La temporalité politique au Sénégal est rythmée par la manipulation administrative du droit électoral afin d’annihiler la libre participation à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Cette fraude à la démocratie et à l’Etat de droit s’organise par l’installation, dans les représentations populaires, de l’idée selon laquelle la recevabilité des candidatures dépendrait de conditions extérieures à la Loi.
En droit électoral, tout électeur est éligible lorsque les prérequis légaux sont remplis (âge, nationalité, parrainages…). Le législateur sénégalais a, en
2018, consacré la liaison entre l’éligibilité et la qualité d’électeur pour toutes les élections. En somme, il faut d’abord être électeur avant d’être éligible. En ce sens, l’article L. 57 al.1 du Code électoral ne laisse place à aucune interprétation prétorienne en disposant très clairement que « tout Sénégalais électeur peut faire acte de candidature et être éligible, sous réserve des conditions d’âge et des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».
A cette aune, les candidatures de Messieurs Ousmane SONKO et de Bassirou Diomaye FAYE remplissent toutes les exigences légales. En validant ces candidatures, le Conseil constitutionnel démontrera, par sa fonction de régulation, qu’il est pleinement investi dans un constitutionnalisme promouvant la démocratie pluraliste et l’Etat de droit. De quelques observations sur l’éligibilité incontestable de Monsieur Ousmane SONKO
L’annulation de la radiation de Monsieur Ousmane SONKO par le Tribunal d’Instance Hors Classe de Dakar, le 14 décembre 2023, a pour conséquence sa réintégration immédiate dans le
fichier électoral. Le Tribunal d’instance a considéré, en vertu de l’article 307 CPC, que l’arrestation de Monsieur Ousmane SONKO anéantit de plein droit le jugement de la Chambre
criminelle du Tribunal de Grande Instance de Dakar du 1er juin 2023 condamnant celui-ci pour délit de corruption de la jeunesse.
La décision de la Chambre criminelle étant sortie de
l’ordonnancement juridique, la situation de contumax, déjà juridiquement absconse, ne peut plus prospérer et, par conséquent, aucune décision de radiation ne pourrait se fonder sur une décision judiciaire devenue inexistante. Il s’ensuit que l’éligibilité de Monsieur Ousmane SONKO ne saurait être discutée tant il est vrai que l’ordonnance rendue par le Tribunal d’Instance en date du 14 décembre 2023 est d’application immédiate par toutes les autorités administratives en charge de la matière électorale, la Direction Générale des Elections et la Direction de l’Autonomisation du Fichier en l’occurrence. L’article L. 47 al.4 du Code électoral et les articles 36 et 74-2 de la loi organique relative à la Cour suprême prévoient explicitement le caractère non-suspensif d’un éventuel pourvoi en cassation devant
ladite Cour. Autrement dit, l’introduction d’un pourvoi n’aurait aucune incidence sur l’obligation pour les autorités administratives de se conformer, sans délai, à l’autorité de la
chose jugée.
L’urgence et la célérité exigent, en matière électorale, qu’une action contentieuse ne puisse préjudicier au droit fondamental d’un candidat, Monsieur Ousmane SONKO, de se présenter au suffrage des Sénégalais. L’atypisme juridique de la matière électorale, pensée dans une logique de protection et de sauvegarde des droits fondamentaux, celui de concourir au suffrage universel notamment, commande qu’aucune manœuvre dilatoire n’entrave la pleine réalisation des ressources normatives dédiées aux citoyens-électeurs. Pour preuve, cette matière échappe aux hypothèses limitatives dans lesquelles un recours suspensif est prévu.
Toujours est-il que le refus opposé par les services administratifs du ministère de l’Intérieur, la DGE principalement, d’exécuter une décision de justice, deux mois après le premier refus
d’exécution de l’ordonnance du Tribunal d’Instance de Ziguinchor rendue le 12 octobre 2023, viole l’article L. 47 al. 4 du Code électoral et les articles 36 et 74-2 de la loi organique
susmentionnée.
Ces refus répétés, si le Conseil constitutionnel ne remplit pas la plénitude de son office, sont de nature à préjudicier la candidature de Monsieur Ousmane SONKO alors même que les dispositions pertinentes précitées lui restituent l’intégralité de ses droits civils et
politiques. Priver un candidat de sa liberté de candidature, alors même qu’il peut se prévaloir d’une décision de justice immédiatement exécutoire, serait une atteinte grave aux Lois de la
République ainsi qu’aux droits fondamentaux dont le gardiennage appartient ultimement au Conseil constitutionnel.
