Dans son analyse de la mort de Dieu selon Hegel, Roger Garaudy développe l’idée que l’homme prend la place du divin, incarné dans la figure du président-dieu africain qui se prend pour une divinité absolue
C’est de la philosophie classique allemande que nous vient l’expression Dieu est mort (‘’Gott ist tot’’ en langue allemande). D’abord avec G.W. Hegel (Phénoménologie de l’esprit, 1807), puis avec F. Nietzsche (Le gai savoir, 1882).
Mais les deux philosophes n’en n’ont pas tout à fait la même conception. C’est celle de Hegel qui se rapporte davantage au texte présenté ici.
Philosophe de la mort de Dieu
En 1970, Roger Garaudy, Professeur de philosophie à l’université de Poitiers en France, 12 ans avant sa conversion à l’Islam, publie un ouvrage intitulé : dieu est mort. Il prend soin d’écrire tout en lettres minuscules : dieu est mort, par roger garaudy.
C’est principalement à Hegel que Garaudy consacre les 435 pages de son ouvrage. Dans le chapitre intitulé ‘’La méthode de Hegel’’, à la page 196, Garaudy écrit :
Cette méthode conduit à mettre l’homme à la place de Dieu …Dieu est mort en un double sens. D’abord parce que par la méthode spéculative hégélienne, l’homme a pris la place de Dieu. Mais plus profondément encore, à l’inverse du mysticisme de l’unité, pour créer le monde, Dieu doit mourir comme unité absolue.
A la page 232, Garaudy reprend :
Ce thème central : Dieu est mort, qui commande toutes les avenues de la pensée hégélienne oriente la dialectique du développement de la conscience de soi.
Mais le Dieu qui est mort, ce n’est pas le Dieu des religions monothéistes. Dieu ne meurt pas. Il ne dort ni ne somnole.
Le dieu qui meurt, c’est le dieu terrestre en chair et en os. C’est celui qui s’auto-décrète Dieu dans sa conscience jusqu’à finir par y croire.
Notre dieu terrestre autoproclamé peut être un artiste, un sportif, un politicien devenu président.
Dieu du spectacle
Lorsqu’il est artiste ou sportif, il a ses fans qui se conduisent à son égard comme des croyants, qui l’idolâtrent. Dans les télévisions occidentales, on voit de jeunes gens tomber en syncope à l’apparition physique de leur artiste de la chanson ou du cinéma. Au point que des journalistes parlent de ‘’monstre sacré’’, de ‘’dieu du stade’’.
Cependant, ce dieu du spectacle ou du sport n’est investi que d’un seul pouvoir, le pouvoir de séduction que lui confère son talent. Il ne dispose d’aucune force de coercition. Il est inoffensif. Il peut se montrer arrogant, vaniteux, mais il ne peut pas être méchant et n’a aucun intérêt à l’être.
Comme tout être humain, il ne peut échapper aux érosions physiques du temps sur son corps, les ‘’injures du temps’’, pour devenir une ‘’ancienne gloire’’, un ‘’has been’’ jusqu’à sa mort cliniquement constatée (arrêt cardio-respiratoire).
Dieu de la politique. Président-dieu
Le chef d’Etat qui se prend pour Dieu est une espèce non rare dans nos contrées d’Afrique. C’est le président-dieu, pris ici comme ‘’type idéal’’, comme cela se fait dans les sciences sociales.
Comme l’avait dit Hegel, il a pris la place de Dieu. Il se prend pour Dieu dont il pense avoir hérité des attributs. Il se considère comme une divinité incarnée en lui. Il exerce sur ceux qui pour lui sont ses sujets un pouvoir absolu. Le terme ‘’absolu’’ vient du latin absolutus qui signifie ‘’indépendant de’’, ‘’détaché de’’, ‘’autonome’’. Dans un régime sui se déclare républicain et démocratique, la Constitution ne lui confère qu’un seul pouvoir, l’exécutif. Mais il règne aussi sur les pouvoirs législatif et judiciaire. Il n’a de compte à rendre à personne, même s’il n’ose pas se proclamer Dieu publiquement dans une société de croyants.
