définitive. Au Sénégal, c’est l’art 67 de la Constitution qui prévoit la loi d’amnistie. Ce qui fait que le projet de loi d’amnistie du président Macky Sall est inédit, c’est que toutes les amnisties accordées jusque-là dans notre pays qu’il s’agisse de celle dont ont bénéficié le président Mamadou Dia et ses compagnons en 1976, des auteurs événements de Casamance, en 1991 et la loi Ezzan de 2002, ont été faites les deux premières à la suite de projets de loi déposés par les présidents Senghor et Abdou Diouf, respectivement, et la dernière par une proposition de loi du député PDS Isidore Ezzan. Mamadou Dia fait partie des premiers hommes publics de notre pays à avoir bénéficié d’une amnistie. En mars 1974, il avait été gracié par le président Léopold Sédar Senghor puis amnistié, en avril 1976. Arrêté par un détachement militaire (paras-commandos), avec quatre de ses compagnons, Valdiodio Ndiaye, Ibrahima Sarr, Joseph Mbaye et Alioune Tall, l’ancien président du Conseil de gouvernement avait comparu devant la Haute Cour de justice du 9 au 13 mai 1963, et condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Lui et ses compagnons avaient été immédiatement transférés dans le bagne de Kédougou. Mamadou Dia, Président du Conseil du Sénégal de 1957 à 1962, avait prôné, le 8 décembre 1962, à Dakar, dans un discours portant sur « les politiques de développement et les diverses voies africaines du socialisme », une «mutation totale qui substitue à la société coloniale et à l’économie de traite une société libre et une économie de développement ». Cette déclaration avait poussé des députés à déposer une motion de censure contre son gouvernement les jours suivants. Jugeant cette motion irrecevable, Dia tente d’empêcher son examen par l’Assemblée nationale au profit du Conseil national du parti, en faisant évacuer la chambre le 17 décembre 1962 et empêcher son accès par la gendarmerie. Malgré ce qui est qualifié de « tentative de coup d’État » et l’arrestation de quatre députés, la motion est votée dans l’après-midi au domicile du président de l’Assemblée, Lamine Guèye.
1991 : Amnistie portant sur le conflit de la Casamance du président Abdou Diouf
En 1991, une amnistie est accordée aux combattants casamançais du Mouvement de forces démocratiques de Casamance (Mfdc) conformément à un accord trouvé en 1991 entre le gouvernement, rappelle le site Pulse.sn Ainsi, « sont amnistiées de plein droit toutes les infractions criminelles ou correctionnelles commises entre le 1er août 1987 et le 1erjuin 1991, tant au Sénégal qu’à l’étranger, en relation avec les évènements dits « de Casamance ». Sont amnistiés de plein droit les crimes d’attentat et complot contre la sécurité de l’Etat et l’intégrité du territoire national, prévus et punis par les articles 72 et 73 du Code pénal, commis antérieurement au 31 juillet 1987 en relation avec les évènements dits « de Casamance » et dont les auteurs ont fait l’objet de condamnation à une peine égale ou supérieure à 15 ans de détention criminelle ».
Loi Ezzan initiée parle président Abdoulaye Wade
L’Assemblée nationale a adopté, le 7 janvier 2002, une loi d’amnistie des infractions commises du 1er janvier 1983 au 31 décembre 2004, rappelle Pulse.sn. Les infractions criminelles ou correctionnelles, commises pendant cette période au Sénégal ou à l’étranger, en relation avec les différentes consultations électorales ou ayant des motivations politiques, sont toutes effacées. Cette loi proposée par Ibrahima Isidore Ezzan, député du Parti démocratique sénégalais (PDS), a été adoptée par 70 voix pour, 27 contre et une abstention. Le 15 mai 1993, alors que le Conseil constitutionnel s’apprêtait à donner les résultats des élections législatives, son vice-président, Babacar Sèye est tué par des hommes armés en plein Dakar. Abdoulaye Wade, alors chef de file de l’opposition, avait été arrêté avec de nombreux autres partisans avant de bénéficier d’un non-lieu. En revanche, en 1994, Amadou Clédor Sène, Assane Diop, arrêtés et jugés dans le cadre de cette affaire, sont considérés comme les assassins du magistrat et ont écopé d’une peine de 20 ans de travaux forcés. Un troisième accusé, Pape Ibrahima Diakhaté, a été condamné à une peine de 18 ans de prison. Ils retrouvent la liberté en février 2002 à la faveur d’une amnistie.
Ousmane Sonko éligible à l’amnistie ?
Le leader de l’ex-Pastef, Ousmane Sonko, est il éligible à l’amnistie que va accorder le président Macky Sall avant son départ du pouvoir ? La réponse pourrait s’apprécier en fonction des motivations contenues dans le projet de loi. Seulement le cas du leader de Pastef est une sorte d’imbroglio juridique du fait qu’il est impliqué dans trois procédures judiciaires. La première l’a opposé à la masseuse Adji Sarr et s’est traduite par sa condamnation par contumace à deux ans de prison. Ensuite, le 04 janvier 2023, Ousmane Sonko a été condamné définitivement à six mois de prison avec sursis parla chambre pénale de la Cour suprême pour diffamation sur plainte du ministre du Tourisme et des Loisirs, Mame Mbaye Niang. Une condamnation qui lui a valu d’être déclaré inéligible à la prochaine présidentielle par Conseil Constitutionnel. Arrêté le 28 juillet dernier devant son domicile sous l’accusation de vol de téléphone d’une gendarme en civil, et surtout au lendemain d’un discours poignant, Ousmane Sonko, s’est vu coller dans la foulée près de 9 charges parle procureur de la République Abdou Karim Diop. Il s’agit notamment de l’appel à l’insurrection, atteinte à la sûreté de l’État, association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste, complot contre l’autorité de l’État, actes visant à compromettre la sécurité publique et à créer des troubles politiques graves et vol. « Cette arrestation n’a rien à voir avec la première procédure dans laquelle [Sonko/Adji Sarr] a été jugé par contumace où il a été condamné à deux ans de prison », avait expliqué alors Abdou Karim Diop.
Bassirou Diomaye Faye pas condamnés définitivement…
Bassirou Diomaye Faye peut-il bénéficier des effets de l’amnistie projetée parle président de la République ? Il est permis d’en douter. Le candidat à la présidentielle, arrêté en avril dernier pour diffusion de fausses nouvelles, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué n’a pas encore fait l’objet d’une condamnation définitive. Il n’a d’ailleurs pas encore comparu devant un tribunal.
…Les forces de défense et de sécurité protégées par le Code Pénal
L’amnistie annoncée va aussi soustraire à la justice les auteurs des plus de 50mortslors des événements politiques de 2021 à 2024. Selon des pénalistes interrogés par nos soins, les forces de défense et de sécurité pointées dans ce massacre peuvent bénéficier des effets de l’art 315 du Code Pénal. Lequel dispose qu’il n’y a ni crime, ni délit lorsque l’homicide, les blessures, les coups sont ordonnés par la loi et commandités par l’autorité compétente. Cela veut dire, selon ces pénalistes, que les agents des forces de défense et de sécurité impliqués dans ces meurtres doivent être amnistiés ou graciés d’office.