Le Conseil constitutionnel serait responsable de cette violation de la loi électorale s’il ne déclarait pas recevable la candidature de Monsieur Ousmane SONKO qui bénéficie d’une ordonnance de réintégration immédiate dans le fichier électoral et qui, par ricochet, retrouve sa qualité d’électeur. Face aux refus persistants de la DGE de remettre au mandataire de Monsieur Ousmane SONKO ses fiches de parrainages, il appartient au Conseil constitutionnel, sous le prisme du droit et de sa propre jurisprudence, de recevoir favorablement le dossier du candidat lésé complété par des exploits d’huissier constatant que les pièces manquantes relèvent de la responsabilité intégrale de l’Administration électorale qui a, de manière caractérisée, violé l’article L.47 al. 4 du Code électoral et les articles 36 et 74-2 de la loi organique relative à la Cour suprême. Il ne saurait être reproché à Monsieur Ousmane SONKO une faute de l’Administration.
La violation de la loi électorale et de la loi organique sur la Cour suprême, par le refus d’appliquer une décision de justice, celle du Tribunal d’Instance de Dakar, ne peut être supportée par un citoyen-électeur dont les droits électoraux sont intacts. Ce fait du prince acterait le primat de l’Administration sur la justice et mettrait définitivement fin à l’idéal de la séparation des pouvoirs et à l’ordre républicain au Sénégal. Le Conseil constitutionnel a pour mission d’empêcher que l’Administration décide impunément de ne pas exécuter des décisions de justice défavorables au pouvoir politique. Cet arbitraire, s’il devait prospérer, anéantirait notre Etat républicain.
Le Conseil constitutionnel doit nécessairement se prononcer sur l’imputabilité du manquement lorsque les dossiers de candidature lui seront adressés. Il ne peut pas se contenter d’un contrôle notarial minimal des pièces du dossier de candidature sans questionner l’imputabilité du manquement et en tirer les conséquences juridiques appropriées. Sa jurisprudence antérieure l’y oblige. Il est utile de rappeler, que dans une décision du 15 avril
1998, le Conseil constitutionnel du Sénégal avait déclaré recevable une liste de candidats aux élections législatives au motif que l’absence dans son dossier du récépissé du trésorier général
attestant du dépôt du cautionnement électoral était imputable à l’Administration faute de permanence au trésor public et d’acceptation par le ministère de l’Intérieur de la somme exigible
présentée avant la limite de dépôt des candidatures.
En l’espèce le requérant excipait « une défaillance de l’administration pour laquelle son parti ne doit pas être pénalisé ». Il argue « avoir fait preuve de diligence en présentant avant l’heure limite de dépôt la somme de trois millions de francs au Ministère de l’Intérieur mais que le dépôt lui en a été refusé ». Le juge constitutionnel, après avoir insisté sur la corroboration par écrit des prétentions du requérant, décide qu’« il y a lieu de constater que la preuve est établie que le cautionnement était disponible et a été présenté au Ministère de l’Intérieur avant l’heure légale de clôture » (Conseil Constitutionnel, Décision n°/E/3/98 du 15 avril 1998, affaire Insa SANGARE). Il n’eut d’autre choix que d’accepter la recevabilité de la liste de candidatures.
A l’aune de cette jurisprudence sans équivoque, le refus de la DGE de délivrer ses fiches de parrainage au mandataire de Monsieur Ousmane SONKO et celui de la Caisse des dépôts et consignations de fournir une attestation de dépôt, dès lors qu’ils sont corroborés par des écrits, les exploits d’huissier, sont imputables non pas au candidat Ousmane SONKO mais à l’Administration qui engage, seule, sa responsabilité. L’accomplissement de toutes les diligences par le mandataire désigné par Monsieur Ousmane SONKO n’est plus à démontrer. Dans une décision très récente, en date du 14 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans un raisonnement clair, qu’un procès-verbal d’huissier remplace en bonne et due forme un document administratif manquant lorsque le requérant a accompli les diligences utiles : « considérant que, pour justifier cette carence, les requérants ont joint à leur requête un procès-verbal de constat interpellatif d’huissier du 6 décembre 2023, dressé à la requête du groupe parlementaire Yewwi Askan Wi (…), représenté par son président Birame Souleye Diop, qui déclare qu’il a mandaté Madame
Daba Wagnane, député, laquelle « s’est présentée au Secrétaire général de l’institution parlementaire pour obtenir une copie de la loi votée, en vain » ; que le huissier instrumentaire ayant interrogé Madame Daba Wagnane, cette dernière déclare ceci « Secrétaire général m’a répondu : la loi n’est pas encore promulguée » ;
Considérant qu’il ressort de cet acte que le groupe parlementaire Yewwi Askan Wi, représenté par son président Birame Souleye Diop, n’a pas interpellé les personnes habilitées à délivrer les textes de loi et notamment le SG de l’institution parlementaire, mais plutôt Madame Daba Wagnane ; que les seules déclarations de cette dernière, consignées dans le procès-verbal d’huissier, ne peuvent établir que les requérants ont accompli les diligences utiles ».
