Pas de chaos dans les rues, mais un K.O cinglant dans les urnes

par pierre Dieme

« The harder they come, the harder they fall. » Jimmy Cliff.

Lors d’un discours historique, non pas par sa qualité, ni par sa densité intellectuelle encore moins par sa hauteur cognitive, mais plutôt par son symbolisme politique, le Président Macky Sall avait solennellement annoncé aux Sénégalais sa décision de ne pas de ne pas se présenter à l’élection présidentielle du 25 février 2024. Il avait cependant pris la précaution d’avertir que c’était un renoncement volontaire, parce que, selon lui, la loi lui permettait de solliciter un troisième mandat. Cette précision qui ne correspond guère à la réalité a minimisé la valeur de son discours et sa dimension axiologique. Contrairement à ses déclarations qui relèvent d’un déni de réalité et d’un écart par rapport à la vérité, le Président Macky Sall a été contraint de renoncer à la troisième candidature.

Tous les observateurs avertis, avisés et de bonne foi savent que le Président Macky Sall a renoncé à son ambition, longtemps et de tout temps, affichée de briguer un troisième mandat sous la pression de facteurs tant endogènes qu’exogènes. D’abord, il y a la détermination massive et indéfectible des Sénégalais à lui imposer le respect de la Constitution qui, en son article 27, dispose que « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs. » C’est dit en des termes nets, clairs et précis qui ne souffrent d’aucune équivoque. Au-delà des dénonciations verbales, les populations ont estimé devoir organiser des manifestations publiques de grande ampleur pour réaffirmer leur attachement au respect de la charte fondamentale et faire comprendre à leur Président qu’elles ne sauraient lui accorder ce qu’elles ont refusé au Président Abdoulaye Wade au prix de dizaines de morts. Il y a eu, ensuite, la pression moins visible mais tout aussi forte et pesante des chancelleries occidentales, notamment l’implication des autorités françaises qui ont vraiment influé sur la décision du Président Macky Sall. Le sieur Alain Juillet, ancien patron des renseignements français, ne l’a-t-il pas récemment confirmé en déclarant que c’est la France qui a persuadé le Président Macky Sall de renoncer à son projet de troisième mandat.   

Depuis son renoncement forcé, mais que lui considère comme conforme à son code d’honneur, le Président Macky Sall montre aux Sénégalais une facette surprenante, pas pour certains comme moi, de sa personne. Il fait montre d’une nervosité, d’un agacement, d’une frilosité et d’un manque total de sérénité qui en disent long sur son état d’esprit actuel. Nous y reviendrons. Pour l’heure, je m’autorise à faire un survol de celui qui, dans trois mois, ne présidera plus aux destinées de notre pays qu’il a dirigé pendant douze interminables années.

Sur le plan de la gouvernance globale dont il avait fait un élément axial de son magistère, le Président Macky Sall a lamentablement échoué, si l’on se réfère à ses engagements de début de mandat et à l’objectif principal qu’il s’était fixé. En effet, il avait déclaré urbi et orbi qu’il se donnait pour mission, non point de construire des routes ou d’investir dans les infrastructures, mais de restaurer l’état de droit et de le consolider dans le cadre d’une gestion rigoureuse, sobre et vertueuse ou la patrie aura le primat sur le parti. Ils sont très nombreux, les observateurs et les citoyens à reconnaitre que les résultats sont décevants et très en deca de l’espoir suscité. Le magistère de Macky Salla été émaillé et caractérisé par de nombreux scandales, les uns plus graves que les autres.

Le scandale du siècle a porté sur les détournements opérés sur les fonds Covid d’un montant de mille milliards collectés à travers diverses sources dont une forte contribution des populations, toutes strates sociales confondues. Ainsi donc, des autorités étatiques et de hauts fonctionnaires, sans scrupules, ont cru devoir saisir cette occasion ou un voile macabre enveloppait le pays voire le monde tout entier, alors que les populations étaient dans une grande tristesse et une profonde détresse pour, sans gêne aucune, sans sympathie ni empathie, organiser un environnement de richesse et d’allégresse. Le plus écœurant dans ce carnage financier, c’est l’absence de coupables, consacrant l’idée, désormais très répandue, selon laquelle l’impunité est érigée en mode de gouvernance sous le magistère du Président Macky Sall. Devrait-on en être surpris de la part d’un Président qui déclarait en 2015, lors d’une interview « Je peux pardonner la faiblesse de ceux à qui il arrive de profiter des situations. Leur cupidité ou leur incapacité à résister à la tentation les amène à mentir et à trahir la confiance. Cela, je peux le pardonner[S1] … » Il est, dès lors, facile de comprendre l’impunité généralisée et systématique des membres de l’Apr et de la coalition présidentielle. Il est difficile de sucer le sang du peuple et de s’abreuver de la sueur des populations en ayant la conscience tranquille; le sentiment de culpabilité incrusté dans votre conscience sera un éternel châtiment.

