Question : quel est le point commun entre l’affaire du présumé homosexuel dont le corps a été exhumé et brûlé vif à Kaolack et
le refus par la Direction générale des Elections d’appliquer les différentes décisions ordonnant la réinscription d’Ousmane
Sonko sur les listes électorales ? Certains me répondront sans doute que c’est le fait que le préfet de Kaolack, qui aurait dû prendre les dispositions idoines immédiatement pour empêcher cet autodafé de la honte, et le DGE dépendent tous du ministère de l’Intérieur.
Peut-être mais ceux qui auront donné cette réponse seront passés à côté de la plaque. Car le point commun dans l’une et l’autre affaires c’est que, dans les deux cas, des gens se sont arrogés des pouvoirs d’autrui et ont prétendu ou prétendent appliquer les lois à leur manière. Dans le cas du scandale qui s’est produit dans la capitale du Bassin arachidier, des individus illuminés ont prétendu décider à la place de Dieu qui était bon musulman et qui ne l’était pas.
Et, par voie de conséquence, qui était digne d’aller au Paradis du Seigneur et qui, au contraire, méritait de brûler dans les flammes de la géhenne. Dans ce dernier cas, un avant-goût du brasier devait leur être donné sur cette terre des hommes où leur
corps devait être carbonisé avant même de comparaître devant le tribunal des anges !
Les individus de Léona Niassène, dans la ville de Mame Coumba Bang, ont jugé, délibéré et décidé que le défunt Cheikh Fall, paix à son âme, n’avait même pas le droit de reposer pour l’éternité dans un cimetière pour musulmans. Mieux, ils ont aussitôt exécuté leur décision sans attendre le jugement de Dieu !
Le directeur général des Elections, qui n’est autre que le général de Police Thiendella Fall, lui, a décidé qu’Ousmane Sonko n’a pas le droit de recevoir des fiches de parrainage et a refusé d’en remettre à son mandataire. A en croire cet intrépide et arrogant fonctionnaire, le leader de Pastef ne figure pas sur les listes électorales et, par conséquent, ne peut pas aller à la conquête des
parrainages qui sont une condition de la validation de sa candidature à la prochaine élection présidentielle.
Or, là aussi, c’est le Conseil constitutionnel qui, de parla loi, a seul les prérogatives de déterminer qui remplit les conditions pour être
candidat et qui ne les remplit pas. Encore qu’à mon avis, l’opposant ne doive rien attendre de bon de ce Conseil-là… Donc ce n’est pas
parce qu’on dispose de fiches de parrainages que l’on sera forcément dans les starting-blocks le 25 février prochain. On nous objectera que le leader de Pastef a été condamné à deux reprises (par contumace dans l’une d’elles, une condamnation qui a sauté dès qu’il a été arrêté, une interpellation pour laquelle il doit dire merci à Antoine Félix Diome et Ismaïla Madior Fall ! Et une autre qui n’est pas encore définitive pour diffamation), ce qui a entraîné sa radiation des listes électorales.
Certes, la Cour suprême a donné raison à la DGE dans son refus de remettre des fiches de parrainage au mandataire du leader de l’opposition emprisonné mais voilà : le président du tribunal d’instance de Ziguinchor a ordonné la réintégration d’Ousmane Sonko sur les listes électorales. Il s’appelle Sabassy Faye, le magistrat sans peur et sans reproche qui a pris cette décision historique et qui nous rappelle le juge Epiphane Zoro Bi Ballo, qui, en délivrant un certificat de nationalité à Alassane Ouattara, alors accusé d’être un Burkinabé, lui avait permis de participer à
l’élection présidentielle ivoirienne….et de a gagner !
Retour au Sénégal : la réintégration ordonnée par Sabassy Faye était d’application immédiate mais le tout-puissant Thiendella Fall, droit dans ses bottes, a renâclé avant de refuser de s’exécuter.
Au motif, s’est-il permis d’interpréter, que l’Etat avait fait un recours ! Ah bon, doit-on comprendre par là que les décisions de justice ne sont plus exécutoires dans ce pays dès lors qu’un recours et formulé contre elles ! Mais il y a mieux : saisie par les avocats de l’opposant, la Commission électorale nationale autonome, chargée
par la loi de piloter tout le processus électoral, a elle aussi enjoint la DGE de réinscrire Ousmane Sonko sur les listes électorales.
Nouveau refus de la DGE. Oh, nous savons bien qu’un tel refus, il n’a pas pu le prendre sur sa propre casquette de général de police et a sans doute dû recevoir des ordres pour ne pas s’exécuter. Il
n’empêche, voilà un Etat dit de droit où un fonctionnaire peut se permettre de faire la nique ou un pied de nez à une décision de
justice et de tirer la langue à l’organe administratif chargé de superviser les élections. Les avocats d’Ousmane Sonko peuvent toujours courir et saisir, comme ils l’ont fait, la Cour de justice de la Cedeao car même si cette dernière leur donne raison, le Gouvernement leur opposera sa souveraineté pour refuser de s’exécuter.
Car qu’il soit bien entendu que la seule demande que l’Etat du Sénégal est disposée à recevoir de cette Cedeao, c’est celle d’envoyer ses soldats faire la guerre. Dans ce cas, c’est sans protestation ni murmures que nos « Diambars » seront mobilisés
pour aller faire le coup de feu ! Hors ce cas, le Sénégal n’a aucun ordre à recevoir de la CEDEAO ! Et pourtant même au Niger, pays
quand même pas aussi démocratique que le nôtre, l’opposant Hama Amadou, jeté en prison pour une rocambolesque affaire de
« trafic de bébés », avait été autorisé à participer à l’élection présidentielle. Il avait réussi l’exploit de se qualifier pour le second tour ! Au Sénégal craint-on qu’Ousmane Sonko mette KO dès le premier tour le candidat du président Macky Sall ? On n’ose pas le croire ! « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » écrivait Jean de la Fontaine dans sa fable « Les animaux malades de la
peste ».
Dans notre pays, c’est plutôt selon qu’on appartienne à la majorité présidentielle ou à l’opposition que les jugements de cour lavent plus blanc que la lessive Omo ou sont implacables. Demandez donc à ce pauvre Papito Kara ! Ce ping-pong Tribunal d’instance de Ziguinchor-DGE-CENA-DGE nous rappelle cette blague d’un médecin arrivé sur le théâtre d’un grave accident de la route, qui examine les nombreux corps allongés sur le bas côté et qui, à l’arrivée des gendarmes, les informe, péremptoire : ils sont tous morts, hélas. Ce qu’entendant, un des blessés s’écrie : « au secours, je suis encore vivant ! » Alors le médecin, imperturbable : « taisez-vous, Monsieur, je connais mon métier, vous êtes tous morts ! »
Appliquée à notre charmant pays et ce feuilleton interminable de l’éligibilité de Sonko, Thiendella Fall pourrait se permettre de balancer avec superbe aussi bien au juge de Ziguinchor qu’à la CENA (pourtant dirigée par un éminent magistrat) : « taisez-vous,
ignorants, je connais mon droit ! » Et l’on viendra nous dire après cela que l’Etat de droit n’est pas une réalité au Sénégal du président Macky Sall…
Par Mamadou Oumar Ndiaye, Le Témoin