Le code du déshonneur

par pierre Dieme

Ainsi donc, ce 5 février 2024, le Sénégal marque son adhésion officielle au « bloc » des dictatures bananières. L’oraison funèbre de « l’exception démocratique en Afrique » a été prononcée dans un lieu symbolique, l’Assemblée nationale, après un vote sous haute surveillance policière d’une majorité mécanique, après que des hommes de tenue (la GIGN, pardon!!!) aient chassé de l’Hémicycle les députés de l’opposition. La vilaine image fera le tour du monde. Elle agira comme une empreinte psychologique. Notre fierté en souffrira à jamais. Les rides de la honte ne s’effaceront pas. Le président a osé. « Il n’oserait pas » disaient les éternels optimistes dont je fais partie. On lui a souhaité d’entrer dans l’histoire, il a refusé. Il ne se croit pas digne de laisser l’image d’un démocrate livrée à l’histoire dans laquelle serait aussi confondue celle de son pays qui a longtemps entretenu le mythe de posture reluisante et sublimée de la « vitrine démocratique de l’Afrique ». Rien de surprenant me direz-vous! S’il ne veut pas une sortie honorable pour lui-même, il n’en a que faire de l’héritage démocratique de son pays et de son image exemplaire pour le reste du continent. Il préfère qu’on lui dise ordinairement que vous êtes comme tous les putschistes, plutôt que de revendiquer le statut spécial du démocrate. La méchanceté habite l’esprit, l’inélégance marque les relations avec les adversaires, la violence abrite les actes envers le peuple, surtout la frange la plus jeune et donc la plus récalcitrante. Le calvaire chauffé au menu des humeurs du chef n’épargne même pas les collaborateurs les plus proches, le premier ministre, contraint de contresigner un acte qui va déclencher le début des preuves d’une future culpabilité de « corrupteur de juge »; le pauvre, on compatit! C’est le manuel complet du parfait dictateur. Voilà malheureusement ce que l’histoire retiendra de lui, un code du déshonneur qui ouvre les chapitres des grandes premières les plus honteuses, les unes et les autres.

  1. Le premier (avant même que l’assemblée pourtant « instrumentalisée ne se prononce) à acter de facto et non ipso jure, sa propre volonté de prolonger un mandat octroyé par le peuple et limité irrémédiablement par la sacrée Constitution adoptée après référendum.
  2. La première fois qu’on « assiste » à la disparition mystérieuse de deux gendarmes : le corps sans vie de l’un a été retrouvé dans un état qui, nous dit-on, ne permet pas de déterminer les causes de la mort tandis l’autre est non encore retrouvé; on compte ainsi sur l’oubli imprimé par le temps.
  3. Le premier pays au monde (je dis bien au monde) où une condamnation à une peine de prison en sursis pour un simple délit de diffamation supposé être commis sur un ministre, entraine systématiquement la déchéance des droits civiques et donc l’inéligibilité du chef de l’opposition.
  4. Le premier gouvernement à retirer « définitivement avec effet immédiat » la licence octroyée à une chaîne de télévision privée (Walfadjri) à qui l’on reproche simplement de montrer des images que tout le monde voit déjà en direct sur les réseaux sociaux et livrées sans filtre, contrairement au traitement professionnel qu’en fait le média ciblé et désigné comme un « ennemi à abattre » au même titre que les opposants politiques, et qui hier vous offrait une tribune d’expression lorsque la TV publique vous fermait l’accès. L’ingratitude n’est pas que vilaine et monstrueuse, elle est parfois cruelle, digeste que pour les faibles d’esprit.

Dix mois encore! Et l’ère des grandes premières n’est peut-être encore clôturée, des plages encore restantes pour écrire des pages sombres d’une république déjà abîmée par la vanité et la cupidité des hommes de pouvoir, ou d’un HOMME enfermé dans le piège tentaculaire d’un pouvoir solitaire sans fin.

Ndiaga Loum, professeur titulaire, UQO. Titulaire de la Chaire de la Francophonie.

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