Pourtant, ce président-dieu n’est pas le meilleur dans son pays, ni en piété (surtout pas), ni en caractère, ni en éducation, ni en politesse, ni en savoir. Il peut avoir été porté au pouvoir par le suffrage universel de façon régulière et transparente, ou par un coup d’Etat civil ou militaire. C’est véritablement lui qui a pris la place de Dieu Le Miséricordieux, mais dans une autre direction : artisan du mal, dictateur, autocrate, répressif, tyran.
Il dispose de l’appareil d’Etat dans ses deux dimensions : l’appareil idéologique d’Etat (radio, télévision, presse écrite), média-mensonge qui ne fonctionne que pour sa propagande, alors que propriété publique ; l’appareil d’Etat répressif (police, gendarmerie, prisons, magistrats aux ordres) qui ne fonctionne qu’à la violence, avec son lot de prisonniers politiques torturés, de pacifiques jeunes manifestants abattus par balles réelles, ensuite vilipendés terroristes.
Il est le président-dieu, convaincu qu’il a droit de vie et de mort sur ceux qui osent le contrarier. Et il ne s’en prive pas avec son escadron de tortionnaires et de tueurs.
Avec l’ampleur et la fréquence des catastrophes qui s’abattent sur son pays (incendies de quartiers et de marchés, feux de brousse, noyades, disparitions de navires de pêcheurs en mer, accidents de la route, effondrements de dalles de plafonds, crimes de toutes sortes, suicides …etc.) certains en arrivent à penser que le président-dieu est un aay gaaf (un porte- malheur, une poisse).
Le président-dieu est aussi un fieffé et invétéré menteur surtout vis-à-vis de la soi-disant communauté internationale (qui n’a aucun statut juridique, qui n’est qu’un club impérialiste entre les Etats-Unis et l’Union européenne, avec Israël, pour dominer le monde) où il couvre tous ses méfaits sous le voile de la ‘’légalité républicaine’’.
Mais la vérité s’impose toujours, comme en fait état ce proverbe africain : Le mensonge a beau se lever très tôt le matin, la vérité qui ne se lève qu’en début d’après-midi finit par le rattraper avant la tombée de la nuit.
Une autre tare du président-dieu : le respect de la parole donnée n’est jamais sa tasse de thé. Le Coran (61 : 2) l’interpelle et lui fait comprendre que le non-respect de la parole donnée est une abomination.
Bien entendu, le président-dieu se confond avec l’Etat, comme le roi de France Louis XIV qui aurait dit : L’Etat c’est moi.
Lorsqu’un contentieux l’oppose à un de ses sujets, le président-dieu, voulant se donner une figure de démocrate aux yeux de l’opinion extérieure, saisit sa justice et enrôle ‘’des avocats de l’Etat’’ payés sur l’argent public.
Ce qui relève de la supercherie. Un Etat se compose de quatre éléments : territoire, population, histoire avec sa culture, gouvernement. Le gouvernement vient en dernier, parce que les trois premiers peuvent exister sans gouvernement, alors que le gouvernement ne peut pas exister sans les trois premiers. L’avocat d’Etat n’a de sens que lorsque l’adversaire en procès est d’une autre nationalité.
Les personnes qui ont connu le président-dieu avant son accession au pouvoir sont déconcertées, décontenancées, médusées, abasourdies par son comportement, ses actes. Il leur est devenu méconnaissable. Elles arrivent à se demander si c’est le pouvoir qui l’a changé, ou bien si le pouvoir n’a fait que le révéler tel qu’il est.
Il se trouve qu’il a de qui tenir.
Machiavel et le président-dieu
Le penseur italien Nicolo Machiavel (1469 – 1527) est l’auteur du livre Il Principe (‘’Le Prince’’, 1513). C’est de la traduction anglaise de Daniel Donno The Prince (1981), 90 pages, que sont tirés ses propos présentés ici.
Machiavel donne des conseils au prince chef d’Etat. Il pose la question :
Est-il préférable d’être aimé ou d’être craint, ou bien l’inverse ?
Il conseille au prince une attitude de fermeté, mais qui n’attise pas la haine :
Le mieux est d’être aimé et craint en même temps ; mais comme les deux arrivent rarement ensemble, quiconque est obligé de choisir trouvera plus de sécurité à être craint qu’à être aimé (p.60).
Le prince doit tenir du lion la force et du renard la ruse (p.62).