Sur le plan politique, le Président Macky Sall s’est très tôt dévoilé à travers un discours mémorable de très bas niveau qui avait fini de convaincre tout le monde qu’il n’est pas un démocrate. En affirmant que son objectif était de réduire l’opposition sa plus simple expression, ce qui est contraire à la constitution qui consacrent l’existence des partis d’opposition comme substantielle à la vie politique, il venait de montrer son visage, sa nature profonde, celle d’u homme dont la culture politique ne pouvait s’accommoderez de la diversité des opinions et de la pluralité des choix politiques. De tous les présidents qu’a connu le Sénégal, il est le seul à ne pas comptabiliser le moindre acte de promotion de la démocratie. L S Senghor a initié les quatre courants de pensée, Abdou Diouf a favorisé la démocratie intégrale et Abdoulaye Wade a constitutionnalisé le droit à la manifestation. Le Président Macky Sall qui a changé la constitution à six reprises, ne peut se prévaloir d’aucune réforme ayant permis une avancée dans la vie démocratique de note pays. Aucune réforme consolidante, pour dévaliser son gourou juridique; uniquement des réformes malicieuses de consolidation du pouvoir au détriment des autres forces politiques.

Sur le plan économique, contrairement aux satisfécits de complaisance des institutions de Brettons Wood qui sont dans une logique d’asservissement et de blocage de tout développement des pays du grand sud, le Sénégal vit des moments très difficiles que certains n’hésitent pas à qualifier de période de récession. La tension de trésorerie serait telle que la marge de manœuvre de l’État est quasi nulle; pourtant quarante mille milliards ont été mis à la disposition du Président Macky Sall durant ses deux mandats. Les choix stratégiques de développement n’ont pas été judicieux ni pertinents; la croissance dont se glorifient les autorités étant principalement portée par des acteurs étrangers, rendant notre économie extravertie sans retombées positives sur nos populations dont le pouvoir d’achat est constamment siphonné. Au Sénégal, la situation économique peut être appréciée à l’aune de l’impécuniosité chronique des ménages.

S’il y a un phénomène dont il faut se plaindre et qu’il faut dénoncer avec la dernière énergie, c’est la dévalorisation de nos institutions républicaines par les autorités censées les protéger. L’on peut citer des exemples à foison; il n’est que d’évoquer le cas du Président Macky Sall, gardien de la constitution qui de manière ostensible, avec une déconcertante désinvolture, a remplacé les couleurs nationales par celles de l’Apr sur nos armoiries nationales qui constituent un symbole fort de notre souveraineté. Cette altération pourrait être considérée, si nous étions dans certains pays, comme de la haute trahison; Les couleurs de l’Apr ne doivent en aucun cas pouvoir se substituer aux couleurs nationales, le vert, le jaune et le rouge qui, depuis notre accession à la souveraineté internationale constituent le socle chromatique identitaire de notre pays. Nous avons, ici, la preuve manifeste du primat du parti sur la patrie; malheureusement, cette grave et dangereuse anomalie que je considère comme une forme d’agression et dévalorisation de nos symboles héraldiques ne semble émouvoir personne. Le Président Macky Sall a désacralisé le palais de la république comme jamais ne l’a fait l’un de ses prédécesseurs; n’y a-t-il pas reçu un scélérat, un malotru, un traitre de l’acabit de Djibril Ngom? N’y a-t-il pas accueilli un insulteur public qui a agoni ses parents de toutes les insanités et qui, comble de scandale, a même eu le grand privilège d’être son commensal? N’y a-t-il pas reçu une mégère aux mœurs légères et à la vie dissolue qui se distingue à l’assemblée nationale par sa vulgarité et ses écarts de langage.

L’unité nationale, la cohésion sociale et la paix civile, mises à rude épreuve ces dernières années, ne doivent pas être fragilisées par des comportements et des discours haineux et irresponsables tant de la part des autorités que des populations. Et c’est avec ce régime qu’on assiste à la multiplication des dérives identitaires; une région souffre particulièrement de cette tendance dangereuse, il s’agit de la Casamance qui subit un ostracisme exacerbé et une stigmatisation de très mauvais aloi. Point besoin d’évoquer des faits tangibles et de rappeler des propos avérés qui prouvent, montrent et démontrent à suffisance que la Casamance est victime d’un traitement aux antipodes des exigences et des valeurs républicaines.

