Il nous appartient de nous assurer qu’il nous organisera une élection sans « tricheries ». Ce qui demeure un défi majeur y compris le jour du scrutin. La vertu n’est pas une marque de fabrique de ce régime
Au Sénégal, on se dirigeait cahin-caha vers une élection présidentielle qui devait enfin clore un magistère heurté et en ouvrir un nouveau plus serein. Comme précédemment le processus électoral avait été marqué par les controverses habituelles liées au Code électoral, au fichier, à la participation d’Ousmane Sonko, au système de parrainage, etc. Rien de nouveau. Le président avait encore convoqué un dialogue visant à produire un accord porté ensuite par un projet de loi et un passage à l’Assemblée. S’étant enfin assuré de l’exclusion d’Ousmane Sonko, le président avait émis un décret convoquant le corps électoral à une date permettant l’investiture du nouveau président dans les délais constitutionnels. Le Conseil constitutionnel avait achevé son travail en validant 20 candidatures et en suscitant les mécontentements usuels. La campagne électorale pouvait enfin commencer, annonçant le début de la fin. Les Sénégalais, le peuple souverain attendaient patiemment ce rendez-vous de la délivrance.
Et puis patatras !
Le 3 février, le président nous annonce d’un ton péremptoire, en trois minutes et avec deux heures de retard, « J’annule tout ». Pourquoi ? A cause d’accusations de corruption épinglant deux membres du Conseil. La majorité parlementaire dans la précipitation en profita pour allonger la durée du mandat du président en lui servant son fameux « dessert.» Le tout en trois jours et en violation flagrante des dispositions intangibles, constitutionnelles.
L’incroyable légèreté des raisons avancées avec désinvolture et la mauvaise foi manifeste ont suscité un tollé général dans le pays ainsi qu’à l’international. La riposte s’est alors organisée autour d’un non massif et résolu. La répression est encore une fois violente avec un usage excessif de la force par la gendarmerie, causant la mort de trois jeunes sénégalais tués par balles réelles et s’ajoutant aux soixante victimes des répressions sanglantes de juin 2021 et mars 2023. Macky Sall s’est alors rendu compte qu’il s’était engouffré dans une impasse et a commencé a se chercher désespérément une porte de sortie. Comment se sort-on d’une voie sans issue ? Pourtant le panneau de sens interdit était clairement affiché !
Le Conseil constitutionnel s’étant ré-approprié ses compétences a statué que Macky Sall et sa majorité parlementaire avaient violé la Constitution du pays et le Conseil a procédé purement et simplement a l’annulation des textes soumis. Injonction ayant été donné à l’exécutif de poursuivre le processus électoral et d’organiser l’élection dans les délais permettant d’éviter une vacance dans l’exercice de la fonction présidentielle. Ce à quoi le président s’est engagé.
Va-t-il s’y tenir ? Il faut dire qu’il y a une rupture de confiance entre le peuple et son président. Faut-il le croire ?
Car la question qui interpelle, c’est pourquoi ? Pourquoi avoir crée cette crise dont les conséquences sont désastreuses ? En matière de vies perdues, de blessés, de nouvelles cohortes d’arrestations, de pertes économiques, de dysfonctionnements institutionnels, de dégringolade de la réputation internationale du Sénégal ? A deux mois de son départ de la tête du pays ?
Pourquoi ? Ignorance coupable de la Constitution ? Violation délibérée de notre pacte fondamental ? Assurance que le Conseil constitutionnel allait entériner cette forfaiture ? Peur obsessionnelle de perdre le pouvoir au profit d’une alternative populaire et déterminée ? Sans réponse à ces questions quelles garanties avons-nous que le président va se soumettre aux injonctions du Conseil constitutionnel ?
Il semblerait que le discours du 3 février ait été une réponse angoissée à la probabilité d’une victoire du candidat du Pastef. Contrairement à ce que disent certains, Macky Sall n’avait rien planifié, n’a rien anticipé et n’a pas de stratégie de sortie de crise. Il s’agite dans l’improvisation au jour le jour à la recherche de voies de contournement de la loi et des règles, et de pare-feux pour contrer les incendies qu’il a lui même allumés. C’est un homme sans convictions avec une prédilection pour les coups tordus, mais il reste affligé du handicap de l’incompétence. Le seul cap qui l’obnubile, c’est la conservation du pouvoir le plus longtemps possible et la main basse sur le pétrole. « Apaisement », « Dialogue », « Réconciliation » ne sont que des parades destinées à gagner du temps.
Va-t-il se résoudre maintenant à suivre le droit chemin en commençant par demander pardon aux familles de toutes ces victimes abattues par sa police ?
Il n’y a que deux possibilités pour une nouvelle date du scrutin : les dimanches du 3 mars ou du 10 mars. C’est un problème technique auquel les « services compétents » doivent s’atteler comme requis par le Conseil constitutionnel. Nul besoin de dialogue. Avait-il dialogué avant de convoquer le corps électoral initialement ? Avait-il dialogué avant d’annuler cette convocation ?