Machiavel demande au prince de piétiner tout ce qui relève de la morale et de l’éthique en politique pour ne faire prévaloir que ce qu’on appelle aujourd’hui la raison d’Etat. Il ne doit pas se sentir obligé de tenir ses promesses :
Un prince sage ne peut pas et ne doit pas accomplir sa promesse lorsqu’elle est contraire à son intérêt, et que les raisons qui l’ont amené à faire la promesse à promettre n’existent plus (p.62).
Pour ne pas se compromettre, le prince doit déléguer ses tâches impopulaires sur un de ses proches collaborateurs, (p. 67), devant lui servir comme on dit aujourd’hui, de fusible.
Le prince doit démontrer qu’il aime le talent et ainsi récompenser ses sujets méritants… Il doit aussi veiller à amuser le peuple par des festivités, des spectacles (p. 79).
Dans les pays africains, c’est le football qui maintenant remplit ce rôle à merveille. Le président-dieu en fait son fonds de commerce politique pour divertir la jeunesse à qui sa politique qui n’est pas de développement n’arrive pas à procurer des emplois. Le président-dieu rivalise avec ses pairs africains sur les montants de primes accordées à leurs footballeurs et les salaires payés aux entraîneurs, les salaires les plus élevés payés sur le budget de l’Etat. Ce qui est une aberration dans un pays goorgorlou. La construction de complexes sportifs coûteux a priorité sur l’élimination définitive des écoles dites ‘’abris provisoires’’ qui étouffent, anéantissent de potentiels génies.
Un point auquel Machiavel accorde une grande importance est le choix des collaborateurs du prince :
Un point qui n’est pas de moindre importance pour le prince est le choix des ministres, car de leur compétence ou de leur incompétence dépendra sa capacité de juger… la première erreur qu’un dirigeant puisse commettre est dans le choix de ses ministres (p. 79 – 80).
Un autre point que Machiavel dit ne pas négliger est :
Ce fléau contre lequel le prince n’est pas protégé s’il n’est pas prudent ou s’il n’est pas bien conseillé : ce sont les flatteries dont les cours des princes sont encombrées (p. 81).
‘’Machiavélisme’’ est devenu synonyme de ‘’cynisme’’. Le Prince de Machiavel a été considéré par certains commentateurs comme un ‘’manuel républicain’’, par d’autres comme un ‘’manuel pour gangsters’’.
Même s’il n’a pas lu le livre Le Prince, c’est comme si Machi-avel est le conseiller du président- dieu (en langue italienne, le ch se prononce k).
Le président-dieu et son destin
La grande différence entre le président-dieu et les dieux du sport et du spectacle est que ces derniers ne meurent qu’une fois, de mort clinique.
Le président- dieu lui, meurt deux fois. Avant la mort clinique, il subit la mort politique, parfois brutalement, parfois après un long coma politique. Tout cela survient subitement, comme un orage dans un ciel serein, sans nuage, par temps ensoleillé. Le président-dieu se rend alors compte qu’il n’est pas puissant. Ses courtisans s’en rendent compte et s’activent dans la débandade, le sauve qui peut. Il n’était donc qu’un tigre en papier, pour parler comme Mao Zedong.
Le président-dieu n’est pas non plus sans rappeler la grenouille de La Fontaine, qui, de la taille d’un œuf, a voulu se faire aussi grosse que le bœuf et finit par éclater.
Il n’y a de puissance qu’en Dieu. Le Seul Unique Dieu qui intervient avec son kounn fa yakounn (‘’’Soit, et il est’’). Il interdit le chirk (lui associer quelqu’un ou quelque chose) qui est le péché le plus grave, impardonnable. Qui s’y frotte s’y pique.
Phiraona, le monarque de l’Egypte ancienne que relate le Coran, se proclamait Dieu. Il avait demandé à son chef de chantiers Hamann de lui construire une bâtisse dont la hauteur devait le mettre au niveau du Dieu de Moussa (Moise). Il n’a raconté à personne ce qui lui est arrivé.
Dieu ne meurt pas. Celui qui meurt, et meurt deux fois, c’est le président, chef d’Etat qui a voulu se prendre pour Dieu. Il ne tire aucune leçon de ce qui est arrivé à d’autres avant lui. Parce qu’il n’est pas du niveau d’intelligence que certains lui prêtent et dont il se réclame. Plutôt maître Aliboron.
PAR MAKHTAR DIOUF