En l’espèce, il a été reproché au groupe parlementaire Yewwi Askan Wi de n’avoir pas interpellé l’autorité administrative compétente, le Secrétaire général parlementaire notamment. Par ricochet, le Conseil constitutionnel estime que si l’autorité habilitée avait été saisie, le procès-verbal d’huissier rendrait nécessairement la requête recevable. Dire le droit, c’est pour le Conseil constitutionnel ne pas se dédire abruptement sur l’imputabilité du manquement.
Selon la jurisprudence récurrente du Conseil constitutionnel, les refus peuvent être valablement suppléés par des exploits d’huissier pouvant techniquement intégrés le dossier de candidature dont l’incomplétude relève d’une violation de la loi par l’agissement ultra-vires de la DGE, de la DAF et de la Caisse des dépôts et consignations. La garantie juridictionnelle des droits fondamentaux exercée ultimement par le Conseil constitutionnel exige la recherche minimale de la causalité du manquement.
Le Conseil constitutionnel du Sénégal serait inspiré, outre sa propre jurisprudence, de convoquer le droit jurisprudentiel comparé. La Cour constitutionnelle du Bénin a retenu, en 1998, la candidature d’un opposant rejetée par la Commission nationale électorale pour dossier incomplet en soutenant que « pour des raisons indépendantes de sa volonté, le requérant s’est trouvé dans l’impossibilité de satisfaire aux exigences légales lui imposant d’avoir son dossier de candidature complet à la date du 22 octobre 1998 ».
Le droit électoral, adjuvant des droits fondamentaux des citoyens, doit toujours être interprété en faveur de l’individu surtout lorsqu’il
n’a pas perdu ses droits civils et politiques ou que ceux-ci les lui soient restitués par une décision judiciaire. Monsieur Ousmane SONKO réintégré dans les listes électorales par décision de
justice ne peut aucunement souffrir d’une violation de la loi par l’Administration. Outre cet argumentaire technique, il n’est pas superfétatoire que le Conseil constitutionnel prenne en
compte les circonstances très politiques qui caractérisent l’affaire Ousmane SONKO. Cette affaire a donné lieu à des situations inédites dans les annales judiciaires au Sénégal.
Pour la première fois, le représentant de l’Etat, l’Agent judiciaire, introduisit un pourvoi en cassation sur une simple question de radiation sans que l’intérêt de la société soit démontré ou même postulé (pourvoi introduit après l’ordonnance de réintégration de Monsieur Ousmane SONKO sur les listes électorales rendue le 12 octobre 2023). En sus, pour la première fois, la DGE refuse
obstinément d’appliquer une décision de justice mettant à mal les acquis républicains obtenus au prix d’une intériorisation très longue des linéaments de l’Etat de justice. Il ne s’agit donc pas seulement du cas isolé d’un candidat mais de l’Etat de droit qui est mis à l’épreuve par l’Administration et dont la préservation historique échoit au juge constitutionnel.
Au surplus, le contentieux portant sur la diffamation devant la Cour suprême opposant Monsieur Ousmane SONKO au Ministre Mame Mbaye NIANG, le 4 janvier 2024, interpelle directement la compétence exclusive du Conseil constitutionnel en matière d’exception d’inconstitutionnalité. Le soulèvement de l’inconstitutionnalité de l’article 260 de la loi n° 65-60 du 21 juillet 1965 du Code pénal devant la Cour suprême entraîne une conséquence juridique immédiate. La juridiction suprême doit surseoir à statuer et renvoyer obligatoirement le contrôle
de la loi contestée au Conseil constitutionnel.