Les Sénégalais vivent en ce moment une atmosphère de peur permanente marquée par des interpellations et des arrestations tous azimuts et le plus souvent pour des motifs d’une légèreté déconcertante. On semble vouloir imposer aux populations un silence total sur la marche du pays, notamment en cette période d’incertitude et de questionnements sur les réelles intentions du Président sortant. D’aucuns disent qu’au Sénégal, non seulement on vous empêche d’exprimer librement vos opinions, mais, à la limite, on vous interdit d’en avoir. Jadis citée comme un exemple en Afrique et présentée comme modèle, la vitrine de notre démocratie s’est plus que fissurée, elle s’est totalement désintégrée par la faute d’autorités politiques profondément allergiques à la contradiction, aux débats d’idées et la confrontation programmatique. A trois mois de l’élection présidentielle, c’est l’opacité totale dans le processus. Et le plus grave, c’est l’instrumentalisation de la justice pour éliminer des candidats qui sont de sérieux prétendants au fauteuil présidentiel;

Revenant sur le Président Macky Sall, les Sénégalais ainsi que les différents observateurs de la scène politique, constatent que le vocable CHAOS apparait de manière récurrente dans ses discours, comme tout récemment lors d’une interview accordée à « Jeune Afrique ». Un psy dirait que dans son subconscient s’est installé le désir ardent de voir se produire le chaos dans le pays; effectivement c’est comme, ce n’est donc qu’une impression s’il voulait que le Sénégal sombre dans le chaos pour des desseins inavoués. Certaines personnes, notamment dans le landerneau politique, de manière audacieuse, ont vite tiré la conclusion selon laquelle une telle situation serait à son avantage, en ce sens que cela lui permettrait de rebondir dans le jeu politique. Pour certains analystes, une situation de chaos pourrait être mise à profit par les autorités pour exciper de l’impossibilité pour l’État d’organiser des élections paisibles et transparente et que par conséquent, il y a tout lieu de reporter l’élection présidentielle. Malheureusement, un tel scénario a peu de chance de prospérer dans la mesure ou les populations conscientes et conscientisées ont compris la manœuvre et le sens de certaines formes de provocations.

Le Président Macky Sall serait dans une phase délicate d’assimilation de ses regrets, de sa déception et de ses repentirs et de certaines trahisons, toutes choses l’installant dans une fragilité psychologique qui le conduit le plus souvent à s’affranchir de certaines convenances politiques et sociales. IL présente en ce moment des signes de grande nervosité; il semble en vouloir à tout le monde, n’épargnant même pas ses partenaires qui devront se résoudre à supporter ses humeurs, encore qu’il faille admettre que les reproches qu’il leur adresse sont totalement fondées. La perspective de perdre le pouvoir n’est guère réjouissant, notamment en Afrique ou le Président de la république est doté de pouvoirs illimités, quasi divins, disposant du sort de ses concitoyens selon sa volonté. Se retrouver simple citoyen, après avoir gouverné en maitre absolu, n’est pas facile à supporter; il faut être de la trempe d’un Georges Weak pour transcender une telle situation. En très fervent croyant qu’il est, et je n’en doute point, le Président Macky Sall doit savoir que seul Allah Le Tout-Puissant dispose d’un pouvoir éternel, Lui le Créateur, Maitre de l’univers et de nos destins de mortels ignorants, insignifiants et impuissants. C’est Lui le dépositaire des faveurs, des avantages, des privilèges, des honneurs dont, par sa miséricorde et sa grande générosité, IL nous fait jouir temporairement, provisoirement, à titre précaire et révocable. Un Président de la République doit comprendre que rien ne lui appartient en propre sinon ses seuls actes.

IL n’y aura pas de chaos dans le pays; il n’y aura pas de manifestations violentes sur la voie publique. Le seul mot d’ordre qui vaille, c’est de garder en lieu sur sa carte d’électeur et d’attendre tranquillement le 25 février pour se rendre tôt aux urnes pour accomplir son devoir civique.

Dakar le 26 Novembre 2023.                          Boubacar SADIO

                                                  Commissaire divisionnaire de police

                                                    De cl exceptionnelle à la retraite.


 [S1]la

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