Le dialogue semble être “l’arme fatale”de Macky Sall.
L’Arme fatale (Lethal Weapon) est une comédie policière américaine réalisée par Richard Donner et sortie en 1987. C’est le premier opus d’une série de quatre films, poursuivie avec L’Arme fatale 2 (1989), L’Arme fatale 3 (1992) et L’Arme fatale 4 (1998). Même réalisateur, mêmes acteurs (Mel Gibson, Dani Glover) même histoire, même scénario, même épilogue. On s’en lasse ! D’ailleurs, un 5ème film initialement prévu en 2020 n’a toujours pas vu le jour. Ce qui sera probablement le sort du nouveau dialogue qu’on nous annonce.
Notre président s’inspire d’une comédie policière pour nous servir une comédie politique à répétition et de très mauvais goût. Car dans une démocratie, le dialogue est permanent et ne saurait être circonscrit à un événement circonstanciel au palais de la République. Le dialogue requiert une certaine disposition d’esprit fondée sur une culture démocratique, animé par une bonne foi réelle et une capacité d’écoute sincère. Attributs qui font cruellement défaut à notre président.
Comment convaincre le peuple qu’on est ouvert au dialogue lorsqu’on ferme la télévision Walfadjiri à sa guise et qu’on bâillonne les “sans voix”? Se privant ainsi de la possibilité de les entendre sans filtre ? Comment convaincre la classe politique lorsqu’on interdit l’accès à la télévision nationale de candidats validés pour l’enregistrement de leurs messages de campagne ? Ou lorsqu’on aboutit en prison pour un post Facebook comme le Secrétaire général du Pastef ?
Quelle est l’opportunité d’un dialogue après avoir pris une décision qu’il faut maintenant avaliser et où il s’agit en fait d’en gérer les conséquences ? Par ”consensus presidentiel” ? Qu’est-ce que ce dialogue fondamentalement asymétrique ou les conclusions sont portées au président pour décision selon son bon vouloir ? C’est quoi ce dialogue ou les communicants du pouvoir se sont immédiatement mis à caqueter : Sonko « inflexible » face à la « mansuétude » du président ?
Au Sénégal, on réprime violemment pour « préserver la paix », on gaze les manifestants pacifiques pour les amener à « dialoguer », on tue pour « contenir la violence », on libère des détenus innocents pour faire de la place pour de nouvelles cohortes de détenus tout aussi innocents et ce pour “apaiser” la situation. Une terminologie plus appropriée serait :”Otages”.
Au fond, le président appelle à un dialogue pour négocier une amnistie générale destinée bien sûr à couvrir ses propres crimes et ceux de ses complices. Encore faudrait-il qu’ils demandent pardon au préalable. Et que dire de sa dernière trouvaille, son appel immoral à l’armée ?
Quand Macky Sall s’essaie à la subtilité, sa balourdise naturelle reprend le dessus. La menace et le chantage sont tellement lumineux que tous les Sénégalais comprennent aussitôt. Il nous dit en français facile, soit vous acceptez mon décret d’annulation et de report, soit je remets les clés du palais à l’armée.
Nous Sénégalais propriétaires de ce pays, propriétaires du pétrole et du gaz, propriétaires de ce palais, propriétaires de ce mandat, n’avons pas notre mot à dire
Quelle outrecuidance ! Quelle morgue ! Quelle arrogance!
Il pense ainsi pouvoir réaliser son ambition déclarée de réduire l’opposition à sa plus simple expression en installant au moment de son départ un régime militaire pour parachever son obsession. De fait, il traite désormais tous les Sénégalais en ennemis, puisqu’ils se sont rangés majoritairement du côté de l’opposition
A-t-il renoncé ?
Ce président aura tout simplement été une calamité pour le Sénégal. Chaque fois qu’il commet une illégalité, il nous surprend encore en tombant plus bas. Et quand il atteint le fond, il continue à creuser tel un forcené. Et certains veulent aller dialoguer avec un homme qui déclenche un coup d’État et après aspire à le prolonger avec un putsch. Faire une passation de service volontaire avec un gradé de l’armée ? On aura tout vu.
Quand on est dans une impasse, il faut tout simplement admettre qu’on s’est trompé de chemin et faire demi-tour avant qu’il ne soit trop tard. Un président a le droit de faire preuve d’humilité et de demander pardon.
Mais je ne suis pas sûr qu’il pourra trouver cette disposition dans son fumeux“code d’honneur“ou ce qu’il en reste. Il nous appartient donc de lui imposer le chemin et de nous assurer qu’il nous organisera une élection sans « tricheries », ce qui demeure un défi majeur y compris le jour du scrutin. Car la vertu n’est pas une marque de fabrique de ce régime.
Le Conseil constitutionnel a indiqué la voie de sortie de l’impasse.
Pierre Sané de SenePlus