La disposition dont la constitutionnalité est querellée, à charge pour le Conseil constitutionnel d’opérer son contrôle de constitutionnalité, pose un problème de conformité à l’article 8 de la Constitution du Sénégal du 22 janvier 2001, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 19-2 du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques, l’article 9-2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le paragraphe 1 de la Résolution 169 sur l’Abrogation des lois
pénalisant la diffamation en Afrique par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples du 24 novembre 2010.
Dans tous les Etats acquis à l’exigence démocratique, les dispositions sur la diffamation des autorités gouvernementales sont sorties de l’ordonnancement juridique en raison de la nature même de leurs fonctions. En droit positif sénégalais, la Cour suprême n’a pas le pouvoir d’apprécier du caractère sérieux ou
opportun du renvoi. Elle est dans l’obligation de surseoir à statuer et, par conséquent, de ne pas tenir l’audience enrôlée le 4 janvier 2024. En effet, la loi organique n° 2017-09 du 17 janvier 2017 abrogeant et remplaçant la loi organique n° 2008-35 du 08 août 2008 sur la Cour suprême en son article 91 dispose que : «
Lorsque la solution d’un litige porté devant la Cour suprême est subordonnée à l’appréciation de la conformité d’une loi ou des stipulations d’un accord international à la Constitution, la Cour saisit obligatoirement le Conseil constitutionnel de l’exception d’inconstitutionnalité ainsi soulevée et sursoit à statuer jusqu’à
ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé. Si le Conseil estime que la disposition dont il a été saisi n’est pas conforme à la Constitution, il ne peut plus en être fait application ». La loi organique n° 2016-23 du 14 juillet 2016 relative au Conseil constitutionnel, en son article 22, précise que « Le Conseil se prononce dans le délai d’un mois à compter de la date de sa saisine ». Il n’est pas inutile de rappeler que la Cour suprême n’a jamais varié dans sa position principielle de renvoi lorsqu’une exception d’inconstitutionnalité est soulevée devant elle.
Elle renvoie systématiquement au Conseil constitutionnel la loi devant être appliquée au justiciable (Cour suprême, 26 juillet 2012, Ndiaga Soumaré c/ État du Sénégal ; Cour suprême, 06 février 2014, Ai Aa Ab, c/ Procureur spécial près la CREI et Procureur général près la Cour d’Appel de Dakar ; Cour suprême, 10 mars 2022, Souleymane Téliko c/ État du Sénégal). Dans une décision du 28 septembre 2022, le Conseil constitutionnel a adopté d’ailleurs une position péremptoire qui ne laisse place à aucune manœuvre prétorienne. Il déclare « la Chambre d’Accusation de la Cour d’Appel de Dakar, saisie d’une exception d’inconstitutionnalité dirigée contre l’article 344 du Code des Douanes, a l’obligation de transmettre au Conseil constitutionnel l’exception ainsi soulevée et de surseoir à statuer jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel se soit prononcé, conformément à l’article 22 de la loi organique relative au Conseil constitutionnel ». Par rapport à tout ce qui précède, Monsieur Ousmane SONKO, jouissant de tous ses droits civils et politiques, dispose d’un dossier de candidature recevable et le droit exige sa participation à l’élection présidentielle du 25 février 2024.
2. Le caractère irréfutable de l’éligibilité de Monsieur Bassirou Diomaye FAYE
La qualité d’électeur est posée par les articles 26 à 31 du Code électoral. Un individu est frappé d’une incapacité électorale que dans des conditions limitativement prévues par la loi, neutralisant ainsi la marge d’interprétation qu’aurait le juge constitutionnel qui se retrouve dans une situation étroite de compétence judiciaire liée. Il faudrait impérativement que l’individu perde momentanément ou définitivement la jouissance de ses droits civils ou politiques pour ne pas être éligible. Cette incapacité ne peut résulter que d’une décision ayant atteint l’autorité de la chose jugée. Il peut s’agir d’une incapacité intellectuelle ou d’une incapacité morale.
Ce faisant, pour qu’un Sénégalais majeur soit privé de la qualité d’électeur, il faut obligatoirement une décision judiciaire définitive. Toute autre situation n’est pas privative de la qualité d’électeur. Le juge constitutionnel sénégalais, conformément à ses attributions
textuelles, n’a aucun pouvoir discrétionnaire en matière de privation des droits susmentionnés d’un citoyen-électeur. D’ailleurs, la privation, par le juge ordinaire, de la
qualité d’électeur d’un condamné doit résulter d’une peine supplémentaire qui doit être prononcée à la demande du procureur en ce qu’un préjudice est causé à la société.
C’est généralement une peine complémentaire, c’est-à-dire qu’elle vient s’ajouter à une peine de prison ou d’amende prononcée à titre principal. En droit, il est de coutume que l’accessoiresuive le principal, et non l’inverse ! Lorsqu’il s’agit de déchoir un citoyen de son droit fondamental d’être élu, l’objectif poursuivi doit être légitime et proportionné à la peine. On est très loin en l’espèce de la situation juridique du candidat Bassirou Diomaye FAYE qui
n’a fait l’objet d’aucune forme de condamnation, même en première instance, alors même que la loi exige une condamnation définitive.
En dehors de toute hypothèse de condamnation,
inexistante en réalité, Monsieur Bassirou Diomaye FAYE n’a même jamais fait l’objet d’un procès. Discuter politiquement de l’éligibilité d’un candidat jamais attrait devant un juge renseigne à suffisance sur le mal-démocratique dont souffre le Sénégal ! La volonté
politique ne préempte pas la décision du juge constitutionnel. Dire le droit est une opération technique qui est détachée des contingences d’appareils. Et en l’absence de tout procès, il ne
peut naturellement y avoir une condamnation et une privation de droits. Monsieur Bassirou Diomaye FAYE garde la totalité de ses droits civils et politiques.
Le Conseil constitutionnel ne peut pas juridiquement invalider la candidature d’un citoyen qui n’est frappé d’aucune condamnation emportant déchéance de ses dits droits.
Le juge constitutionnel n’est que la simple bouche de la loi électorale et non l’organe judiciaire de réalisation d’une commande politique d’élimination arbitraire des opposants. Toute autre
attitude contra-legem du juge constitutionnel participerait à un arbitraire judiciaire aux relents politiques. Selon la jurisprudence du même Conseil constitutionnel, le principe de la nécessité des peines, posé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, partie intégrante de la Constitution sénégalaise, implique que toute peine, fût-elle complémentaire,
doit être expressément prononcée par le juge pour qu’il vérifie qu’elle correspond bien, dans ce cas particulier, à l’exigence de nécessité. C’est bien lorsque la déchéance des droits susvisés est prononcée par le juge que l’administration est autorisée à procéder à la radiation de l’électeur
concerné. Une radiation factuelle selon la bonne volonté interprétative du juge constitutionnel n’existe pas dans un Etat de droit ! Le juge constitutionnel ne fait pas la loi électorale, il l’applique dans son entièreté et dans le respect de ses attributions normatives expressément codifiées.
La candidature à l’élection présidentielle, pour être recevable, doit, aux termes de l’article L 57 al.2, « être portée soit par un parti politique légalement constitué, soit par une coalition de partis politiques, soit par une entité regroupant des personnalités indépendantes ». La loi électorale prévoit ces trois possibilités à l’électeur sénégalais qui remplit les autres conditions (âge, parrainage, obligations fiscales) pour faire acte de candidature. Il en résulte que, même en situation de détention provisoire, la candidature de Monsieur Bassirou Diomaye FAYE ne souffre d’aucun obstacle juridique si celle-ci est portée par un parti politique légalement constitué distinct de PASTEF ou une coalition de partis politiques. En revanche, il ne peut pas être candidat indépendant. Il ne pourrait l’être qu’un an après la
dissolution du parti. Juridiquement, la dissolution du parti PASTEF n’a aucun effet sur les droits individuels autonomes des membres dudit parti.
Si tel était le cas, tous les membres encartés du parti dissous, y compris naturellement les parlementaires et élus locaux dudit parti, devraient en conséquence perdre automatiquement leur mandat et n’auraient même pas eu le droit de voter aux différentes élections car ils seraient frappés de déchéance de leurs droits.
Suivant ce raisonnement tendancieux, les députés du parti frappé de dissolution devraient être tous déchus de leurs droits. L’absurdité du raisonnement suffit à son invalidation ! Faudrait-il rappeler, qu’en droit, les partis politiques sont considérés comme des associations ordinaires, au même titre que tout groupement. C’est un truisme d’affirmer qu’un parti politique est doté d’une personnalité juridique différente de celle de ses membres.
Affirmer qu’un parti politique est une entité autonome dont la dissolution n’emporte évidemment pas les droits individuels de ses membres est un lieu commun juridique qu’il appartiendra au Conseil constitutionnel de réaffirmer. L’article L. 57 al. 2 du Code électoral permet très clairement à Monsieur Bassirou Diomaye FAYE d’être candidat au titre d’un parti politique légalement constitué ou d’une coalition de partis. En d’autres termes, la dissolution d’un parti n’a aucune incidence, même indirecte, sur la déchéance des droits civils et politiques d’un membre qui est libre d’adhérer à un autre parti politique ou même d’en créer. Il est
sans ambiguïté dans la même situation juridique qu’un membre démissionnaire d’un parti politique.
En réalité, l’article L. 57 al. 2 ne donne lieu à aucune interprétation spécieuse en ce qu’il prévoit explicitement que la candidature est portée par un parti légalement constitué, une coalition de partis politiques ou selon qu’il s’agisse d’une candidature indépendante. En 2019, Maître Madické NIANG était candidat à l’élection présidentielle alors qu’il venait de démissionner du PDS quelques mois auparavant. En l’espèce, le Conseil constitutionnel décida
: « Considérant que le 11 décembre 2018, à quinze heures trente-huit minutes, Ibra DIOUF, mandataire de la coalition « MADICKÉ 2019 », a déposé au greffe du Conseil constitutionnel
une déclaration aux termes de laquelle Madické NIANG, avocat, né le 26 septembre 1953 à Saint-Louis de Mademba et Khady THIOUNE, est candidat à l’élection présidentielle du 24
février 2019, a reçu l’investiture de la coalition « MADICKÉ 2019 », est de nationalité sénégalaise, jouit de ses droits civiques et politiques, est titulaire de la carte d’électeur n°100432104 (…) ; Considérant que la déclaration de candidature de Madické NIANG est accompagnée des pièces énumérées à l’article L.116 du Code électoral, dont une liste de 65 078 électeurs l’ayant parrainé, présentée sur fichier électronique et en support papier ;
Considérant qu’il résulte des vérifications auxquelles il a été procédé (…) ; Considérant que la candidature de Madické NIANG est recevable ».
L’orthodoxie judiciaire serait que le Conseil constitutionnel respecte scrupuleusement sa jurisprudence antérieure fondée sur
la stricte application de la loi électorale sans tomber dans une jurisprudence politique. L’actuelle ministre de la justice, Maître Aissata TALL SALL, était elle-même candidate à l’élection présidentielle de 2019 avec la coalition « Oser l’avenir » après son exclusion du PS.
Sa candidature était rejetée simplement pour insuffisance de parrainages. Le juge constitutionnel, dans sa décision du 13 janvier 2019, considère « qu’il résulte des vérifications auxquelles il a été procédé (…), qu’elle a obtenu le parrainage validé de 10 129 électeurs domiciliés, à raison de 2000 parrains par région au moins, dans deux régions ; qu’Aïssata TALL SALL n’ayant obtenu ni le nombre minimal de parrainages d’électeurs inscrits au fichier
électoral général, ni le nombre minimal de parrains par région dans sept régions, il y a lieu de déclarer sa candidature irrecevable ». Dans toutes ces affaires jugées par le Conseil constitutionnel, il ne s’est agi, à juste titre, d’évoquer le statut d’ancien membre d’un parti politique du candidat déclaré. Dès lors qu’un candidat est investi par un parti politique ou par une coalition de partis politiques, le juge se conforme aux prescriptions du Code électoral. Il n’a, dans ce cas précis, aucune marge de manœuvre judiciaire.
Dans sa décision n° 33/98/Affaires n° 1/E/98 et 2/E/98, s’opposant aux conclusions du ministère de l’intérieur déclarant irrecevables les candidatures aux élections législatives de 1998 des coalitions USD JEF JEL et Front pour la Démocratie et le Socialisme, le Conseil constitutionnel a estimé que « les règles relatives aux inéligibilités comme celles qui établissent les limitations à la candidature doivent toujours faire l’objet d’une interprétation restrictive, et ne doivent être étendues à des cas non expressément prévus »(Considérant 7 de la décision n° 33/98 du 8 avril
1998).
Lors des élections locales de 2022, Monsieur Mame Boye DIAO, membre de l’APR, était candidat sous la bannière d’un autre parti. Sa candidature avait même été soutenue par le Président de la République. Il en est ainsi de plusieurs membres de l’APR qui avaient présenté des listes parallèles, notamment Mame Mbaye Niang. A ce titre, il n’est pas superfétatoire de rappeler que l’article L. 57 ne fait aucune distinction selon qu’il s’agisse d’élections législatives, territoriales ou qu’il s’agisse d’une élection présidentielle. Il englobe toutes les élections
politique
La candidature de Monsieur Bassirou Diomaye FAYE ne peut non plus être rejetée sur le fondement de l’article L. 125 du Code électoral. Les pouvoirs d’investigation que l’article L. 125 reconnait au Conseil constitutionnel pour s’assurer de la validité des candidatures lui permettent simplement de demander des compléments d’informations. Le pouvoir de vérification ne signifie nullement un pouvoir de création normative ex-nihilo.
Le Conseil constitutionnel ne peut pas se substituer au juge pénal. La privation des droits civils et politiques est de la compétence du juge judiciaire qui ne s’est pas encore prononcé sur les chefs d’accusation à l’encontre de Monsieur Bassirou Diomaye FAYE. En l’absence de décision judiciaire définitive, rien en droit ne peut empêcher sa candidature. S’il était condamné, le juge constitutionnel aurait pu, au titre de son pouvoir de vérification, demander son casier judiciaire même si son nom figure encore sur les listes comme ce fut le cas dans l’affaire Khalifa SALL. Le Conseil constitutionnel avait demandé la communication de la décision de
condamnation de Monsieur Khalifa SALL malgré l’existence d’un casier judiciaire dans le dossier de candidature qui lui a été présenté. Toujours dans sa décision du 13 janvier 2019, le
Conseil constitutionnel estima : « Considérant qu’il résulte de l’article L.57, alinéa 1er du Code électoral que, pour faire acte de candidature, il faut être électeur ; Considérant que la qualité
d’électeur s’apprécie au regard de l’article L.27 du Code électoral (…) ; que lorsqu’un citoyen est condamné à une peine impliquant sa radiation des listes, il est frappé d’une incapacité
électorale qui a pour effet de le priver de son droit de vote (…) ;
Considérant que Khalifa Ababacar SALL ne peut plus se prévaloir de la qualité d’électeur au sens des articles L.27 et
L.31 du Code électoral ; que, par suite, ne remplissant pas la condition prévue par l’alinéa 1er de l’article L.57 du Code électoral, il ne peut faire acte de candidature à l’élection présidentielle ». A rebours de ce cas d’espèce, Monsieur Bassirou Diomaye FAYE n’a fait l’objet d’aucune condamnation et n’a jamais cessé d’être électeur.
Sous ce prisme, il appartiendra au Conseil constitutionnel du Sénégal de tirer toutes les conclusions juridiques qui s’imposent à la situation du candidat Bassirou Diomaye FAYE. Non seulement le candidat Bassirou Diomaye FAYE ne se présente pas sous la bannière de PASTEF mais, mieux, il n’est frappé d’aucune peine d’inéligibilité et n’a fait l’objet d’aucune condamnation même en première instance. Le candidat Bassirou Diomaye FAYE ne saurait pâtir d’une conception abusive du pouvoir de vérification fondamentalement restreint à la recherche de toute information visant la complétude des pièces du dossier de candidature qui lui sera soumis.
Dans toutes les communautés véritablement démocratiques, les juridictions constitutionnelles partagent des ressources dogmatiques communes : s’ériger en ultime rempart contre l’arbitraire, préserver le modèle social et, en définitive, la cohésion nationale. En appliquant simplement le droit, le juge constitutionnel au Sénégal se convertirait, en même temps, à l’utilitarisme et au conséquentialisme pour restaurer l’Etat de droit. Dire la pureté du droit électoral l’y incite et repenser un Etat de justice indépendant le contraint à lire sa société. Juger, c’est assurer la rencontre entre la normativité sociale et la normativité juridique pour
recréer les fondations d’une nation.
Par conséquent, les sept sages sont invités, cultivant leur « devoir d’ingratitude » à l’égard de l’autorité politique de nomination, à raffermir le serment d’allégeance nationale remis en cause par un environnement politique et social anxiogène.
Pour l’histoire, le Conseil constitutionnel juge certes par le Droit mais surtout pour le peuple et la nation. Pour le peuple et la nation, le Conseil constitutionnel doit réhabiliter le Droit.
Par Sidy Alpha NDIAYE Professeur agrégé de droit public Université Cheikh Anta DIOP de Dakar